Politique de la ville - Fonds franco-qatari : l'inquiétude des maires de banlieues
Annoncée fin 2011, la création d'un fonds d'investissement qatari à destination des "territoires déshérités" aura bien lieu. Le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg vient en effet de donner son feu vert, comme il l'a annoncé à l'Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld), jeudi dernier. Le dossier avait été mis entre parenthèses pendant la période électorale ; les échanges de ces dernières semaines entre Paris et Doha ont permis de parvenir à un accord, avec quelques modifications à la clé. Initialement destiné à la banlieue exclusivement, ce fonds franco-qatari verrait ainsi son champ d'intervention élargi aux "territoires déshérités où il y a une forme de vitalité économique (...) et où les investissements ne suivent pas", a précisé la porte-parole du ministère, mardi. Une correction qui inclurait les zones rurales défavorisées. Au passage, l'affaire qui était auparavant suivie par le ministre chargé de la Ville est aujourd'hui entre les mains du ministre du Redressement productif…
Le fonds serait abondé par des crédits provenant de l'Etat français, de l'Emirat et d'entreprises qui "ont des intérêts économiques au Qatar". A l'origine prévu pour un montant de 50 millions d'euros, le fonds sera doté au départ de 100 millions d'euros, à parité entre la France et le Qatar. Les sommes serviront à soutenir les jeunes créateurs d'entreprises et à les aider dans leur développement. Un montant non négligeable au regard des 548 millions d'euros dont dispose la politique de la ville cette année dont 145 millions d'euros consacrés à la revitalisation économique. Les élus seront associés aux prises de décisions. L'Aneld, partie prenante du projet depuis le début, siègera au sein de la commission d'attribution. Ce devrait aussi être le cas de l'Association des maires de France (AMF) et de l'Association des régions de France (ARF).
Cette intervention étrangère dans le champ de la politique de la ville n'est pas une première. A travers l'association Yump, la Suède vient par exemple de décider de soutenir l'entrepreneuriat en Seine-Saint-Denis. Mais l'investisseur est loin de faire l'unanimité et l'Aneld non plus. Cette association créée en 2009 suite à l'élection de Barack Obama ne cache pas son attrait pour le modèle communautariste anglo-saxon. Et le Front national, en première ligne contre ce projet, n'est pas le seul à craindre une dérive communautariste. Il y a quelques mois Claude Dilain, sénateur PS et ancien maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), avait déjà vu dans l'opération un "signe de la coupure entre la société française et les banlieues". L'association Ville et Banlieue, qu'il a longtemps présidée, se montre réticente depuis le début du projet. Cette fois-ci c'est son vice-président qui prend la plume. "Non, les banlieues ne sont toujours à vendre", s'insurge Gilles Leproust, maire communiste d'Allonnes (Sarthe), qui demande aux autorités françaises de se "ressaisir". "La nouvelle majorité gouvernementale ne peut déléguer à d'autres les réponses aux attentes des habitants", souligne-t-il. L'élu s'interroge également sur "la nature démocratique de l'Etat qatari" et dénonce les atteintes aux libertés individuelles et aux droits de femmes commises "quotidiennement" dans ce pays, ou encore son soutien financier à des "mouvements extrémistes".
Le Qatar a déjà réalisé de nombreux investissements dans le football et l'immobilier en France où il bénéficie depuis 2009 d'une exonération sur les plus-values immobilières. La levée de ce "cadeau fiscal" permettrait de "trouver des moyens financiers pour financer les projets des quartiers", fait valoir Gilles Leproust.