Un web-récit pour favoriser l’acceptation d’une réserve naturelle (06)

« Félix et le trésor des gorges rouges » est un site internet interactif qui raconte l’histoire de deux personnages dans les gorges rouges, où se situe réserve naturelle régionale de Daluis. Héroïne de fiction, Camille part en 2019, suivant les traces de son arrière-grand-mère et de Félix, premier amour de celle-ci. Au fil de ses découvertes (Camille les raconte dans le web-récit et sur son compte facebook), l’internaute prend connaissance du territoire de manière poétique et ludique.

Un comité de rédaction

« Avec la réserve créée en 2012, notre défi est de préserver ce territoire de montagne qui n’est qu’un lieu de passage pour les habitants. Il s’agit de leur faire découvrir et aussi de valoriser et de protéger cet espace naturel, très convoité par les activités de pleine nature », explique Stéphanie Larbouret, conservatrice. Mais comment faire participer les habitants et tous les acteurs concernés ? Un comité de rédaction a réuni associations de territoire, organisations liées au patrimoine et à la nature, anciens des villages de Daluis et Guillaumes… « Nous nous sommes donné du temps, les gens ont fait des propositions, les idées ont émergé pour déboucher sur celle d’un web-documentaire. » En parallèle, deux personnes en service civique ont recueilli les souvenirs des anciens, notamment ceux des résidents de l’établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Guillaumes. « Le territoire est fait par les gens qui le vivent et l’ont vécu, explique Guy Maunier, maire de Daluis et conseiller communautaire. Il était très important pour nous que cet outil de communication allie la mémoire des hommes et le territoire lui-même. »

Un outil iconoclaste

L’agence Anecdoc qui accompagne le projet va plus loin que le documentaire en faisant valoir la force de la fiction : le personnage de Camille est créé et l’internaute découvre la réalité de la vie du territoire et de ses habitants grâce à des vidéos, des portraits, des interviews, des photos, des textes, des animations, des sons… « Sur les traces de Félix, l’internaute entre en contact, ressent, comprend, s’approprie. Le projet a été volontairement conçu pour l’ordinateur afin de prendre le temps de regarder et d’écouter l’histoire », précise Stéphanie Larbouret. Autre vecteur de la réussite : « l’engagement de la responsable de l’agence a été essentiel, ainsi que la confiance que les élus nous ont accordée. » Et justement les élus, comment ont-ils été convaincus ? « Lors de la première réunion sur le sujet, la majorité d’entre eux était interloquée. Mais nous avons fait ce choix pour son innovation et parce que la démarche se fondait sur une alliance entre la mémoire des habitants et le territoire naturel. Une confiance s’est établie avec l’équipe de la réserve que je remercie vivement », dit Guy Maunier. Cet engagement se traduit financièrement : les 50 000 € nécessaires à la réalisation du web-récit et de sa diffusion ont été financés pour 10 % par la communauté de communes Alpes d’Azur, 40 % par la région, et 60 % par le fonds européen Leader.

Préservation et développement

La campagne a reçu deux prix : le Grand Prix Cap'Com 2020 et le Prix Territoria Or du ministère de la Cohésion sociale. Elle a en outre, été lauréate du prix Leader 2021. Mais au-delà des distinctions, le succès de la démarche se mesure sur le terrain, avec d’autres acteurs qui s’emparent aujourd’hui de l’histoire de Félix racontée par Camille : le centre d’interprétation, une agence de voyages, une association de la commune de Guillaumes s’en inspirent actuellement. « Même s’il est difficile de mesurer l’impact du web-récit relativement aux actions de sensibilisation plus classiques, il est évident que la notoriété de la réserve et du territoire a grandi. En dix ans, nous avons accueilli 743 élèves tandis que 48 scientifiques experts ont été mobilisés. Et nous n’avons pas noté à ce jour de rejet ou de remise en question de la réserve », précise la conservatrice. Le chemin semble donc ouvert pour agrandir le territoire protégé : « Nous voulons multiplier par trois sa surface actuelle de 1 082 ha afin de disposer d’un espace plus cohérent sur les plans géographique et topographique. » Quant aux élus, ils constatent que les habitants se sont vraiment approprié la réserve. Il s’agit maintenant de continuer à la faire connaître et d’animer cet élan d’accueil, dirigé à la fois envers des visiteurs et une nouvelle population. Depuis quelques années, en effet, plusieurs familles se sont installées à Daluis, des naissances ont eu lieu, et la petite école est toujours ouverte. De plus, la réserve représente un pôle d’attraction au service d’un tourisme à échelle humaine. « Au printemps, la boucle du balcon des Gorges sera opérationnelle et la commune de Daluis a prévu de nouvelles places de stationnement, des sanitaires, une salle d’exposition liée à la visite de la grotte du Chat, une cavité protégée située sur la commune », explique Guy Maunier. Reste à la municipalité à trouver un nouvel exploitant pour l’auberge de Daluis et les chambres d’hôtes, poste aujourd’hui disponible.