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Filière forêt-bois : la Cour des comptes appelle à une structuration "au plus près des territoires"

La Cour des comptes a publié ce 25 mai le rapport sur la structuration de la filière forêt-bois qu'elle a réalisé à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Face aux difficultés économiques du secteur et aux enjeux environnementaux et climatiques majeurs liés à la forêt, elle formule huit recommandations autour de deux grands axes d'action : la préservation de la ressource forestière et le soutien aux industries de transformation du bois, et la promotion d'une politique de filière cohérente, "au plus près des territoires".

À la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, la Cour des comptes s'est une nouvelle fois penchée sur la structuration de la filière forêt-bois, six ans après un premier rapport sur les soutiens au secteur. Le rapport qu'elle a publié ce 25 mai revient sur les difficultés que connaît cette filière dont l'activité représente 60 milliards d'euros et 440.000 emplois Entretenue par "un sous-investissement chronique et une compétitivité insuffisante", la crise structurelle à l'œuvre depuis "au moins deux décennies" révèle "un manque d’intégration entre
l’amont et l’aval, entre l’offre et la demande de bois", estime la Cour.

Difficultés chroniques

"En amont, la forêt demeure partiellement exploitée : seule la moitié de son accroissement annuel est récolté, le volume de bois en forêt ayant ainsi augmenté de 45 % en 30 ans", souligne-t-elle. "Si le tiers des surfaces de forêt est difficile à exploiter en raison du relief, une gestion dynamique des forêts se heurte à de nombreux autres freins, pointe-t-elle : un tiers seulement de la forêt privée (74% de la forêt) applique des engagements de gestion durable ; les pratiques de vente du bois ne permettent pas aux industriels de sécuriser suffisamment leurs approvisionnements ; les métiers de l’exploitation forestière et de la première transformation du bois manquent d’attractivité."
En outre, poursuit la Cour, même si la forêt est en croissance, elle ne se renouvelle plus assez, que ce soit par régénération naturelle ou par plantation, en net recul depuis vingt ans, d’où des craintes sur la disponibilité en bois d’œuvre à moyen terme.
Selon le rapport, deux grandes menaces pèsent aujourd’hui sur la forêt. La première est la présence du grand gibier, qui en consommant les plantules et en écorçant les arbres, empêche la forêt de se régénérer dans les régions où il est en surnombre (c’est le cas dans près de la moitié des forêts domaniales à enjeux de production). La deuxième est le dérèglement climatique qui augmente le risque de tempêtes, comme celles de 1999 et de 2009, et de sécheresse, telle celle de 2018-2019, qui rend les arbres vulnérables aux insectes et aux champignons parasites. Or, contrairement au secteur agricole, ces dégâts naturels ne sont pas indemnisés en forêt.

Un déficit commercial qui se creuse 

De plus, l’insuffisante articulation entre l’amont et l’aval de la filière se traduit par un déficit commercial important (7 milliards d'euros) qui ne cesse d'augmenter. "La spécialisation de la filière n’est pas favorable : elle exporte beaucoup de bois brut et importe de plus en plus de produits transformés, souligne la Cour. L’industrie de première transformation du bois est insuffisamment adaptée à son marché, ce qui contraint l’industrie de deuxième transformation à importer des sciages et des bois élaborés." Une large partie du déficit est liée aux secteurs de la construction, du papier-carton et de l’ameublement, dont la production a chuté en France depuis vingt ans, constate-t-elle également. Ce repli économique de la filière forêt-bois affecte de nombreux territoires ruraux, dont elle est parfois la première activité et source d’emplois.

Des enjeux environnementaux de premier plan

À ce contexte de crise s'ajoutent les enjeux liés au réchauffement climatique et aux engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui confèrent à la filière forêt-bois un rôle de premier plan. Outre sa fonction de stockage de carbone, la forêt assume de nombreuses fonctions environnementales et sociales - préservation de la qualité de l’air et de l’eau, de la biodiversité et des paysages, chasse, promenade et autres activités récréatives - et bénéficie ainsi de multiples régimes de protection, comme les parcs naturels, réserves naturelles, zones Natura 2000, rappelle la Cour qui constate aussi que les "aménités" de la forêt (climat, biodiversité et services récréatifs) "ne sont encore que marginalement financées".

Des efforts de structuration de la filière restés "insuffisants"

Face aux difficultés qui perdurent, les Sages estiment que les efforts de structuration, tant au sein de la filière que des pouvoirs publics, "sont restés insuffisants". Le constat établi par la Cour en 2014 n’a selon eux pas changé : "la gouvernance de la filière est faible et éclatée, tant du point de vue des organisations professionnelles que des administrations et organismes publics". "La filière est fragmentée et insuffisamment intégrée : la coopération entre les organisations interprofessionnelles de l’amont (France Bois Forêt, créée en 2004), de l’aval (France Bois Industries Entreprises, créée en 2011) et régionales (regroupées dans France Bois Régions, créée en 2012), reste insuffisante". "La filière ne mène aucune action collective au niveau européen, contrairement à la plupart des autres filières", regrette encore la Cour qui note cependant "des progrès" comme le comité stratégique de la filière forêt bois qui promeut des projets fédérant la filière, tels que la veille économique mutualisée, mise en œuvre depuis décembre 2019.
"L’action publique s’efforce d’articuler diverses politiques sectorielles d’importance : la politique forestière, confiée au ministère de l’agriculture, les politiques de prévention des risques naturels, de préservation de la biodiversité, de l’énergie et de lutte contre le réchauffement climatique relevant du ministère de la transition écologique, la politique du logement conduite par le ministère de la cohésion des territoires et la politique industrielle menée par le ministère de l’économie", note la Cour. Mais "la filière forêt-bois ne constitue (…) la priorité d’aucun de ces ministères, chargés d’autres enjeux sensibles (agriculture, énergie, logement)", regrette-t-elle, rappelant avoir déjà pointé dans son rapport de 2014 "la faiblesse du pilotage interministériel de la politique de soutien à la filière forêt-bois".

Une politique qui manque de "lisibilité"

De plus, malgré une vaste panoplie d’outils de planification, spécifiques à la filière (contrats de filière, programme national forêt-bois…) ou plus larges (stratégie nationale bas carbone, etc.), "la politique en faveur de la forêt et du bois manque de lisibilité et de stabilité", pointe la Cour. Selon elle, "la succession rapide de plans perturbe le travail de suivi et d’évaluation de ces actions". À ses yeux, "l’échelon régional est bien adapté aux enjeux de la forêt et du bois" alors que l’État peine à déployer les leviers de structuration de la filière dont il dispose. "En amont, les documents de gestion ne concernent encore que la moitié des surfaces forestières et ne sont réalisés qu’aux trois quarts, note la Cour. Le développement de la gestion groupée des forêts se heurte à des coûts de transaction trop élevés et à une trop grande complexité des règles, comme le montre le faible succès rencontré à ce jour par les groupements économiques et environnementaux forestiers (GIEEF) créés en 2014." "En aval, poursuit le rapport, la future réglementation environnementale RE 2020, en application de la loi Elan de 2018, en rendant obligatoire l’affichage du bilan carbone des matériaux de construction, devrait développer l’usage du bois, sous réserve des textes en préparation pour sa mise en œuvre. Les démarches de labellisation et de certification des matériaux en bois demeurent insuffisantes et à encourager, tout comme la collecte et l’analyse des données sur la filière forêt-bois, grâce à des outils numériques de télédétection pour mieux connaître l’état réel des forêts."

Des dépenses fiscales jugées "incohérentes"

Les soutiens publics à la filière forêt-bois, qui se sont élevés à 1,16 milliard d'euros par an en moyenne entre 2015 et 2018 (dont 5% provenant des régions et départements) ont été consacrés pour moitié (plus de 600 millions d'euros par an) au bois énergie. Pour la Cour, "les dépenses fiscales demeurent incohérentes avec l’objectif de gestion dynamique des forêts, auquel seuls 3% de ces dépenses sont dédiées, tandis qu’un quart des exonérations fiscales relève d’une vision patrimoniale de la forêt". De plus "les aides à l’amont forestier restent fragmentées et peu efficaces". "Tant le fonds stratégique forêt-bois, créé en 2014 par le ministère de l’Agriculture, que les appels à manifestation d’intérêt "Dynamic Bois", lancés par l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en 2015-2016, sont sous-exécutés, car complexes et peu incitatifs, tacle la Cour. En revanche, BPI France mène une action structurante sur l’aval de la filière, à travers les deux "fonds bois" lancés en 2009 et 2013 et un "accélérateur de PME" lancé en 2019.

Préserver la ressource et soutenir les industries de transformation

Alors que les enjeux tant économiques qu’environnementaux et climatiques de la filière forêt bois "n’ont pour le moment pas fait l’objet de réponses à la hauteur des objectifs", estime la Cour, elle émet huit recommandations réparties en deux grands axes d’action.
Le premier axe vise à préserver la ressource forestière et à soutenir les industries de transformation du bois. Selon elle, le déficit de plantation et de travaux d’amélioration de la forêt justifie la création d’un "fonds d’aide au repeuplement, d’un montant supérieur aux moyens existants, qui soit simple, stable et incitant à la qualité (via la certification des produits, voire à terme des professionnels)". "Ce fonds réunirait tous les financements existants, ainsi qu’une fraction du produit des enchères de quotas carbone européens, préconise-t-elle. Il serait géré par un opérateur tel que l’Ademe". Des garanties en matière environnementales doivent être apportées en contrepartie par la filière, ajoute-t-elle. "Le respect des contraintes environnementales applicables à certaines forêts doit être facilité par le développement des 'annexes vertes' dans les schémas régionaux de gestion sylvicole", préconise-t-elle. En outre, "les exonérations de droits de succession et d’impôts sur la fortune immobilière devraient être évaluées, notamment au regard de l’efficacité des contrôles des engagements en faveur d’une gestion durable des forêts. Abaisser l’obligation de disposer d’un document de gestion durable de 25 à 20 hectares, tel qu’envisagé par le ministère de l’agriculture, constituerait aussi selon elle "une bonne mesure". Forêts publiques et privées d’un même massif forestier devraient aussi selon elle pouvoir élaborer des documents de gestion communs.
"L’État doit intervenir sans délai pour faire prévaloir l’intérêt général qui s’attache à la régénération des forêts sur les intérêts tant des forestiers que des chasseurs", avance aussi la Cour. Selon elle, "les préfets de département doivent s’assurer de la bonne exécution des plans de chasse et de la fixation des prélèvements minimaux à un niveau suffisant et, dans les zones en déséquilibre marqué ou en cas de défaillance de la régulation par les plans de chasse, mettre en œuvre des mesures exceptionnelles (suspension des plans de chasse, battues administratives)". Elle juge aussi qu'il faudrait "encourager le paiement des services environnementaux rendus par la forêt". "L’expérimentation lancée par le plan biodiversité de faire rémunérer par les agences de l’eau les services environnementaux rendus par les agriculteurs devrait être étendue au secteur forestier", propose-t-elle.
Autre recommandation : "Le soutien aux industries de transformation de la filière doit être renforcé par une mise en œuvre ambitieuse des textes d’application de la loi ELAN sur la réglementation environnementale 2020 dans la construction de bâtiments". Afin d’éviter une augmentation des importations, il faudrait soutenir la production de matériaux de construction en bois au moyen d’un troisième fonds bois, à créer auprès de BPI France, préconise-t-elle.

"Un cadre cohérent, au plus près des territoires"

Cette politique de filière rénovée "doit être menée dans un cadre cohérent et au plus près des territoires", souligne-t-elle à l'appui de son second axe d’action. "Recentré sur ses missions, l’État doit adopter une gouvernance adaptée : un comité des directeurs généraux des ministères concernés doit être créé pour assurer la coordination interministérielle et, au besoin, un comité interministériel de pilotage, afin de prendre les arbitrages nécessaires et d’assurer un meilleur suivi des multiples plans existants, recommande la Cour.
L’État doit aussi veiller à ce que la filière poursuive sa structuration, par exemple en conditionnant chaque extension de l’accord interprofessionnel sur la cotisation interprofessionnelle étendue (ex-CVO) à une évaluation de l’intérêt pour la filière des dépenses financées et de la gouvernance de l’interprofession de l’amont. 
L’échelon régional et local doit quant à lui "être valorisé" et "davantage de moyens doivent être donnés aux services déconcentrés de l’État". "Les synergies entre acteurs publics et privés de la filière sont à développer, en utilisant pleinement le potentiel d’orientation de l’ONF, dont la réforme est attendue, et du CNPF [Centre national de la propriété forestière, ndlr] dont l’articulation des compétences et des financements avec les chambres d’agriculture doit encore être clarifiée, afin d’éviter les doublons", poursuit le rapport. Enfin, conclut-il, "l’État doit soutenir les acteurs de la filière dans la communication sur la gestion durable des forêts, qui ne saurait reposer uniquement sur les acteurs privés".

 

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