Le Mené, 50 ans de coopération et de détermination collective au service du développement local (22)
Il y a 50 ans, ce secteur de Bretagne centrale regroupant quelques bourgades - Merdrignac, Collinée et Plémet était selon les mots de Paul Houée, une figure du développement local "une zone anonyme, à l’écart de tout, ne survivant que par une économie essentiellement paysanne… dans une production peu élaborée…et n’ayant comme horizon que ses clochers, avec au ventre la constante hantise de la misère et de la faim". Aujourd’hui, ce territoire a une identité– le Mené – et met en œuvre un programme d’autonomie énergétique à l’horizon 2030 en combinant diverses sources : bois, vent, soleil et méthanisation du lisier et autres déchets…fruit de 50 ans de coopération et de détermination collective.
Il y a une cinquantaine d’années, un esprit de résistance face au déclin démographique et aux difficiles conditions de vie données par une terre avare en ressource s’est cristallisé sur ce territoire de Bretagne, autour des mouvements agricoles locaux et d’une figure visionnaire impliquée dans le développement du territoire. Cet héritage a posé les bases d’une dynamique de coopération territoriale élargie associant aujourd’hui les acteurs de la société civile, agriculteurs, et élus. Ils co-construisent et mettent en œuvre un projet à long terme d’autonomie énergétique construit sur la valorisation des ressources locales, au service du développement économique du territoire.
La genèse
La mobilisation des acteurs du Mené s’est construite dans un contexte singulier, celui d’un territoire enclavé et pauvre, marqué par la dépendance à un établissement de l’agro-industrie associé à des pratiques agricoles intensives. En trente ans, les anciens abattoirs Gilles renommés Kermené se sont développés sur ce territoire pour constituer l'un des plus importants sites européens d'abattage, employant jusqu’à 3.000 employés dans les secteurs de la découpe et de transformation de produits carnés. Il fournit l'ensemble des magasins de l'enseigne E. Leclerc en produits de boucherie et de charcuterie, destinés à la fois à la vente traditionnelle à la coupe et aux rayons libre-service.
Emergence d’une stratégie territoriale de valorisation des potentiels énergétiques locaux
Dans ce contexte territorial, la question environnementale a émergé peu avant le tournant des années 2000, alors que l’approche "pollueur-payeur" commençait à surgir dans le débat public, et face à la prise de conscience de devoir faire évoluer des pratiques d’épandage très intensives sur ce territoire au sol très pauvre. Cette prise de conscience se double d’une réflexion de portée plus globale portant sur la raréfaction progressive des énergies fossiles.
Une association est alors créée ayant pour but de trouver des solutions à cette problématique qui engage le devenir du territoire. Un voyage d’étude au Danemark mobilise élus et agriculteurs dans le but de conforter l’idée première de développer un projet de compostage. Ils en reviendront avec la conviction, nouvelle à l’époque, de promouvoir la production d’énergie en transformant les déchets fermentescibles générés par les activités locales, en s’appuyant sur le procédé de la méthanisation.
En 2001, l’arrivée d’une nouvelle équipe municipale élargit la problématique et dessine les contours d’un nouveau projet de territoire dans lequel le projet de méthanisation prendra tout son sens. Il s’intègrera dans un projet global qui mettra également l’accent sur la dimension économique, en posant l’objectif de générer et favoriser le maintien d’activités et de revenus sur le territoire.
Le bureau d’étude spécialisé mobilisé pour valider la faisabilité des options posées chiffre à 9 millions d’euros le manque à gagner pour le territoire, correspondant à la contribution financière consolidée du territoire mobilisée pour faire l’acquisition d’énergie.
Pour maintenir cette richesse sur le territoire, les potentiels exploitables sont identifiées : vent, biomasse, soleil seront les vecteurs de la relocalisation de ces revenus.
Double légitimité
Pour atteindre les objectifs visés, les acteurs locaux se trouvent alors confrontés à une question de méthode. Une rencontre avec un ingénieur de haut niveau, manager au sein d’une grande firme industrielle et prêt à mettre à disposition son réseau relationnel et ses compétences au service du projet territorial sera décisive. La double légitimité, technique et économique, d’un côté, politique et orientée sur l’intérêt général et du territoire, de l’autre, sera la clé de la réussite de cette démarche permettant de nouer des partenariats d’égal à égal avec des opérateurs énergéticiens.
La maîtrise locale des projets, fil directeur de la stratégie de développement des énergies renouvelables sur le territoire
Les projets créés positionnent parfois la collectivité en tant qu’actrice de solutions énergétiques. Des infrastructures sous maîtrise d’ouvrage publique comme le réseau de chaleur installés sur la commune de Gouray ou les chaufferies bois destinés à alimenter les bâtiments publics et privés se situent dans ce cas de figure. Elle est aussi parfois prescriptrice de solutions, dans le cadre de construction de logements sociaux par exemple où elle a pu promouvoir des solutions alternatives au chauffage classique.
Mais l’affirmation de son positionnement se révèle dans le rôle de facilitateur, et médiateur de poids qu’elle joue entre les opérateurs énergéticiens et les collectifs de citoyens locaux qu’elle contribue par ailleurs à mobiliser pour s’investir dans le financement et la gouvernance de projets : parcs éoliens, usine de méthanisation, huilerie collective , projet expérimental de stockage d’énergie valorisant les entrepôts frigorifiques.
Sa capacité à influer sur l’organisation de démarches collectives, avec des doubles entrées, garantes de l’intérêt général, et en capacité à organiser le dialogue et la négociation avec les opérateurs publics lui permettent aujourd’hui d’atteindre 35% de son objectif d’autonomie énergétique, envisagée à l’horizon 2030.
Un réseau de chaleur assure la valorisation de la biomasse produite localement
Le réseau de chaleur au bois de la commune du Gouray a été le premier réseau de chaleur du département des Côtes d’Armor à assurer le chauffage de bâtiments privés et publics. La commune assure avec la communauté de commune du Mené l’approvisionnement en combustible.
D’une longueur de 950 m, le réseau chauffe 4.300 m2 Les bâtiments raccordés sont à la fois publics et privés : mairie, école, restaurant scolaire, centre de loisirs, garderie, médiathèque, salle polyvalente, atelier communal pour la partie publique et restaurant, garage, cabinet médical, salon de coiffure, coccimarket, salle de résidence, ainsi que 27 maisons d’habitations pour la partie privée. Le réseau de chaleur fournit également l’eau chaude sanitaires pour le restaurant La Roche d’Or et le restaurant scolaire. La chaufferie possède un silo de 25 tonnes de capacité en plaquettes sèches. La chaudière bois dispose d’une puissance de 320 kWh et une chaudière à mazout de 500 kWh prend le relais dans les périodes les plus froides et assure le secours éventuel. La commune s’est dotée d’une plateforme pour stocker et sécher son bois déchiqueté. Le combustible utilisé est local et provient de l’entretien de haies bocagères, de coupes rases de bosquets et de déchiquetage de rémanents de coupes en forêts ou sur des plantations. La commune assume avec la communauté de communes du Mené toute la logistique allant de l’achat du bois à l’abattage, au déchiquetage et au transport à la plate-forme.
Valorisation de la ressource vent
En 2005-2006, un parc de six éoliennes s'est monté sans que la collectivité puisse prendre part dans les choix économique et de gouvernance. Delà, élus se sont jurés que le prochain parc serait participatif.
Le territoire ayant pour particularité de bénéficier d’une implantation sur une ligne de crête bien exposée est-ouest, un nouvel opérateur n'a pas tardé à se présenter. Les élus imposent les conditions à la société qui porte le projet et lui proposent que des citoyens participent au financement de l'opération à hauteur de 30% des investissements. Ce sera le parc éolien participatif des landes du Mené.
147 habitants du territoire du Mené détiennent ensemble 30% du capital
Une société est créée en 2012 sous forme d’une société par action simplifiée (SAS), Citéol, qui joue le rôle de maître d'ouvrage du projet. Vingt personnes investissent chacun 600 euros. A ce stade de la recherche développement, il s'agit d'un investissement risqué, car le projet n'est qu'en phase d'étude et peut très bien ne pas se réaliser. Le projet passe sans difficulté l'épreuve de l'enquête publique, aucun recours n'est déposé.
Dès lors ses promoteurs n'ont aucune difficulté à regrouper 147 personnes, qui apportent les 30% nécessaires au lancement des travaux : 600.000 euros de fonds propres.
Depuis, la SAS Citéol Mené réunit en son sein une société coopérative la Sicap (société d'intérêt collectif agricole de Pithiviers) qui détient 70% du capital, et les Cigales des Cîmes qui regroupent les 147 familles du territoire du Mené qui ont participé au financement des fonds propres. Avec un taux de rendement de 8,5%, le projet assure des revenus qui n’auraient pas été capté par le territoire si le projet avait été porté par le seul opérateur.
Equivalent de la consommation de 3.000 foyers
Inauguré en 2013, le parc éolien participatif des landes du Mené produit 14,5 millions de Kwh/an, soit l'équivalent de la consommation de 3.000 foyers. L'objectif d'autonomie énergétique que s’étaient fixé les élus en 2005 se rapproche, d'autant qu'un nouveau parc de dix éoliennes est en projet. Il sera réalisé avec la même société et fera l’objet également d’un financement participatif.
Cette monographie a été rédigée dans le cadre du dossier Entrepreneuriat de territoire décrivant des dynamiques innovantes portées au sein des territoires.
Commune nouvelle du Mené
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