Fonds Marianne : le secrétaire général du CIPDR démissionne
Mis en cause dans un rapport de l'IGA sur la gestion du "fonds Marianne", le secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance, Christian Gravel, en poste depuis 2020, a donné sa démission, mardi. L'inspection considère, entre autres, que l'appel à projets prévu pour sélectionner les bénéficiaires du fonds n'a été "ni transparent, ni équitable", du fait notamment du "traitement privilégié" accordé à une association, l'USEPPM. Le rapport pointe le risque d'une requalification en marché public.
Le secrétaire général du Comité interministériel à la prévention de la délinquance (CIPDR) Christian Gravel a annoncé sa démission mardi 6 juin, suite à la publication d'un rapport de l'Inspection générale de l'administration sur la gestion du "fonds Marianne" dont il avait la charge. "Après avoir pris connaissance du rapport", le préfet "a souhaité remettre sa démission, qui a été acceptée", a annoncé le ministère de l'Intérieur, le 6 juin, précisant que ce rapport avait trait uniquement "à la subvention versée en 2021 à l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM)". "Un second rapport de l’IGA, qui sera remis à la fin du mois de juin et portera sur l’ensemble des associations bénéficiaires, permettra d’avoir une vision globale de la responsabilité des différents protagonistes concernés par la gestion du "fonds Marianne", indique-t-il.
Proche de Manuel Valls puis de François Hollande, Christian Gravel avait pris ses fonctions à la tête du CIPDR le 9 octobre 2020, une semaine avant l'assassinat de Samuel Paty. Quelques mois plus tard, le 20 avril 2021, Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté, avait lancé ce fonds en mémoire du professeur pour financer des associations portant des "discours de promotion des valeurs de la République" et pour lutter contre les "discours séparatistes". Initialement doté de 2,5 millions d'euros, ce fonds est en réalité un "fléchage" du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) bien connu des collectivités, ce dernier prenant une tournure de plus en plus politique, avec la lutte contre le "complotisme" (voir notre article du 13 mars 2023). Pour en bénéficier, les associations devaient répondre à un appel à projets, démarche jusque-là "inédite" pour le CIPDR, rappelle l'IGA.
Appel à projets "ni transparent, ni équitable"
Des révélations de Marianne, France 2 et Mediapart en mars et avril 2023 avaient jeté la suspicion sur une utilisation détournée des subventions allouées à au moins 2 des 17 associations sélectionnées pour le fonds, dont 355.000 euros pour la seule USEPPM, dirigée par l’essayiste Mohamed Sifaoui. S'en étaient suivies l’ouverture d’une information judiciaire par le Parquet national financier (PNF), le 4 mai, pour des soupçons de détournement de fonds publics dans la gestion de ce fonds, et une commission d’enquête sénatoriale le 10 mai.
L'IGA avait été mandatée par l'actuelle secrétaire d’État auprès du ministre de l'Intérieur, chargée de la Citoyenneté, Sonia Backès, le 29 avril. Conclusion : l'appel à projets n'a été "ni transparent, ni équitable", souligne le rapport remis à la secrétaire d'Etat le 31 mai dernier. Et l'USEPPM n'était "pas éligible" à un financement, "tant du fait de son objet que des manquements dans ses obligations déclaratives". Pire, l'utilisation de la subvention (un versement de 266.250 euros a finalement été effectué) "n'a pas été conforme" aux objectifs fixés. Le rapport pointe tour à tour une maigre production (451 communications sur différents comptes, dont 261 tweets, 8 articles sur un site internet...), des frais injustifiés (11 abonnements téléphoniques au lieu des deux nécessaires), des salaires surnuméraires et autres irrégularités "susceptibles de revêtir le caractère d'infraction pénale et de faute disciplinaire". Toutes informations transmises à la procureur en charge du dossier.
Risque de requalification
L'inspection dénonce le "traitement privilégié réservé à cette association" et met directement en cause le secrétaire général qui "n'a pas accompli les diligences nécessaires" au bon suivi de la subvention dont elle préconise le remboursement pour près de la moitié du montant versé. Elle relève en particulier que l'association avait tout d'abord sollicité une subvention au titre du FIPD avant d'être redirigée vers le fonds Marianne. Ce qui fragilise la procédure d'appel à projets menée de surcroît dans un délai "extrêmement bref". L'inspection émet ainsi des doutes sur "l'équité de la procédure" et pointe un risque de "requalification en marché public".
Auditionné par la commission d'enquête, le 16 mai, Christian Gravel avait lui aussi jugé le calendrier trop court et renvoyé la balle dans le camp du cabinet de la secrétaire d'Etat. Il avait en outre expliqué que cette initiative découlait d'"une commande politique" et avait défendu le dossier "ambitieux" de l'USEPPM dont le dirigeant représentait une "caution scientifique évidente".
La commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de Mohamed Sifaoui, Marlène Schiappa et Sonia Backès, les 13 et 14 juin. Quelques jours, donc, avant le second rapport de l'IGA qui s'intéressera au périmètre précis des lauréats retenus.