Alpes-Maritimes : un défi trinational pour la Riviera française
Entre Monaco et l'Italie, limitée au nord par les Alpes et au sud par la mer, la communauté d'agglomération de la Riviera française (Carf) - qui regroupe autour de Menton 70.000 habitants et 9 communes - doit faire face à de nombreuses contraintes. La plus importante est un foncier disponible réduit du fait d'un relief tourmenté ou neutralisé sur 70% de son territoire par les lois Littoral et Montagne ou les PPR (plan de prévention des risques). Un handicap qui pousse la communauté à trouver ailleurs les emplois et les espaces nécessaires à ses activités et ses logements. Et cet ailleurs est constitué pour Menton par deux Etats souverains : Monaco et l'Italie. Voilà qui complique singulièrement son projet de développement territorial qui doit tenir compte de cette approche trinationale, faisant ainsi de la Carf un laboratoire d'intercommunalité transfrontalière par nécessité. Ce n'est pas un hasard si dans sa dénomination la communauté emploie le terme de Riviera, appliquée habituellement à la côte italienne voisine, pour se distinguer de la Côte d'Azur qui englobe le littoral du Sud-Est de la France. Une situation qui implique une approche différente des problèmes, compte tenu d'une principauté qui fournit l'emploi, d'un pays mentonnais dont les seuls atouts sont la qualité de vie et la capacité d'accueil et d'un bassin italien voisin (province d'Imperia) possédant les possibilités d'aménagement.
Un laboratoire de coopérations intercommunales trinationales
Dès 1997, l'Etat a reconnu cette singularité de Menton en lui attribuant le rôle de pilote de la mission opérationnelle transfrontalière, dont Jean-Claude Guibal, le député maire, détient la vice-présidence. L'Union européenne, de son côté, a installé le secrétariat permanent de la commission mixte franco-italienne d'Intereg III pour la zone alpine du mMont Blanc à la Méditerranée.
Captage d'eau, formation universitaire, santé, activités économiques et demain traitement des déchets et transports, la coopération avec Monaco ou l'Italie s'impose ainsi année après année. Le captage de l'eau de la Roya en 1972, une opération française en territoire italien, a lancé cette coopération transfrontalière. Aujourd'hui, la communauté d'agglomération bénéficie de cette eau potable italienne. Et au cours de l'été, la société Nymphea Water a engagé une opération innovante de captage d'une source sous-marine en territoire italien. Autre étape de la coopération : la formation, avec la création du département "Statistiques et traitements informatiques des données" de l'IUT de Menton, seul en France à bénéficier de la double nationalité (via un partenariat avec l'université de Gênes). Italiens et Français suivent un enseignement délivré dans les deux langues. "Nous souhaitons créer un DESS de droit comparé (France-Monaco-Italie)", annonce le deputé-maire. Reste à résoudre le problème du logement des étudiants dans une ville où les loyers sont élevés.
Pour des services en commun
La santé n'a également plus de frontière depuis que le centre hospitalier de Menton et l'agence sanitaire locale d'Imperiese (Impéria) ont mis en commun, en 2001, leurs structures et compétences aux services des 130.000 habitants du bassin de vie franco-italien. Les Mentonnais peuvent ainsi utiliser le centre de dialyse de Vintimille ou le scanner de l'hôpital de Bordighera, faute d'équipements au centre hospitalier mentonnais. En septembre, un centre périnatal transfrontalier a ouvert ses portes au centre hospitalier de Menton. Un gynécologue français, un pédiatre italien et une sage-femme bilingue pourront traiter les 850 naissances enregistrées chaque année dans cette zone allant de Menton à Imperia. Il sera complété prochainement par un centre franco-italien pour grossesses à risques. Enfin, le traitement des déchets urbains de la zone Monaco, Menton et Imperia, fait l'objet d'une prochaine étape. Les Italiens sont prêts à accueillir le champ d'épandage, alors que pour le site de l'usine de traitement la création de la communauté d'agglomération a largement facilité les candidatures parmi les communes membres.
L'économie sera franco-italo-monégasque
Le point faible de Menton et de la Riviera française, c'est son économie. "La faiblesse de la base imposable en taxe professionnelle, place la Carf à la quatrième place en France des communautés ayant le moins de ressources", précise Jean-Claude Guibal. Et pour la combler, la dotation gouvernementale a été portée à 70 euros par habitant contre 38 euros en moyenne.
"Pour élargir la base imposable, il faut créer un réseau transfrontalier de sites d'activités." Avec l'aide du conseil général et de l'établissement public foncier régional, la communauté d'agglomération a acquis les emprises foncières de l'ancien site de Gaz de France à Roquebrune-Cap-Martin (17.000 m2), sur lequel sera aménagé un site d'activités. Un terrain de 60 hectares sur la commune de Peille pourrait accueillir un site associé à Sophia Antipolis, en coopération avec la principauté de Monaco. Vintimille, de son côté, étudie un projet similaire sur 60 hectares situés dans la basse vallée de la Roya. "Malheureusement, nous n'avons aucune possibilité d'intervenir directement ni d'y percevoir les taxes fiscales. Nous aurons donc les charges des salariés (logement, éducation, soins?), sans en avoir les recettes", regrette le député-maire. Et de miser sur le tourisme : la Carf souhaite profiter des Jeux olympiques d'hiver de Turin en 2006. "Nous favorisons un complexe hôtelier de 150 à 250 chambres avec un centre de thalassothérapie et de remise en forme", pour être retenu dans les capacités d'accueil et recueillir quelques retombées de l'événement.
Michel Bovas / Innovapresse Nice pour Localtis
"Notre développement ne peut se concevoir que dans un espace franco-italo-monégasque"
Jean-Claude Guibal est député-maire de Menton et président de la communauté d'agglomération de la Riviera française.
Quel est le positionnement de la Carf vis-à-vis de Monaco et de l'Italie ?
Notre bassin d'emploi, c'est d'abord Monaco, alors que notre bassin de vie est à cheval sur la France et l'Italie. Aussi notre projet de développement territorial, en cours d'élaboration, ne peut se concevoir que dans un espace franco-italo-monégasque. Pour conserver ou créer certains équipements, nous devons raisonner tous les trois en terme de masse critique démographique.
Comment bâtir des projets communs ?
Notre rôle est de faire que notre entité, face à Monaco et l'Italie, conserve son identité en tirant le meilleur profit des collaborations avec nos grands voisins. Jusqu'ici Menton a eu des difficultés à monter des partenariats sur des opérations ciblées, faute d'un outil juridique approprié permettant de travailler au-delà des frontières. L'aboutissement du projet d'hôpital transfrontalier aurait pu être plus court si on avait obtenu un droit d'expérimentation juridique transfrontalière, comme les zones franches.
Et pour simplifier à l'avenir ?
La Carf a déposé récemment sa candidature comme territoire transfrontalier au titre de la loi organique du 1er août dernier qui stipule que certains groupements ou collectivités peuvent déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives ou réglementaires pour un objet et une durée limitée.
Un espace imbriqué
Menton et Monaco, c'est une longue histoire. En 1861, après le rattachement du comté de Nice, la principauté cédait à la France les communes de Menton et de Roquebrune-Cap-Martin. Un lien historique fort unit également Menton et ses voisins italiens.
4.500 Mentonnais, soit un tiers des actifs, trouvent un emploi à Monaco, qui constitue avec 32.000 emplois un pôle économique drainant les actifs de Menton à Cannes ou venant d'Italie. "Monaco, hors de notre communauté, est pourtant un élément essentiel de notre schéma de cohérence territoriale", souligne Jean-Claude Guibal. Logements, transports, traitement des déchets... les sujets de discussions de la communauté d'agglomération avec les autorités de la principauté ne manquent pas. Monaco ne faisant pas partie de l'Union européenne, les projets sont difficiles à monter. "Tout accord nécessite l'aval préalable du ministre des Affaires étrangères, c'est lourd alors que la concertation doit être quotidienne tant la principauté est imbriquée dans le tissu mentonnais." Aujourd'hui, la création de la Carf permet d'avoir un interlocuteur face à la principauté, qui traitait auparavant au cas par cas avec les communes. "Désormais nous aurons du poids dans nos discussions."
"Durant des siècles, le Mentonnais a vécu d'étroites relations humaines et économiques avec les Génois et les Piémontais, poursuit le député-maire. Et Turinois et Milanais trustent plus de 30% des transactions immobilières dans notre ville où ils constituent désormais une communauté qui compte." Un assaut pacifique qui déstabilise le marché du logement, excluant des actifs et des fonctionnaires à l'accès au logement sur le territoire de la Carf. "Les rares terrains disponibles sont réservés aux logements et le reste est gelé par les lois Littoral et Montagne et des plans de prévention des risques" déplore le député-maire. Le plan local de l'habitat, mis à l'étude par la Carf, va devoir s'efforcer d'organiser une offre à l'intention des actifs.
La Riviera française : constitution, compétences et projets
En 2 ans, la communauté d'agglomération s'est aggrandie et a trouvé un équilibre, les projets suivent.
La communauté d'agglomération de la Riviera française a été créée par arrêté préfectoral le 27 septembre 2001. Au départ, elle regroupait les communes de Beausoleil (partie française de Monaco), Castillons, Menton (ville centre avec 29.000 habitants), Roquebrune-Cap-Martin, Sospel et Moulinet, soit 57.000 habitants. En 2002, Gorbio, Peille, Sainte-Agnès et La Turbie ont rejoint la communauté soit 8.000 habitants supplémentaires. Ces dix communes forment une des quatre communautés d'agglomération des Alpes-Maritimes. Son périmètre concerne approximativement tout le bassin de l'est du département entre Monaco et l'Italie (640 km2, soit 5% du territoire des Alpes-Maritimes).
Son budget en 2003 s'élève à 30 millions d'euros.
La communauté s'est dotée de quatre compétences : le développement économique ; l'aménagement de l'espace, avec un schéma directeur, l'organisation d'une zone d'aménagement concertée, l'organisation des transports urbains et des transports scolaires ; l'équilibre social de l'habitat, avec la mise en place d'un programme local de l'habitat et de politique du logement ; et la politique de la ville, avec la mise en place de dispositifs contractuels de développement urbain local et d'insertion économique et sociale, et la prévention de la délinquance.
Outre son contrat d'agglomération, la communauté boucle actuellement son programme local de l'habitat (PLH). Elle travaille sur son Scot (schéma de cohérence territoriale), sur les transports urbains et transports scolaires et sur le traitement des ordures ménagères.
Aller plus loin sur le web :
Site internet de la commune de Menton.
http://www.villedementon.com
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