Fiscalité de l'énergie : des orientations à redéfinir au regard des enjeux climatiques, préconise la Cour des comptes
Dans un référé et un rapport d'observations définitives publiés ce 6 septembre, la Cour des comptes recommande des "adaptations significatives" de la fiscalité de l'énergie et de sa gouvernance pour accroître son rôle dans la politique énergétique et climatique visant à placer la France sur la trajectoire de la neutralité carbone.
Quelque 3.140 euros : c'est la dépense annuelle moyenne consacré par les ménages français à l'énergie en 2021, dont 1.720 euros pour leur logement et 1.420 euros pour leurs transports, rappelle la Cour des comptes en préambule de son rapport sur la place de la fiscalité de l’énergie dans la politique énergétique et climatique française publié ce 6 septembre, ainsi que le référé sur le sujet qui avait été adressé début juin à Gabriel Attal, alors Premier ministre. Un montant important dont les taxes représentent une part considérable : 43% du prix hors taxes des énergies pour le logement et 140% pour les transports. En 2022, le prix moyen supporté (hors TVA) par les ménages a ainsi été de 27 euros/MWh, soit presque deux fois plus que le prix moyen de 14 euros/MWh réglé par les entreprises et les administrations publiques.
Le poids des taxes dans la facture énergétique des ménages, explique en partie "la forte sensibilité politique de toute évolution de cette fiscalité", souligne la Cour, justifiant l'intérêt qu'elle avait à enquêter sur son rôle au regard des objectifs énergétiques et climatiques du pays.
Pas de périmètre précis
Les magistrats notent d'abord que la fiscalité de l’énergie ne recouvre pas de périmètre précis. "En comptabilisant plus particulièrement celle qui porte sur la consommation d’énergie, dont la TVA, on observe que le rendement brut de la fiscalité de l’énergie est significatif et croissant entre 2012 et 2022, et qu’il a atteint près de 60 milliards d'euros en 2021, indique le rapport. L’accroissement de rendement s’explique principalement par l’introduction d’une 'composante carbone' dans les accises énergétiques. La part de celles-ci dans la fiscalité de l’énergie a ainsi crû de 63 à 71% entre 2012 et 2021." "Cette augmentation du niveau des accises a permis à la France de rattraper son retard en matière de perception de recettes fiscales liées à l’énergie (hors TVA), pour occuper le deuxième rang européen en 2021, avec un rendement représentant 1,82% du PIB du pays, poursuit le rapport. Les documents budgétaires rendent toutefois insuffisamment compte de l’évolution de la fiscalité de l’énergie et pourraient être complétés à cet égard par une recension exhaustive des impositions concernées ainsi que par leur rendement, en exécution comme en prévision."
Difficultés de gouvernance
Si la fiscalité de l’énergie a été introduite avec une finalité initiale de rendement, elle a revêtu une dimension comportementale dès 2011, rappelle le rapport. "L’impact d’une augmentation de la fiscalité énergétiques sur les consommations d’énergie et donc les émissions de gaz à effet de serre a par ailleurs été documenté, constate-t-il. La place de la fiscalité de l’énergie comme outil de la politique énergétique et climatique n’est pourtant pas clairement définie dans les documents stratégiques censés placer la France sur la trajectoire de la neutralité carbone d’ici 2050."
Autre difficulté relevée par les magistrats financiers : "les procédures de concertation habituelles de l’administration n’offrent pas une gouvernance claire et serrée permettant d’aborder les évolutions de la fiscalité de l’énergie. En particulier, les conférences fiscales réunies depuis 2013 n’ont pas permis de rationaliser le nombre ou de réduire le coût des dépenses fiscales liées à l’énergie." Quant au récent secrétariat général à la planification écologique, jusqu'alors rattaché à Matignon, son rôle en matière de fiscalité de l’énergie pourrait être "mieux affirmé, en lui confiant notamment le suivi transversal des dispositifs fiscaux liés à l’énergie pour garantir leur cohérence avec les objectifs de la planification écologique", estime la Cour.
Lien attendu avec les documents de programmation énergétique et climatique
Celle-ci constate en outre que l'apport de la fiscalité de l'énergie en tant que telle, ou en lien avec d’autres outils de politique publique, dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de la consommation d’énergie, n’est pas "précisément établi dans les documents de programmation" et sa complémentarité avec les autres outils de politique publique "n’est pas documentée". Pour les magistrats financiers, une meilleure restitution de la contribution de la fiscalité énergétique à l’atteinte des cibles de la politique énergétique et climatique est ainsi "souhaitable".
L’éclairage de la complémentarité de la fiscalité de l’énergie avec le dispositif de quotas carbone européen est jugé par ailleurs "nécessaire dans la mesure où 21,5% de la consommation des entreprises est couverte par le système ETS, avec une tarification estimée à plus de 20 euros/MWh, alors que les 78,5% restant relèvent de la fiscalité de l’énergie, dont les taux moyens par secteur sont beaucoup plus faibles". "La comparaison de son niveau avec le signal prix implicite du carbone que le marché des quotas fait peser sur certains secteurs pourrait également être améliorée", ajoutent les magistrats.
Clarifications attendues dans le cadre du budget vert de l'État
Selon eux, la structure de la fiscalité de l’énergie est aujourd’hui "peu adaptée aux objectifs énergétiques et climatiques de la France, dont elle peut même contrarier l’atteinte du fait de dépenses fiscales larges, en croissance de 31% sur les cinq dernières années et pourtant minorées dans les documents budgétaires". Le montant des dépenses fiscales relatives à la fiscalité énergétique et classées comme défavorables à l’environnement dans le rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État s’établit à 5,9 milliards d'euros. Toutefois, en élargissant la notion de dépense fiscale à une mesure de performance environnementale, le coût cumulé de ces dispositifs défavorables à l’environnement liés à l’énergie s’élèverait à 13,6 milliards d'euros, ont-ils calculé.
"Pouvant s’apparenter à des soutiens implicites aux énergies carbonées, ces dispositifs devraient être mieux évalués par l’administration et remis en cause quand leur incidence sur l’environnement est défavorable et qu’aucune justification économique étayée ne les sous-tend", souligne la Cour qui estime que le rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État devrait être encore amélioré pour "rendre compte et justifier de façon étayée des évolutions passées et à venir de la fiscalité énergétique".
Fiscalité régressive pour les ménages
Autre difficulté relevée par les magistrats financiers : la fiscalité énergétique s’avère régressive pour les ménages. La fiscalité acquittée atteint ainsi "3,9% du revenu moyen du premier quintile de la distribution des revenus des ménages, tandis que ceux faisant partie des 20% les plus aisés acquittent des taxes sur l’énergie représentant en moyenne 1,1% de leurs revenus", selon le rapport. Enfin, "les décisions prises ont encore insuffisamment tenu compte de l’acceptabilité par la population des hausses de la fiscalité énergétique", constate la Cour qui défend "une meilleure prévisibilité des dispositifs fiscaux", "le soutien aux alternatives décarbonées" et l'importance de la justice fiscale en la matière.
Mise en conformité avec le droit européen
Enfin, pour se conformer au droit européen, "la France doit ajuster certains tarifs réduits ou particuliers relatifs aux produits énergétiques et remettre en cause le système dual de la TVA ainsi que différentes majorations existantes", juge la Cour. "La remise en cause du différentiel gazole-essence ainsi que certaines particularités françaises, comme la contribution tarifaire d’acheminement ou des taux réduits en faveur de certains secteurs économiques, permettrait d’anticiper les orientations proposées dans le cadre la révision de la directive 'taxation de l’énergie'", estime-t-elle.
Réflexion en profondeur à engager
Dans tous les cas, les magistrats jugent la situation actuelle propice à une réflexion en profondeur sur l’évolution de la fiscalité énergétique, en soulignant l’importance du choix d’une instance de concertation à mobiliser sur le sujet. La structure fiscale a tout d’abord été modifiée par la crise énergétique, puisque la fraction électricité des accises énergétiques a été réduite à ses taux minima, représentant une perte de près de 9 milliards d'euros pour l’État en 2023, relèvent-ils. De plus, l’entrée en vigueur prochaine de l’extension du marché carbone aux secteurs des transports et du bâtiment, "qui n’a fait l’objet d’aucun débat public malgré des effets significatifs sur les ménages et les entreprises", rappelle la Cour, est susceptible de modifier significativement les niveaux de prix des énergies, en s’ajoutant aux accises énergétiques puisque les prix pourraient augmenter de 11 à 13% pour le gaz et de 10 à 11% pour le carburant à court terme, met-elle en garde. Enfin, "l’érosion de l’assiette des accises énergétiques, notamment sur les carburants, et les baisses de revenus qui en découleront pour l’État et qui sont évaluées à hauteur de 13 Md€ d’ici 2030 par la DG Trésor (soit une baisse de 30%), appellent également à revoir l’architecture et le niveau de la fiscalité de l’énergie, dans un cadre cohérent avec la politique énergétique et climatique de la France", soutiennent les magistrats.
La Cour illustre à cet égard trois scénarios possibles. Le premier ne consiste qu’en des "ajustements ponctuels associés à la suppression des dépenses fiscales les plus controversées". Le deuxième vise à rendre la fiscalité de l’énergie cohérente avec le contenu carbone des énergies", et permettre donc une "différenciation des énergies en fonction de leur performance environnementale". Le troisième scénario recentre la fiscalité de l’énergie sur un objectif de rendement et réserve à d’autres outils la tarification du carbone.