Éolien : la jurisprudence sur la saturation du paysage gagne du terrain
Alors que le débat sur l'acceptabilité sociale de l'éolien revient sur le devant de la scène, l'argumentaire fondé sur la saturation du paysage se développe devant les tribunaux pour fonder l'annulation d'un permis ou d'une autorisation environnementale. C'est ainsi que le tribunal administratif d'Amiens vient de donner gain de cause aux opposants d'un projet de parc éolien de nature à créer "un encerclement" des bourgs alentours.
Le tribunal administratif d'Amiens vient de refuser la construction d’un projet de huit éoliennes à Airaines, motivant sa décision, rendue publique ce 30 novembre, notamment par "l'effet d'encerclement" pour les bourgs proches. Une satisfaction pour l'association requérante qui avait attaqué le permis délivré par la préfecture de la Somme en février 2018. "La justice reconnaît enfin cet encerclement, cette saturation abominable, contre lesquels nous nous battons depuis des années", s’est ainsi réjouie sa présidente, Bénédicte Leclerc de Hauteclocque Coste, y voyant "un début de prise de conscience de ce que vivent les habitants, face à ces tours de béton qui abiment paysage et patrimoine". Le secteur d'implantation accueille déjà "23 parcs éoliens en fonctionnement et 11 autorisés", soit 240 éoliennes dans un rayon de vingt kilomètres, indique la décision. Grâce aux plans de l'étude d’impact, le juge administratif retient que le parc projeté "aura pour effet d'accroître sensiblement l'occupation de l'horizon depuis les communes d'Airaines et de Quesnoy-sur-Airaines, alors que les seuils d'alerte en matière d'encerclement y sont déjà atteints".
Saturation visuelle : une identification pas toujours aisée
"Plusieurs tribunaux ont déjà relevé la saturation visuelle, mais cette notion d'encerclement est plus rare" dans la jurisprudence, reconnaît Maître Francis Monamy, avocat de la Fédération environnement durable (FED), qui regroupe plus d'un millier d’associations. La question de la saturation visuelle pourrait devenir récurrente au vu du nombre de parcs autorisés et encore non construits, en particulier dans les Hauts-de-France (un quart des 2.000 installations implantées que compte la France métropolitaine), et des objectifs nationaux fixés par la programmation pluriannuelle de l’énergie (la part de l'éolien doit passer de 7% de la production d'électricité aujourd'hui à 20% en 2028). L’identification du phénomène de saturation visuelle n’est pas toujours chose aisée d’autant qu’aucun seuil réglementaire n’est défini. L’élaboration de seuils d’alerte à partir d’indices mesurables (angles de visibilité) n’est d’ailleurs qu’indicative. Mais force est de constater, que le contentieux se développe progressivement, sous l’initiative d’une contestation locale active qui attaque les autorisations avec l’argumentation de la saturation visuelle. L’appréciation portée par le juge sur l’effet de saturation visuelle se fait au cas par cas, in concreto, selon un faisceau d’indices. Après avoir déterminé que le projet s’ajoute à de nombreuses éoliennes déjà implantées ou autorisées, le juge examine l’effet que cette densité aura ou non sur l’encerclement d’un village ou l'atteinte aux paysages et monuments présentant un intérêt particulier.
Débat sur l’acceptabilité
Dans le camp des défenseurs de l'éolien, qu’ils soient industriels, collectivités ou ONG, des voix se lèvent pour "un débat apaisé" et en appellent, dans un lettre ouverte, adressée ce 24 novembre, à l’arbitrage du président de la République, Emmanuel Macron (lire notre article). Un problème d’acceptabilité sociale - sept projets sur dix font l'objet d'un recours - dont s’est emparé le député du Vaucluse Julien Aubert, voyant dans ce développent "mené à marche forcée" et "décidé d’en haut" un mépris des élus locaux "qui n’ont aucun pouvoir de bloquer un projet qui ne recevrait pas l’assentiment de citoyens". Sa proposition de loi visant "à raisonner le développement de l’éolien"&nsp;sera examinée ce 3 décembre à l'Assemblée, dans le cadre de la niche parlementaire réservée au groupe LR. Le texte poursuit trois axes : l’augmentation de la distance entre les éoliennes et les habitations, l’interdiction de délivrer l’autorisation environnementale permettant de construire et d’exploiter un parc éolien si au moins une des communes consultées avant ou durant l’enquête publique émet un avis négatif et enfin, la remise au Parlement d’un rapport sur les moyens de renforcer le volet sanitaire des études d’impact sur les parcs éoliens.