"Etat de la pauvreté" : la situation empire, témoigne le Secours catholique
Le rapport annuel du Secours catholique constate un recul en 2022 du niveau de vie médian des personnes accueillies par l'association, avec un nombre croissant de personnes en situation d'extrême pauvreté. La part des femmes augmente. Les mères isolées sont particulièrement vulnérables. Le même jour, l'Insee publiait une étude intitulée "Les inégalités et la pauvreté augmentent" portant quant à elle sur 2021. Le collectif Alerte demande des mesures d'urgence.
La pauvreté s'aggrave en France et les femmes et les enfants en sont les premières victimes, alerte le Secours catholique dans son rapport annuel "Etat de la pauvreté" publié ce mardi 14 novembre.
Le niveau de vie médian des personnes accueillies par l'association s'est établi à 538 euros par mois en 2022, constate le Secours catholique qui a analysé les données de 49.250 fiches renseignées par ses bénéficiaires. Cela représente un budget journalier de 18 euros pour subvenir à l'ensemble des besoins du ménage. Ce montant correspond à moins de la moitié du seuil de pauvreté, estimé par l'association à 1.211 euros cette année-là. En tenant compte de l'inflation, qui affecte particulièrement les prix des produits alimentaires et de l'énergie, cela représente un recul de 7,6% de revenus. "95% des personnes que nous rencontrons vivent sous le seuil de pauvreté (à 60% du revenu médian). Les trois quarts (74%) vivent même en situation d’extrême pauvreté (sous le seuil de 40% du revenu médian), contre 65% en 2017", écrit le Secours catholique.
"Les plus pauvres sont frappés par l'inflation, l'étau se resserre, les privations sont plus importantes sur des choses pas forcément visibles, comme le chauffage ou l'alimentation", a commenté auprès de l'AFP Adelaïde Bertrand, déléguée générale du Secours catholique. "Dans un contexte de forte inflation sur l’alimentation (+6,8% en 2022) et l’énergie (+23,1%), nos statistiques montrent une nette aggravation de la pauvreté en 2022, et tout porte à croire que cette dégradation se poursuit en 2023", peut-on de même lire dans le rapport.
"Féminisation de la pauvreté"
En termes de typologies, on constate que "la part des personnes dites 'inactives' continue d’augmenter, pour atteindre 61% en 2022 (contre 44% en 2012)", qu'il s'agisse de personnes n'ayant pas accès au marché du travail du fait de leur statut administratif (40%) ou de chômeurs ayant "glissé vers l'inactivité". Le rapport relève au passage que "le non-recours aux droits est en nette hausse", sachant que plus d’un tiers des personnes éligibles au RSA ne l’ont pas perçu en 2022. Mais "même ceux combinant revenus du travail et prestations sociales ont un niveau de vie médian (798 euros) inférieur au seuil d’extrême pauvreté", beaucoup occupant des emplois précaires et/ou à temps partiel.
En considérant, toujours, les types de ménages rencontrés, le Secours catholique constate que "le fait d’être seul adulte dans le ménage est un élément de vulnérabilité". Il s'agit ainsi en premier lieu de mères isolées (un quart), d'hommes seuls (un quart), de femmes seules (20%, "majoritairement françaises et plus âgées").
Ce rapport 2023 est intitulé "Les femmes en première ligne". Nombre d'entre elles frappent à la porte de l'association après une séparation ou un divorce. En effet, les femmes "subissent davantage le poids des ruptures conjugales" et "assument, trop souvent seules, la charge des enfants". La précarité féminine a régulièrement augmenté ces dernières décennies, alors que la pauvreté touchait de façon égale hommes et femmes jusqu'au début des années 2000, constate le Secours catholique. Les femmes représentent désormais 57,5% des personnes rencontrées par l'association, contre 52,6% en 1999, le rapport parlant par conséquent d'une "féminisation de la pauvreté", tout en sachant que les femmes viennent sans doute plus facilement que les hommes chercher de l'aide auprès d'une association, d'où un possible "biais" statistique.
"Pourtant, elles se démènent"
Plus de la moitié des ménages avec enfants (52,6%) sont des mères isolées. Celles-ci "sont majoritairement jeunes (les deux tiers ont moins de 43 ans), de nationalité française (63%)". "La pauvreté qui les touche (leur niveau de vie médian est de 583 euros/mois) montre que les mesures prises en leur faveur ne sont pas suffisantes. Pourtant, elles se démènent pour trouver des solutions. Elles sont plus souvent actives que d’autres catégories de ménages", écrit le Secours catholique.
Parmi ces femmes, "plus de la moitié des femmes rencontrées vivent dans des grands centres urbains", sachant qu'"en milieu rural, elles font moins appel à l’aide alimentaire, mais demandent davantage de l’aide pour faire face aux dépenses d’énergie".
Autre constat : "Les femmes accompagnées par le Secours catholique sont autant en emploi que les hommes (17%), mais beaucoup plus en temps partiel (34% contre 16% pour les hommes). Or ces emplois à temps partiel, le plus souvent subis, ne permettent pas de sortir de la pauvreté."
Le rapport dessine finalement quatre profils de femmes : les jeunes femmes éloignées de l'emploi (7%), les femmes étrangères exclues du marché du travail (29%), les femmes actives (38%, en emploi ou au chômage), les femmes plus âgées isolées (11%).
Parmi les propositions ou attentes du Secours catholique :
- "Adapter le parc d’hébergement à la réalité des besoins, le temps nécessaire à la fluidification des parcours résidentiels"
- "Régulariser la situation administrative des personnes exilées"
- "Investir fortement dans le développement d’une offre locative vraiment sociale"
- "Reconnaître l’activité des 'inactifs'" en valorisant pleinement leurs activités "invisibles et pourtant vitales" (activités domestiques, garde d'enfants, aidant familial, bénévolat…)
- "Ne pas réserver le bénéfice des politiques sociales à la condition d’un emploi" (y compris le service public de la petite enfance ou l'accès à un logement social)
- "Garantir une rémunération décente aux personnes en emploi"
- "Assurer des moyens convenables d’existence", ce qui suppose "d’indexer les minima sociaux sur le Smic et de revaloriser et d’étendre le RSA"
- "Combattre le non-recours aux prestations sociales"
- "Prendre toutes les mesures permettant aux parents en précarité de garantir à leurs enfants" : l’accès à une alimentation saine, à un logement correctement chauffé, aux vacances, loisirs et culture.
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L'Insee confirme une hausse du taux de pauvreté en France en 2021
Le taux de pauvreté a progressé de 0,9 point pour s'établir à 14,5% de la population en France en 2021, une hausse qui inquiète les associations de lutte contre la précarité qui demandent au gouvernement d'agir.
En 2021, 9,1 millions de personnes se trouvaient en situation de pauvreté monétaire en France, a annoncé l'Insee ce mardi 14 novembre. Cela signifie qu'elles disposaient de revenus mensuels inférieurs au seuil de pauvreté, fixé à 60% du revenu médian, soit 1.158 euros pour une personne seule ou 1.737 euros pour un couple. Le taux de pauvreté a augmenté par rapport à 2020 car les ménages les plus modestes ont été pénalisés par la "non reconduction des aides de solidarité exceptionnelle" mises en place par le gouvernement au plus fort de la crise du Covid en 2020, ainsi que par la hausse de l'inflation.
"De nombreuses allocations sont indexées sur l'inflation mais il y a un délai pendant lequel l'inflation est présente sans la revalorisation et au cours duquel les ménages modestes sont pénalisés", a précisé à l'AFP Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique. L'inflation a progressé, de 0,5% en 2020 à 1,6% en 2021.
"La situation est préoccupante, les chiffres pour 2022 risquent d'être pires", a commenté auprès de l'AFP Noam Leandri, président du collectif Alerte qui rassemble 34 associations de lutte contre la pauvreté. "Les gens ont de plus en plus besoin d'hébergement d'urgence ou d'aide alimentaire, cela montre que la situation se dégrade et qu'il faut un geste envers les plus modestes". Les associations de solidarité dénoncent depuis des mois la saturation du 115. Elles alertent aussi sur l'afflux de demandes d'aide alimentaire, conduisant certaines d'entre elles au bord de la rupture.
Le collectif Alerte réclame, dans un communiqué, l'augmentation de 200 euros de la prime de Noël pour tous les ménages bénéficiaires ainsi qu'une anticipation au 1er janvier de la revalorisation des minima sociaux et des allocations familiales, qui intervient habituellement en avril. Pour éradiquer la pauvreté, les associations réclament également l'ouverture du RSA aux jeunes dès 18 ans (âge minimal 25 ans aujourd'hui) et la régularisation des étrangers.
L'Insee relève également que l'intensité de la pauvreté s'est accentuée en France, passant de 18,7% en 2020 à 20,2% en 2021. Cet indicateur mesure l'écart entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté. "Il revient au niveau des années précédentes", a précisé Jean-Luc Tavernier.
En ce qui concerne les inégalités, pas "d'explosion" selon lui mais certains indices, en forte hausse, se situent "dans les niveaux les plus élevés atteints ces vingt dernières années". Les ménages les plus aisés ont profité de la reprise de l'activité en 2021, qui s'est accompagnée d'une "hausse des revenus du travail et des dividendes".
Certaines données diffèrent de celles présentées jusqu'à présent par l'Insee, qui estimait notamment que le taux de pauvreté était resté stable en 2020, autour de 14,5%. L'organisme n'exclut pas à présent que ce taux ait pu reculer de 14,3% en 2019 à 13,6%. L'évolution entre 2019 et 2020 reste incertaine "du fait des conditions de collecte particulières des enquêtes en 2020", explique l'Insee. L'institut assure toutefois que la France est sortie de la crise sanitaire en 2021 "avec un taux de pauvreté supérieur à celui qu'elle avait lorsqu'elle y est entrée".
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