Fibre à 100% à Mayotte : le choix d'un opérateur régional au détriment du géant national Orange
En confiant à Mayotte THD, filiale du groupe Océinde, et non à l'opérateur historique Orange, le déploiement intégral de la fibre optique sur son territoire, Mayotte tourne une page. Ce choix marque la fin d'une longue inégalité d'accès au très haut débit et adresse un message fort en matière de gouvernance et d'aménagement du territoire.

© Département de Mayotte/ Pose de la 1ère armoire de fibre optique le 20 mars à Kawéni
C'est une annonce qui dépasse largement le cadre local. Le 25 mars 2025, le conseil départemental de Mayotte et la préfecture ont officiellement présenté le projet de couverture intégrale de l'île en fibre optique. Une ambition confirmée trois mois seulement après le passage dévastateur du cyclone Chido. Ce jour-là, les élus siégeaient dans un hémicycle privé d'eau, d'électricité et de réseau, mais tenaient à voter l'attribution d'un contrat stratégique : la délégation de service public (DSP) pour apporter le très haut débit à l'ensemble des foyers mahorais.
Le conseil départemental mahorais avait lancé un appel d'offres pour sélectionner un opérateur en mesure de construire un réseau FFTH (Fiber To The Home), dans le cadre d'une DSP de trente ans. Mayotte THD, filiale d'Océinde était en compétition avec Orange. C'est l'opérateur de télécommunications très actif à La Réunion depuis près de quinze ans qui a remporté cette DSP, à l'issue d'un dialogue compétitif entamé en 2022. "L'offre la plus aboutie techniquement et économiquement", a souligné Zamimou Ahamadi, vice-présidente du conseil départemental. Cette décision acte le choix d'un opérateur régional au détriment du géant national Orange, qui n'a jamais véritablement comblé le retard numérique de Mayotte.
Camouflet pour l'opérateur historique
Le maillage insuffisant et inégal a longtemps constitué un frein au développement numérique de l'île. En choisissant de se tourner vers un autre acteur pour déployer un réseau 100% fibre, les autorités locales et l'État envoient un signal clair : "Il ne faut surtout pas que l’histoire se répète !", insiste Patrick Chaize dans le communiqué de l'Avicca du 25 mars.
Pour Mayotte, ce choix est une manière de reprendre la main sur un service public essentiel. Pour Orange, c'est un pied de nez : "l’enjeu de l'inclusion territoriale, dans une île où, pour des raisons historiques, la couverture du réseau cuivre de France Télécom/Orange est toujours restée parcellaire, la perspective que chaque Mahorais puisse enfin accéder à un Internet de qualité, partout sur l'île, devient tangible", souligne l'Avicca. C'est aussi un précédent qui pourrait inspirer d'autres collectivités en quête de solutions alternatives aux grands opérateurs nationaux.
Péréquation pour l'outre-mer
Le projet mahorais se distingue par son modèle économique. Il prévoit une péréquation territoriale : les zones denses, potentiellement rentables, contribueront au financement des zones plus difficiles d'accès. Cette approche permet de réduire le besoin en subventions publiques, tout en assurant un déploiement homogène sur l'ensemble de l'île. Mayotte THD injectera en cinq ans 50% des 183 millions d'euros (91,9 millions d'euros) nécessaires pour fibrer les deux îles habitées de l'archipel. L'Etat (55 millions d'euros) via le plan France Très Haut Débit, le programme européen via le Feder (10 millions) et le département (26,1 millions) apporteront l'autre moitié de l'investissement.
Ce partage des charges vise à garantir un équilibre économique durable. L'infrastructure construite sera la propriété de la collectivité évitant ainsi toute dépendance à long terme à un acteur privé. À terme, l'objectif est clair : faire de la fibre un bien public, au service du développement social, économique et éducatif d'un territoire encore très éloigné des standards métropolitains.
Un accès équitable au numérique pour tous
Pour les habitants, cette annonce ouvre une ère nouvelle. L'inégalité d'accès à Internet est une réalité quotidienne à Mayotte, où le réseau cuivre n'a jamais été déployé de manière homogène. Le déploiement de la fibre optique marque donc la première véritable opportunité d'un accès équitable au numérique pour tous. Ce chantier vise à permettre aux Mahorais de bénéficier de la fibre dès 2026 et de raccorder plu de 60.000 foyers, d'ici 2030. Le chantier, organisé en grandes phases, prévoit la pose de 3.000 km de câbles, la mise en service de deux câbles sous-marins entre Petite-Terre et Grande-Terre. Il s'agit aussi de lutter contre l'isolement, le sous-développement de certains services publics et la déscolarisation partielle des élèves, accentuée après le cyclone.
Cette avancée s'inscrit dans un plan plus large : "Mayotte debout", projet gouvernemental de reconstruction et de transformation, dans lequel la connectivité numérique tient une place centrale. "Cette DSP sera la colonne vertébrale pour remettre Mayotte debout", a conclu Patrick Chaize, saluant à la fois la résilience des élus locaux et l'engagement de l'État. Mayotte Fibre sera également au cœur de la création économique et de la formation pour les Mahorais. L'arrivée de la fibre permet de créer 300 emplois directs dans le déploiement et la maintenance du réseau, ainsi que 1.500 emplois indirects dans les services numériques et les télécommunications.
Vers un 100 % FttH sur l'ensemble du territoire national
Avec ce projet, Mayotte vient refermer la dernière grande page blanche du Plan France Très Haut Débit. Alors que l'ensemble des régions françaises ont lancé ou achevé leurs réseaux d'initiative publique, l'île de l'océan Indien restait jusqu'ici à la traîne, faute d'investissement, d'opérateur impliqué et de stratégie partagée.
Et si le pari est tenu, la France pourra revendiquer, d'ici quelques années, une couverture FttH à 100% de son territoire, y compris dans les outre-mer. Une ambition qui, si elle réussit à Mayotte, prouvera qu'il est possible d'universaliser l'accès au numérique — à condition de sortir des sentiers battus.