Attentats - Etat d'urgence et terrorisme : "Les maires ont un double rôle à jouer"
La France est confrontée à "un paradigme qui n'est pas conjoncturel", contrairement aux attaques ponctuelles du passé, a déclaré l'avocat Thibault de Montbrial, invité de la commission Sécurité de l'Association des maires d'Ile-de-France (Amif), mercredi 25 novembre. Une commission exceptionnellement ouverte à la presse sur le thème : "Les maires d'Ile-de-France et l'état d'urgence". "Nous sommes l'objet d'une attaque organisée depuis le Moyen-Orient mais exécutée (…) par de jeunes Français" et "personne n'imagine que la problématique puisse s'arranger dans les mois ou années qui viennent", a-t-il souligné. C'est une affaire de "dix-quinze ans minimum", a-t-il estimé.
Derrière le traitement de fond que la radicalisation suppose, les maires sont en attente d'informations sur leur rôle dans la mise en oeuvre de l'état d'urgence qui va s'appliquer jusqu'à la fin du mois de février avec, dans l'intervalle, deux événements délicats à gérer : les fêtes de fin d'année et l'organisation de la COP 21 du 30 novembre au 11 décembre au Bourget, à laquelle participeront 147 chefs d'Etat et de gouvernement.
Remontées d'informations essentielles
"Le maire a un double rôle à jouer", a insisté Thibault de Montbrial. Tout d'abord "constituer l'interface entre la population du territoire qu'il administre et le préfet" et assurer les "remontées d'informations essentielles". Il doit aussi "garantir la sécurité des concitoyens dans le ressort de sa commune". Et renforcer la sécurité des sites sensibles, en complément des moyens déployés par l'Etat.
Alors que, dans le cadre de l'état d'urgence, les préfets peuvent notamment être amenés à instaurer un "couvre-feu" et "restreindre la circulation des personnes et des véhicules" dans des lieux et à des heures déterminés, les maires sont pour leur part chargés de la surveillance de la sortie des écoles, des rencontres sportives ou des fêtes… Or "les effectifs des policiers et gendarmes ne sont pas extensibles", relève le président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (Cris). "Tout le monde dit que l'opération Sentinelle est aujourd'hui exsangue et ne va pouvoir tenir que quelques mois", prévient-il. Auditionné au mois de mai par le Sénat, le général de Villiers, chef d'état-major des armées, avait déjà alerté sur ce problème, soulignant de surcroît que cette opération détournait les troupes de leur objectif premier. Pour Thibault de Montbrial, deux solutions s'imposent : le recours à des sociétés privées agréées, composées d'anciens militaires ou policiers, mais "surtout aux policiers municipaux". "Cela ferait partie d'un changement complet de logiciel sur la sécurité, notamment par rapport aux armes (...) Soixante-dix ans de paix nous ont lobotomisés. C'est terminé", a-t-il lancé. Selon l'avocat, la surveillance des marchés est une priorité. "C'est un endroit qui a été expressément ciblé par l'Etat islamique dans une vidéo."
Equipages de primo-intervenants
Les patrouilles municipales doivent se transformer en "équipages de primo-intervenants", c'est-à-dire, être en capacité d'apporter le premier niveau de riposte aux terroristes. Ce qui implique un budget pour les municipalités et la formation adéquate. "On ne peut pas dire que la police municipale est une sous-police qu'on va sous-armer", a mis en garde Thibault de Montbrial, avant d'appeler à "briser des tabous". Selon lui, le calibre 7,65 mm utilisé par la majorité des policiers municipaux est "totalement dépassé" et n'a "aucune puissance d'arrêt". Même les revolvers (à barillet) de calibre 38 sont limités ; la police nationale est passée aux pistolets (à chargeurs). Or ce sont 4.000 Manurhin de calibre 38 que le ministère de l'Intérieur a décidé en début d'année de confier aux municipalités. L'avocat demande aussi que les policiers municipaux puissent embarquer une "arme longue" type fusil à pompe à bord de leur véhicule.
Thibault de Montbrial demande également de revoir la question de la légitime défense et propose d'instaurer une "période de danger absolu" (PDA) pendant laquelle les règles d'ouverture du feu seraient élargies "pour adapter les ripostes à l'acte en cours". Enfin dernière préconisation : instaurer un dispositif d' "alerte attentat" copié-collé de l'alerte enlèvement.
Des problèmes de budget et de formation
Les élus de l'Amif se sont tous dits "d'accord avec tout ce qui vient d'être dit" mais ont souligné les problèmes budgétaires et de formation qu'une telle évolution impliquerait. Nombreux ont souligné les lourdeurs qui consistent à former de nouveau tout agent qui change d'affectation. "Il y aussi des polices municipales qui refusent l'armement, a aussi fait valoir Christian Robache, le maire (LR) de Montévrain (Seine-et-Marne). Pourquoi aujourd'hui, la police intercommunale qui a fait ses preuves n'est pas une compétence obligatoire de la réforme territoriale ?"
Nombreuses communes d'Ile-de-France ont par ailleurs répondu à la proposition du ministre de l'Intérieur d'armer leur police. "Saint-Germain-en-Laye, Poissy, Le Chesnay, Sartrouville et Maisons-Laffite, ndlr) ont reçu un accord de principe du préfet des Yvelines", a indiqué Elodie Sornay, adjointe au maire d'Achères, déléguée à la jeunesse. Dans le département, seule la police du Vésinet était armée jusqu'ici. "C'est assez nouveau dans les Yvelines. Le préfet avait toujours refusé", précise l'élue. On se souvient que, dans une circulaire du 29 mai 2015, le ministre de l'Intérieur avait demandé à ce que le refus des préfets devienne "exceptionnel" et soit motivé. En assassinant Clarissa Jean-Philippe, policière municipale de Montrouge, le 8 janvier, Amedy Coulibaly "voulait tuer du bleu", a insisté Thibault de Montbrial. "L'uniforme est le symbole de cette France honnie."