Financement de bus verts : Brest embarque un montage innovant
L'accélération du verdissement des flottes de bus urbains, à l'approche de l'échéance clé du 31 décembre, pose la question de leur financement dans la durée. Focus sur la métropole brestoise, qui expérimente avec la Banque des Territoires une solution inédite pour sécuriser ce financement face aux incertitudes sur le coût à venir de l’électricité.
Dernier coup de klaxon. Passé le 31 décembre, les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) ne pourront plus acheter de bus diesel. "En renouvelant leur parc elles doivent acheter 50% de bus basses émissions puis en totalité dès 2025", rappelle Guy Le Bras, directeur du Groupement des autorités responsables de transport (Gart). "Il y a urgence à décarboner ce secteur dans un contexte où l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre due aux transports ne baisse pas", appuyait fin novembre l’ancien élu rhônalpin et secrétaire général de Climate chance Bernard Soulage, lors d’un séminaire de "Paris for Tomorrow" (voir notre article du 27 novembre).
Un renouvellement progressif
Dicté par la loi de transition énergétique (art. 37, décret VFE), ce tournant connaît des exceptions. Les AOM avec moins de 20 bus échappent ainsi à l’obligation légale. Il n'en reste pas moins majeur : sur un panel de 17.300 bus opérés par ses adhérents, le syndicat professionnel UTP révèle dans sa dernière enquête que le gazole est utilisé dans 2/3 des cas ! Et ajoute, dans une note publiée ce 16 décembre, que des interrogations perdurent sur la concordance entre ce décret VFE - au regard duquel ces AOM ont entamé la mue énergétique de leur flotte en engageant des investissements - et une directive européenne de juin dernier qui ne sera pas sans incidence sur ses dispositions. Du moins quand elle sera transposée (au plus tard en août 2021).
Dans ce paysage mouvant, une chose est sûre : ni la pertinence de la solution, ni la maturité de la filière du bus électrique ne sont guère plus mises en doute. L'Ademe le confirme dans sa dernière analyse de ce secteur quadrillé par une vingtaine de constructeurs. Une phase de tests en conditions d’exploitation réelles précède généralement la commande pure et dure. Brest Métropole a ainsi procédé avec Heuliez avant de lui passer commande de deux bus électriques qui rouleront à la rentrée 2020. Cette collectivité, moins pionnière que d'autres de taille comparable (Amiens, Le Havre), se satisfaisait jusque là de bus thermiques. "Notre parc de 100 bus est loin d'être en bout de course. C'est pour cela qu'on le renouvelle progressivement, en se donnant une dizaine d'années pour le convertir intégralement à l'électrique, au rythme de cinq à six bus commandés chaque année, pas forcément auprès du même constructeur".
Un coût de revient fragilisé par des incertitudes
Charge lente au dépôt (la nuit, pour bénéficier de tarifs heures creuses) ou durant la phase d’exploitation (en ligne ou au terminus), à Brest, le choix de la technologie de recharge reste à trancher. Le financement, lui, est acté pour ces deux premiers bus à 550.000 euros pièce. Ce surcoût à l'acquisition (même par rapport à un bus GNV) est censé être compensé par une moindre facture énergétique (cinq fois moins élevée qu'avec le gazole, selon l'Ademe). C'est du moins la promesse des industriels. Mais la volatilité des prix de l'électricité fragilise cette certitude, ce dont les collectivités ont bien conscience.
Pour lever cette barrière à l'entrée, les banques classiques ne disposeraient pas d'instrument adapté. D'où l'intérêt de l'initiative de co-construction d'un mode de financement innovant et "compétitif pour la collectivité" entamée par Brest métropole avec la Banque des Territoires. Il s'agit d'un emprunt de 1,7 million d'euros sur environ 17 ans qui couvre l'intégralité de l'investissement (achat des deux bus et des infrastructures de recharge). La nouveauté est dans le taux d’intérêt. C'est un taux d'intérêt central, adapté à la situation de la collectivité, qui reflète le risque qu'elle prend.
Un financement adapté à ces craintes
Mieux, ce taux d'intérêt est évolutif : "Il varie en fonction de l'évolution du prix de l'électricité par rapport à un scénario de référence. Et évolue dans un tunnel de taux prédéfini afin de limiter la volatilité de ce dernier. L'ensemble de ces conditions seront fixées avec la collectivité lors de la signature fin janvier du contrat de financement", éclaire Thibauld Thuillez, directeur d’investissement au département Infrastructures et transport de la Banque des Territoires. Avec un suivi tous les six mois pour ajuster si besoin le tir. Le taux baisse si les économies du coût de l’énergie ne sont pas au rendez-vous. Si elles y sont, il augmente et ce "dans ce tunnel de taux prédéfini".
Autrement dit, si le prix de l'électricité dépasse les prévisions, l'exploitant (dans ce cas brestois RATP Dev, opérateur du réseau Bibus) facturera plus cher l'AOM. Mais celle-ci sera couverte grâce au taux d'emprunt revu à la baisse. À l'opposé, si elle économise et paie donc moins son exploitant s'opère un partage du gain : elle le partage, rétribue donc plus celui qui finance et le taux d'intérêt augmente. L'écueil aurait pu être de créer une usine à gaz, à effet repoussoir pour les AOM. "Cet instrument financier est simple et transparent, sa formule de calcul lisible, tant pour le taux que pour l'indice qui le fait varier, de source publique (Insee). Brest nous a par ailleurs orienté sur le besoin d'un monitoring de suivi simple également et ne nécessitant, tous les six mois, qu'une calculette". L'initiative de la cité bretonne, ville-pilote pour roder ce produit, n'est pas isolée. La Banque des Territoires compte en aider d'autres, propriétaires de leur parc et qui le renouvellent en passant à l'électrique.