Fiscalité locale : la Cour des comptes sévère sur le chamboulement des dernières années

Dans un rapport, la Cour des comptes se penche sur les réformes des impôts locaux (suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et d'une grande partie de la CVAE…) menées entre 2018 et 2023. Elle conclut à un bouleversement de la fiscalité locale aux nombreux effets négatifs (avec notamment l'affaiblissement du levier fiscal local) et au coût très lourd pour les finances publiques.

C'est un véritable bilan des réformes touchant à la fiscalité locale menées entre 2018 et 2023 que la Cour des comptes a dressé, à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le rapport issu de ces travaux, que Christian Charpy, président de la quatrième chambre de l'institution, a présenté ce 15 janvier à ses commanditaires, comporte de nombreuses analyses inédites, notamment sous l'angle des collectivités locales.

Il s'intéresse bien sûr à la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales - la promesse faite par le candidat Emmanuel Macron en 2017 - qui concerne les ménages. Mais aussi à deux mesures qui visaient les entreprises : "la réduction à ce jour de plus des quatre-cinquièmes" de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la diminution de moitié des bases des locaux industriels assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la cotisation foncière des entreprises (CFE).

"Effets anti-redistributifs"

Avec ces réformes, ce sont des pans entiers de la fiscalité locale qui ont disparu. Non sans conséquences sur les contribuables. Les ménages pouvant ainsi se prévaloir d'un "gain" de près de 19 milliards d'euros en 2023, grâce à la suppression de la taxe d'habitation. Ce qui leur a permis de disposer cette année-là "d’un niveau de vie plus élevé de 1,1%". Toutefois, les ménages "dotés de revenus élevés et intermédiaires" ont davantage bénéficié de la réforme que "ceux dotés de faibles revenus", qui étaient exonérés de taxe d'habitation. La Cour des comptes parlant d'"effets anti-redistributifs" en faveur des ménages aisés. Mais le gain aurait été "capté en partie par des hausses du prix de l’immobilier et des loyers" et l'épargne des Français aurait davantage été dopée que la consommation.

La Cour observe encore que la part des ménages dans la contribution aux impôts locaux est restée stable par rapport à celle des entreprises entre 2017 et 2023 (56% contre 44%). Le monde économique a, en effet, lui aussi bénéficié d'allègements fiscaux, au travers de la suppression d'une part prépondérante de la CVAE et de la réduction de moitié des bases des locaux industriels assujettis aux impôts fonciers. Avec des effets positifs à la clé. Ces décisions ont apporté "une contribution importante à la hausse du taux de marge des sociétés non financières, passé de 30,7% de la valeur ajoutée en 2019 à 32,7% en 2023", indique la Cour. Il reste que "le recul manque" pour apprécier dans quelle mesure l’amélioration de la rentabilité des entreprises "entraîne une augmentation durable de leur effort d’investissement".

Compensation "plutôt favorable" aux collectivités 

De leur côté, les collectivités ont été compensées globalement selon des modalités "plutôt favorables", selon la Cour des comptes. Avec le remplacement de la taxe d'habitation et de la CVAE par des fractions de TVA, elles pourraient "bénéficier d’un gain durable". En effet, les recettes de TVA prennent en compte "de manière instantanée" les effets "de l’inflation et de l’évolution en volume, généralement positive, de la consommation". Au-delà, la Cour des comptes estime que la nouvelle ressource de TVA, "homogène sur l'ensemble du territoire", "favorise" les collectivités dont la croissance démographique est faible, voire négative et, à l'inverse, pénalise les collectivités enregistrant une forte augmentation de population – avec la taxe d'habitation, celles-ci bénéficiaient de hausses dynamiques de leurs bases.

Mais à bien des égards, les réformes de la fiscalité locale ont eu "des conséquences défavorables pour les collectivités". Le pouvoir de taux des communes et de leurs intercommunalités a reculé, tandis que celui des départements a quasiment disparu. En outre, comme de nombreux élus locaux, les magistrats déplorent un affaiblissement du "lien que crée l’impôt entre les ménages et les entreprises qui l'acquittent et les collectivités qui leur procurent des services". Dans certaines villes - comme Strasbourg, Lille, Bobigny ou Saint-Ouen - moins de 30% des habitants sont propriétaires de leur logement. Les locataires, largement majoritaires dans ces villes, ne participent plus par l'impôt au financement des services publics locaux.

La nouvelle architecture de la fiscalité locale a également pour défaut, du fait des moindres retombées fiscales, de réduire l'intérêt des communes à favoriser la construction de logements et attirer de nouveaux habitants. Les collectivités "pourraient, de même, être moins incitées à accueillir de nouvelles entreprises ou des extensions d’entreprises existantes".

"Coût massif pour les finances publiques"

Autre point négatif des réformes : le remplacement des impôts supprimés par des recettes de TVA a été opéré selon des modalités qui ont reconduit des "inégalités" parfois anciennes, sans tenir compte des besoins des territoires, liés notamment à la croissance démographique. La situation n'est pas durable, selon la Cour. Qui préconise de tendre progressivement vers une répartition de la TVA entre les collectivités, "en fonction de leur richesse relative par habitant, appréciée à partir d’un petit nombre de critères de ressources et de charges".

Le bilan de ces réformes pour l'Etat ne peut être occulté, particulièrement dans le contexte des difficultés budgétaires. Leur coût "net" a été "massif" pour les comptes de l'Etat, puisqu'il s'est élevé à 34,7 milliards d'euros en 2023, selon la Cour – et même 38,5 milliards d'euros si l'on y ajoute le coût de la suppression de la redevance audiovisuelle qui était adossée à la taxe d'habitation. "Les réformes de la fiscalité locale et du financement de l’audiovisuel public sont ainsi à l’origine de la moitié de la hausse du déficit des administrations publiques intervenue entre 2017 et 2023", évalue-t-elle. Un déficit essentiellement logé dans les comptes de l'Etat. Pour cause, ce dernier a vu ses recettes de TVA fondre : alors qu'il percevait 93% de cette ressource en 2017, il n'en a bénéficié qu'à hauteur de 44,7% en 2023.

Avec un déficit et une dette élevés, la France n'a plus les moyens de substituer de la fiscalité nationale à des impôts locaux, conclut la Cour des comptes. Les impôts fonciers demeureront donc essentiels pour les communes et les intercommunalités dans les années à venir. Ce qui doit conduire "sans attendre" à réviser les valeurs locatives des locaux d'habitation, soulignent les magistrats. Sinon, les impôts locaux resteront fondés sur des bases obsolètes et injustes. Pour l'heure, le Parlement a prévu une prise en compte en 2029 des valeurs locatives révisées (pour les logements), mais rien ne garantit que cette échéance ne soit pas reportée, voire enterrée.

 

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