Envie Autonomie : l’économie circulaire au service des plus fragiles

Pour en savoir plus sur ce réseau et son action, nous sommes allés à la rencontre de Philippe Robin, directeur général de la SCIC Envie Autonomie et de Léonie Duphenieux, chargée d’investissement du service Impact Santé Médico-social de la Banque des Territoires.

Interview croisée

• Pouvez-vous nous présenter Envie Autonomie en quelques mots ?

Philippe Robin : Envie Autonomie est un réseau d’entreprises d’insertion dont la mission est de faciliter l’accès aux aides techniques pour tous. Concrètement, nous collectons le matériel médical qui n’est plus utilisé par les particuliers ou les établissements médicaux. Après un tri, une partie est entièrement rénovée dans le respect des conformités réglementaires, hygiénisée dans nos ateliers et remise sur le marché à des prix solidaires dans nos magasins. Nous garantissions ce matériel deux ans pièces et main d’œuvre. Notre activité s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire et de préservation de l’environnement.

Cette activité est, en fait, le moyen de réaliser notre mission première qui est de proposer un accès à l’emploi et un accompagnement spécifique à des personnes exclues du marché du travail. C’est vraiment notre ADN. Nous recrutons donc dans nos ateliers des demandeurs d’emploi de longue durée, des jeunes sans qualification ou des personnes en situation de handicap sur des contrats de deux ans maximum. Nous les accompagnons ensuite dans la mise en place d’un projet professionnel qui vise l’emploi durable.

• De l’idée au terrain, comment le projet Envie Autonomie s’est-il développé ?

Philippe Robin : Tout a démarré dans le Maine-et-Loire par deux constats : de plus en plus de personnes n’arrivent pas à s’équiper en aides techniques et du matériel en bon état n’est plus utilisé chez des particuliers et dans les établissements médico-sociaux. Et surtout une question posée par une association locale à une entreprise du réseau Envie* : « Vous ENVIE spécialiste de la rénovation et de la vente d’électroménager de seconde main depuis plus de 30 ans, pouvez-vous créer une filière de récupération, de rénovation et de distribution du matériel médical ? Qu’en pensez- vous ? » L’idée était donc lancée !

Dès 2015, nous réalisons donc une première expérimentation à Angers avec un atelier de réparation et la création d’un premier espace d’accueil et de distribution. En parallèle, nous sommes lauréats de l’appel à projets « économie circulaire des aides techniques », lancé en 2016 par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Cela nous permet de lancer 5 autres expérimentations pour mesurer la pertinence de notre modèle dans d’autres territoires et cela fonctionne. Entre 2016 et 2018, 4 entreprises voient le jour.

Ensuite, l’appel à projet du French Impact, dont nous sommes lauréats, nous donne les moyens, en 2019, de créer, avec l’appui du groupe de protection social Klésia, une tête de réseau, la SCIC Envie Autonomie. Ses missions sont la structuration et développement d’une filière nationale d’économie circulaire des aides techniques. En 2021, notre première levée de fonds nous a permis de recueillir 3,5 M€ pour financer la SCIC et le développement de notre offre solidaire en Normandie et en Ile-de-France.

Envie Autonomie est un modèle qui fonctionne et se structure très rapidement grâce au cinquante entreprises du réseau Envie mais également à la SCIC qui bénéfice d’une reconnaissance par tous les acteurs qu’ils soient institutionnels ou de terrain. Nous avons de plus en plus de partenaires importants comme la Banque des Territoires qui renforcent par leur soutien la crédibilité de notre modèle.

Léonie Duphenieux : De notre côté, nous avons accompagné le développement d’Envie Autonomie en participant, cette année, à la levée de fonds. Nous avons investi 500 000 euros en quasi-fonds propres pour accompagner la structure dans son changement d’échelle et étoffer son réseau. Et, au quotidien, nous nous impliquons dans la gouvernance de la SCIC et dans son suivi avec l’idée d’apporter un soutien et une expertise dans le suivi de la coopérative et dans les décisions stratégiques.

* Créé en 1984, Envie est une association de l’ESS qui coordonne les actions de 50 entreprises d’insertion réparties sur le territoire. Envie Autonomie est une nouvelle activité du réseau Envie.

• Pourquoi la Banque des Territoires soutient-elle Envie Autonomie ?

Léonie Duphenieux : Nous accompagnons Envie Autonomie parce qu’elle porte un projet d’économie circulaire avec une innovation sociale forte, tout en contribuant à la préservation de l’environnement. Son action est en totale adéquation avec les valeurs portées par la Banque des Territoires qui se mobilise pour des territoires plus inclusifs et plus durables, notamment.

Ce qui nous a séduit dans ce projet c’est évidemment l'impact environnemental grâce aux dimensions de recyclage, de revalorisation et de réutilisation des aides techniques qui limitent le gaspillage des ressources. Mais l’autre point très fort du modèle Envie Autonomie auquel nous sommes très sensibles à la Banque des Territoires, c’est l’insertion par l’emploi. En effet, nous soutenons les structures de l’ESS qui proposent une politique de recrutement inclusive et qui contribuent ainsi à la lutte contre les fractures sociales et au développement économique des territoires.

Ensuite, Envie Autonomie propose un matériel de qualité à un prix réduit par rapport à ce qu’on peut trouver aujourd’hui sur le marché. Donc pour des séniors ou des personnes en situation de handicap en situation de fragilité disposant d’un petit budget, cela répond à un vrai besoin du quotidien : il y a une forte utilité sociale. Envie Autonomie facilite l’accès aux dispositifs médicaux et contribue ainsi à la préservation de l’autonomie et au maintien à domicile. La question de la prise en charge du vieillissement et l’accompagnement du bien-vieillir sont des enjeux majeurs pour notre société.

Enfin, en se structurant sous la forme d’une SCIC, Envie Autonomie a un modèle d’impact qui ne va pas seulement se transcrire dans l’activité, mais également dans la gouvernance et dans le fonctionnement de la structure qui va être collégial. C’est un modèle coopératif qui s’inscrit sur un marché concurrentiel classique, tout en étant précurseur sur ce marché de l’aide technique revalorisée. C’est remarquable et cela d’autant plus qu’Envie Autonomie contribue à la structuration de toute une filière de l’économie circulaire.

• Quelles perspectives pour demain ?

Philippe Robin : Dans son plan de financement 2020, la sécurité sociale a décidé de financer la prise en charge de certaines aides techniques de seconde main. Les décrets d’application sont attendus avant la fin de l’année. C’est une vraie avancée pour notre modèle d’économie circulaire, mais aussi pour la société. Les impacts sont à la fois sociaux et environnementaux mais également économiques. En effet, cela permettra au système de santé de faire des économies ; et grâce à ces économies d’avoir les moyens d’une meilleure prise en charge du matériel et la réintégration des personnes qui aujourd’hui sont exclues du système de santé pour des raisons économiques ou administratives.

Cependant, au sein de la filière des aides techniques, il y a des inquiétudes car cela va impulser du changement, même si le modèle de l’économie circulaire sera plutôt une offre complémentaire. Il va donc falloir du temps, de la pédagogie et rassurer. Rassurer à la fois les bénéficiaires et les acteurs de la filière comme les fabricants, les distributeurs, les médecins par exemple. C’est pourquoi nous travaillons actuellement avec l’AFNOR et tous les acteurs de la filière à la création d’une norme qui garantira la fiabilité et la sécurité du matériel rénové. C’est un vrai enjeu pour cette année car les décrets de la sécurité sociale ne seront applicables qu’à partir du moment où la norme sera publiée.

Léonie Duphenieux : Nous travaillons ensemble sur le montage d’un contrat à impact puisque Envie Autonomie est lauréat de l’appel à projets contrat à impact « Economie circulaire » de l’ADEME. Grâce à cela, Envie Autonomie va pouvoir continuer son changement d’échelle en déployant près de 40 établissements d’ici 2025.