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Finances - Envolée du franc suisse : 1.300 communes concernées, réunion en vue

Pour quelque 1.300 collectivités qui avaient contracté des emprunts dit toxiques, la note risque de s'alourdir encore en raison de la flambée du franc suisse sur lequel ces emprunts étaient indexés. Le gouvernement prévoit une réunion "dans les prochains jours".

La Banque nationale suisse (BNS), en charge de la politique monétaire du pays, décidait le 15 janvier d'abandonner le taux plancher de conversion du franc suisse, fixé il y a 3 ans à 1,20 franc pour un euro, niveau auquel il évoluait encore la veille au soir... A la suite de cette décision, on le sait, le franc suisse a vu son cours s'envoler. "Les collectivités qui ont des prêts assis sur la parité euro/franc suisse voient les taux s'envoler et se retrouvent en difficulté", explique le président de l'association Acteurs publics contre les emprunts toxiques (Apcet), Christophe Greffet, vice-président du conseil général de l'Ain.
"Avec un taux d'intérêt passé d'un coup de 13,7% à près de 26%, ce sont 700.000 euros d'annuité d'emprunt que nous devrions rembourser jusqu'en 2038", s'alarme par exemple Gérard Gicquel, le maire d'Elven, dans le Morbihan. Pour cette commune de 5.600 habitants qui avait contracté, en 2008, un prêt de 3 millions d'euros, la décision de la Banque nationale suisse d'abandonner son taux plancher de conversion prend des allures de catastrophe. "Quand on fait la somme des annuités d'emprunt, des baisses de dotation de l'Etat, des charges supplémentaires comme les rythmes scolaires, on dépasse largement notre capacité d'autofinancement. Tout concourt à nous mettre la tête sous l'eau et à ce qu'on soit mis sous tutelle", constate, amer, Gérard Gicquel. A la tête, depuis mars dernier, d'une commune déjà très endettée - plus de 2.500 euros par habitant - l'édile multiplie les interventions auprès des politiques, des associations d'élus, des médias pour que l'Etat réagisse.

"6 fois le taux de l'usure"

"C'est une affaire d'importance nationale", renchérit Serge Brosolo, adjoint aux finances de Quiberon, autre commune morbihannaise dans la tourmente. "Avec un taux d'intérêt qui atteint aujourd'hui 29%, c'est comme si on avait emprunté des dizaines de millions d'euros et non 2,8 millions. On est à 6 fois le taux de l'usure, ce n'est juste pas possible", s'insurge l'élu. Pour lui, le fonds de soutien de 1,5 milliard d'euros mis en place par les pouvoirs publics pour aider les collectivités à sortir de la nasse des emprunts toxiques "n'a plus aucune utilité", ses moyens ne permettant plus de faire face aux besoins depuis l'envolée du franc suisse. D'autant que les "pénalités de sortie" négociées par les communes avec ce fonds pour sortir de ces emprunts explosent elles aussi : de 6 millions à 13 millions d'euros pour Quiberon, par exemple. "La seule voie qui nous reste est la voie contentieuse", assène Serge Brosolo.
C'est celle qu'a également choisie Auguste Louapre, le nouveau maire de Bruz, commune de 18.000 habitants en périphérie de Rennes (Ille-et-Vilaine). Comme son collègue de Quiberon, il déplore que l'Etat n'ait pas apporté de réponse suffisante aux "manoeuvres qui frôlent l'escroquerie" de Dexia. A Bruz, le taux d'intérêt des 4 millions empruntés en 2007 atteint aujourd'hui 27,50%. "Avec un tel niveau, l'endettement de la commune, aujourd'hui de 19 millions d'euros, va doubler", assure le maire. "C'est simple, on ne peut pas payer. Si nous étions une entreprise, nous serions en cessation de paiement. Il faut qu'on nous aide, que l'on se batte pour trouver des pistes de sortie", dit Auguste Louapre, trésorier de l'Apcet. Dans l'immédiat, sa commune a décidé de limiter ses remboursements à un taux de 5,5%, le reste étant seulement provisionné.

1.300 collectivités concernées

Confrontée non à un emprunt mais à un produit de couverture de taux "très toxique", la ville de Laval (Mayenne) atteint sans doute un record avec un taux d'intérêt qui a grimpé à 50% pour une parité euro franc suisse à 1/1. "Alors qu'il nous reste 10 ans à rembourser, avec un encours de 10 millions d'euros, les annuités seraient de 5 millions d'euros", explique l'adjoint aux finances, Philippe Habault. Une situation "très pénalisante", selon l'élu qui espère que le tribunal de Nanterre tranchera en faveur de la ville dans la procédure engagée contre Dexia.
Selon Auguste Louapre, 1.300 collectivités seraient aujourd'hui concernées dans toute la France, dont une centaine de "cas graves". Parmi les victimes, on trouve notamment Chambéry, Clermont-Ferrand ou encore la métropole de Lyon qui, le 1er janvier, a non seulement récupéré les prérogatives du conseil général du Rhône mais aussi une partie de ses emprunts toxiques. Le président de l'Apcet fait lui aussi valoir que le fonctionnement du fonds de soutien aux collectivités devrait être revu au regard de cette envolée du franc suisse. Il souhaite que "le fonds soit alimenté à raison de 200 à 300 millions par an par l'Etat et que la taxe sur le risque systémique prélevée auprès des banques l'alimente".

Le gouvernement interpellé

De même, les sénateurs du groupe Communiste, républicain et citoyen (CRC) ont réclamé l'annulation et le rachat de la dette des collectivités mises "les plus en difficulté", estimant que "le gouvernement doit prendre ses responsabilités". "Il faut majorer les ressources du fonds de soutien" mis en place par le gouvernement "et revoir ses critères d'intervention", ajoutent-ils dans un communiqué.
Interrogé ce 21 janvier à l'Assemblée par la députée UMP d'Ille-et-Vilaine Isabelle Le Callennec, le secrétaire d'Etat au Budget a parfaitement reconnu le problème qui, a-t-il redit, "concerne près d'un millier de collectivités et plusieurs dizaines d'hôpitaux qui ont, eux aussi, souscrits ou se sont vu 'fourguer' des emprunts dits toxiques". Christian Eckert a rappelé la mise en place du fonds de soutien… et a fait savoir que le gouvernement se penche sérieusement sur la question : "Nous avons besoin d'évaluer l'ampleur des effets de cette brutale envolée du franc suisse, qui pourraient atteindre plusieurs milliards d'euros. Dans les tout prochains jours, nous réunirons l'ensemble des parties prenantes. Nous avons déjà commencé à travailler en ce sens." Le directeur général de la Caisse des Dépôts, Pierre-René Lemas, l'a d'ailleurs confirmé deux jours plus tard en marge de ses voeux à la presse (voir notre article de ce jour), indiquant que les choses sont "en train de s'organiser" entre Christian Eckert et les représentants des collectivités locales et que la Caisse des Dépôts y sera associée.

 

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