Foncier économique : des sénateurs plaident pour plus d'accompagnement et moins de freins réglementaires
Un rapport adopté le 31 janvier par la délégation aux entreprises du Sénat formule 15 recommandations pour les aider à surmonter les difficultés d'accès au foncier économique. Il préconise notamment d'accompagner davantage les projets d’implantation des entreprises, de les intégrer à la planification foncière, de soutenir et financer la transformation des zones d’activité, et de simplifier la réglementation et l’organisation de l’administration.
Après les élus et les professionnels de l'immobilier d'entreprise (lire nos articles des 19 octobre 2022 et 6 février 2024), c'est au tour du Sénat d'alerter sur les difficultés d'accès au foncier économique via une mission d’information "flash" confiée aux sénateurs Christian Klinger (LR-Haut-Rhin) et Michel Masset (RDSE-Lot-et-Garonne) dont les conclusions ont été adoptées à l'unanimité ce 31 janvier. Plusieurs territoires se trouvent déjà en situation de quasi-pénurie, constatent les rapporteurs, s'appuyant notamment sur une enquête précitée d'Intercommunalités de France, Cerema, ANCT, Territoires d’Industrie de septembre 2022. 93% des intercommunalités estimaient alors que leur parc d’activité sera saturé en 2030, dont 44% dès 2025 et 9% des intercommunalités disaient déjà ne plus être en mesure de libérer des sites d’une surface inférieure à 10 hectares."
Besoins des TPE, PME et ETI "négligés"
Cette dynamique va, avec certitude, s’accentuer sous l’effet des objectifs de 'zéro artificialisation nette' et de la hausse des prix du foncier", pronostiquent les sénateurs qui y voient "une menace tangible pour le développement de dizaines d’entreprises, PME et ETI, implantées de longue date au cœur des territoires". Alors que les exemples de "déménagements contraints" d’entreprises ou d’abandons de projets se multiplient, "la prise de conscience n’est pas encore là", regrettent-ils. Selon eux, "la réaction de l’Etat se limite à des actions en faveur des 'grands projets' de gigafactories, de l’'industrie verte' ou d’investissement étranger en France" et "néglige les TPE, PME et ETI qui constituent la majeure partie du tissu économique français". "Celles-ci ne bénéficient pas des mêmes facilités, des mêmes moyens ni du même accompagnement", constatent-ils. Ils préconisent, pour mieux mesurer les difficultés d'accès au foncier, de collecter annuellement des données sur les projets d’implantation d’activités refusés ou abandonnés en France et sur l’impact économique de ces échecs.
Besoin d'agents dans les services déconcentrés pour instruire les projets
Autre difficulté relevée par les sénateurs : "alors que l’écosystème administratif national et local s’est complexifié, les entreprises n’ont pas de vision claire du partage des rôles entre différents services et opérateurs". De surcroît, "l’Etat a nettement réduit, au cours des années écoulées, les effectifs de l’administration déconcentrée chargée d’accompagner et d’instruire les projets", notent-ils. Ils y voient "l’un des principaux facteurs de blocage et de délais additionnels, en dépit des efforts de simplification des textes". Les règles sont ainsi "appliquées différemment, voire inégalement, selon les territoires", estiment-ils. Aussi appellent-ils à " financer significativement et durablement le recrutement d’agents dans les services déconcentrés chargés de l’instruction des projets d’implantation".
Les entreprises restent aussi selon eux "insuffisamment associées à la planification locale, et leurs besoins sont insuffisamment anticipés, alors que les documents d’urbanisme, de plus en plus rigides et complexes, sont source d’une forte inertie". "En conséquence, le temps administratif ne correspond plus au temps économique, regrettent-ils. La durée cumulée des procédures d’autorisation d’un projet et des recours n’est souvent plus compatible avec les contraintes de la compétition économique mondiale à laquelle font face les entreprises". Et de citer des exemples de chronologies du "découragement foncier", recueillis lors de leurs auditions. Pour un projet débuté en 2017, dont les autorisations ont été obtenues à l'été 2022 (après enquête publique), l'issue attendue des recours contre les autorisations est prévue en …2027. En outre, déplorent les sénateurs, "les grands objectifs de réindustrialisation, de transition environnementale et énergétique de l’industrie, de plein emploi, ne se traduisent pas par une meilleure acceptabilité des projets de création de sites d’activité". "Environnement et entreprises sont, à tort, trop souvent opposés, alors que ces dernières joueront un rôle incontournable dans les grandes transitions", relèvent-ils.
Meilleure association des acteurs économiques à l'élaboration des documents d'urbanisme et de planification
Ils recommandent en particulier d'associer systématiquement les acteurs économiques à l’élaboration des documents d’urbanisme et de planification, "en systématisant l’association des CCI [chambres de commerce et d'industrie] et CMA [chambres des métiers et de l'artisanat] à l’élaboration des SRADDET", de sécuriser le financement des outils d’identification et de connaissance du foncier économique, de veiller à leur complémentarité, et d'assurer que les acteurs économiques aient accès à cette information. À l’échelon local, il faudrait selon eux informer clairement les entreprises des rôles respectifs des acteurs publics intervenant dans les projets d’implantation, et désigner un interlocuteur privilégié à l'échelle de chaque intercommunalité ou région. Ils proposent aussi de mettre en place, sur le modèle de Business France pour les investisseurs étrangers, un interlocuteur privilégié au niveau national pour l'ensemble des entreprises françaises portant un projet d'implantation pouvant potentiellement concerner plusieurs territoires.
Diminuer le risque juridique
Autre difficulté pointée par les rapporteurs : la complexité du droit qui accroît le risque juridique qui pèse sur les projets. "Rares sont aujourd’hui les projets qui ne sont pas attaqués en justice à toutes les étapes de leur réalisation, ce qui peut les retarder de plusieurs années, soulignent-ils. En particulier, les études d’impact relatives à la biodiversité sont perçues comme source d’une grande insécurité." Ils proposent donc d'"étudier l’option d’un encadrement des études d’impact et d’une certification des bureaux d’études en écologie, pour garantir la qualité et la solidité juridique des études réalisées", d'"envisager de mettre en place une procédure d’admission préalable des recours contre les projets d’activité économique, pour lutter contre les recours abusifs" et de "confier explicitement à l’administration un rôle d’information et d’accompagnement des porteurs de projets".
Mieux préserver le foncier économique
Les sénateurs jugent aussi "insuffisante" l’action publique pour protéger et développer le foncier économique. Ils estiment en outre, que la réhabilitation des friches ne sera pas, seule, "à la hauteur des enjeux", et que la rénovation des zones d’activités n’en est encore qu’à ses débuts. "Ces dynamiques conduisent à un 'grignotage' du foncier économique existant en France au profit d’autres usages, pointent-ils. Ils recommandent donc de réserver une partie des financements du Fonds friches aux projets d’activité économique et d'assouplir les règles de financement de ces projets, d'adapter le degré d’exigence des textes français et européens pour rendre plus incitative la réutilisation de friches, d'initier un programme de soutien dédié à la rénovation des zones d’activités économiques assorti d’aides financières et d'élargir le programme "sites clés en main"’ en créant et en finançant un volet territorialisé, tourné vers des sites de taille plus modeste et vers les entreprises du territoire.
Modèles plus durables d'aménagement économique
"La forte contrainte posée par les objectifs de 'zéro artificialisation nette' doit aller de pair avec une amélioration des dispositifs de compensation et de mutualisation de l’impact des projets, notamment la compensation environnementale, dont les critères sont aujourd’hui extrêmement rigides, et les possibilités de mutualisation des impacts au titre du 'ZAN'", estiment-ils encore. Enfin, "l’évolution vers des modes d’aménagement économique plus durables impliquera des efforts de densification de la part des entreprises, mais suppose aussi de lever les freins réglementaires contre-productifs et d’accentuer l’accompagnement". Il faudra ainsi poursuivre la sensibilisation des acteurs économiques et des élus locaux aux modèles plus durables des zones et des bâtiments d'activités", concluent les sénateurs.