Fiscalité des meublés de tourisme : le Conseil d'État remet les pendules à l'heure

Le Conseil d'État a annulé une note d'actualité de Bercy autorisant les loueurs de meublés de tourisme à ne pas appliquer la loi de finances pour 2024 et à conserver leur abattement fiscal avantageux.

C'est un nouvel épisode d'un feuilleton qui s'étire en longueur : par une décision du 8 juillet – non encore publiée et dont Localtis s'est procuré une copie –, le Conseil d'État a censuré le ministère de l'Économie qui invitait les contribuables à ne pas appliquer les mesures de la loi de finances pour 2024 sur la fiscalité des meublés de tourisme de type Airbnb.

Tout débute fin décembre 2023, lors de l'examen de la loi de finances pour 2024. Afin de réduire les tensions sur le marché locatif dans certaines agglomérations touristiques, le sénateur des Pyrénées-Atlantiques Max Brisson dépose un amendement alignant l'abattement fiscal des meublés de tourisme sur celui des locations nues de longue durée, soit 30% au lieu des 71% dont bénéficiaient jusqu'alors les meublés de tourisme. De plus, le plafond de recettes pour les meublés de tourisme est abaissé à 15.000 euros. Cet amendement est adopté et figure, à la suite d'une mégarde du gouvernement, qui y était défavorable, dans la version définitive du texte.

"Appliquer les dispositions dans leur version antérieure"

Pour tenter de rattraper son erreur, le ministère de l'Économie publie le 14 février dernier une note d'actualité dans le Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP). On peut y lire que les dispositions de la loi de finances pour 2024 "sont réputées s'appliquer aux revenus de l'année 2023" et "impose[nt] aux contribuables concernés de reconstituer a posteriori une comptabilité commerciale pour l'année 2023". Toutefois, la note tempère : "Afin de limiter les conséquences d'une application rétroactive de cette mesure à des opérations déjà réalisées, il est admis que les contribuables puissent continuer à appliquer aux revenus de 2023 les dispositions […] dans leur version antérieure." Autrement dit, le ministère de l'Économie demande à ses services de ne pas faire appliquer le changement de régime fiscal des meublés de tourisme prévu par la loi.

Aussitôt, Max Brisson et Ian Brossat, sénateur de Paris, d'un côté, l'Association pour un tourisme professionnel (Atop), l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih) et le Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR), de l'autre, demandent au Conseil d'État d'annuler la note d'actualité. Ils soutiennent que le texte est entaché d'incompétence car il permet l'application de modalités d'imposition abrogées par la loi de finances pour 2024. Pour sa défense, le ministre de l'Économie soutient que la requête est irrecevable car elle demande l'annulation d'une note d'actualité "ayant pour seul objet de commenter la mise à jour de commentaires administratifs".

"Une rédaction qui n'était plus applicable"

Pour annuler la note d'actualité, le Conseil d'État procède en deux temps. Il estime d'abord qu'à travers elle, le ministre de l'Économie "a fait part de son interprétation des modifications introduites […] par les dispositions de l'article 45 de la loi de finances pour 2024". Il souligne ensuite, non seulement que cette interprétation "ne se borne pas à renvoyer sans s'y substituer aux commentaires de la loi fiscale", mais encore qu'elle "est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui […] pourraient faire le choix de ne pas appliquer […] les dispositions en vigueur depuis le 31 décembre 2023". Et le Conseil d'État de conclure : "En indiquant que les bénéficiaires de revenus entrant dans le champ de ces dispositions ont la possibilité d'appliquer, pour la détermination de leurs bases d'imposition au titre de 2023, les dispositions de l'article 50-0 du code général des impôts dans une rédaction qui n'était plus applicable auxdits revenus […] l'administration a incompétemment ajouté à la loi." 

En conséquence, les dispositions de la loi de finances pour 2024 portant sur l'abattement fiscal des meublés de tourisme s'appliquent bien aux revenus perçus en 2023. Enfin théoriquement… En pratique, les déclarations de revenus au titre de l'année 2023 étant clôturées depuis le 6 juin et la décision du Conseil d'État n'étant pas rétroactive, l'État devrait subir un manque à gagner de plus de 330 millions d'euros, selon Ian Brossat. On se souviendra alors qu'en mars dernier, le Conseil d'État avait rejeté dans le même dossier une requête en référé qui aurait pu suspendre sur-le-champ l'interprétation du ministère de l'Économie… 

En attendant la commission mixte paritaire

Le sénateur de Paris estime cependant que cette décision "envoie un signal fort dans la lutte contre les avantages fiscaux injustifiés dont bénéficient les locations Airbnb". Avant la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin dernier, une proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale avait été adoptée par les deux assemblées en des termes différents. Texte de consensus, cette PPL élargit les compétences des élus pour réglementer l'implantation des locaux à usage touristique sur leur territoire, soumet les meublés de tourisme à la réalisation préalable d'un diagnostic de performance énergétique (DPE) et aligne la fiscalité des meublés touristiques non classés sur celle des locations nues de longue durée. Si ce texte a juridiquement survécu à la dissolution, son sort est politiquement suspendu à la volonté du futur gouvernement qui choisira, ou non, de convoquer une commission mixte paritaire en vue d'une  adoption définitive.

Référence : Conseil d'État, section du contentieux, 8e chambre, nos 492382 et 492582, décision du 8 juillet 2024.