"Ensemble, refaire ville" : donner une nouvelle dimension aux politiques de renouvellement urbain
Remis ce mardi 18 février aux ministres de l’Aménagement du territoire, du Logement et de la Ville, le rapport "Ensemble, refaire ville" consacré au renouvellement urbain insiste sur l'enjeu de la lutte contre la "ségrégation sociospatiale" et la nécessaire mise en place d’un nouveau pacte financier garantissant un soutien adapté à la transformation et à la résilience des territoires. Des propositions notamment saluées par les acteurs du logement social qui y voient des perspectives "essentielles" pour les politiques à venir en matière de renouvellement urbain.
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© Damien Valent-Terra
Après huit déplacements à travers la France et 45 auditions (représentants de l’État, de collectivités territoriales, de réseaux professionnels, de chercheurs, de collectifs citoyens, d’associations et d’anciens ministres), Jean-Martin Delorme, président de la section "Habitat, aménagement et cohésion sociale" de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd), Anne-Claire Mialot, directrice générale de l’Anru, et Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, ont remis le rapport issu de la mission sur le futur de la politique de renouvellement urbain ce mardi 18 février.
Cette mission, qui leur avait été confiée en 2023 par les ministres d’alors Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires), Patrice Vergriete (Logement) et Sabrina Agresti-Roubache (Ville), visait à nourrir les réflexions du gouvernement pour la préparation d’une stratégie globale de renouvellement urbain, et, plus largement, à élaborer des propositions pour orienter le devenir des politiques en matière d’aménagement des territoires en difficulté. Originalité de la mission en effet, elle était invitée à se pencher non seulement sur les territoires actuellement bénéficiaires d'un programme de renouvellement urbain, autrement dit les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), mais aussi sur d'autres types de territoires.
Elle se devait en tout cas de réfléchir au périmètre d’action pertinent pour la politique de renouvellement urbain (sur la base d’un diagnostic territorial intégrant les enjeux urbains, sociaux et environnementaux), mais aussi de proposer une organisation permettant de renforcer le partenariat local avec les collectivités et les bailleurs, tout en intégrant les enjeux de mixité sociale et fonctionnelle, de développement économique et d’adaptation au changement climatique.
Intitulé "Ensemble, refaire ville", le rapport remis ce mardi préconise de poursuivre une politique de renouvellement urbain restant certes centrée en priorité sur les QPV et renforçant la prise en compte des enjeux environnementaux. Il s'agit à ce titre à la fois de mener à son terme le Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) et d'engager un troisième programme pluriannuel, après avoir établi une "revue nationale des projets" NPNRU - tâche qui, précise l'entourage de François Rebsamen, sera confiée à une "mission indépendante".
Lutter contre la ségrégation territoriale
"La lutte contre la ségrégation territoriale et l’adaptation des territoires aux impacts du changement climatique doivent matricer l’action publique en faveur des quartiers prioritaires de la politique de la ville, des territoires en déprise, ou des territoires rendus inhabitables sous l’impact du changement climatique", souligne le rapport. Ses auteurs recommandent de réaffirmer la lutte contre la "ségrégation sociospatiale" comme une priorité nationale afin de "garantir un aménagement du territoire où aucun territoire n’est laissé en marge de la promesse républicaine".
Selon eux, un comité interministériel d’aménagement du territoire, placé auprès du Premier ministre et associant les collectivités locales, devrait être installé afin de définir et de porter une politique nationale de rééquilibrage territorial et d’anticipation des conséquences territoriales du changement climatique. Une nouvelle version des CIAT, CIADT ou CIACT des années 90 et 2000 ?
"Plus particulièrement, ce comité serait chargé de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un plan national interministériel de mobilisation en faveur des quartiers prioritaires de la politique de la ville, garant du déploiement des politiques publiques de droit commun dans les quartiers prioritaires et de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un plan national interministériel de mobilisation en faveur des territoires fragilisés", précise le rapport.
L'Anru pourrait alors être appelée à élargir ses missions à d'autres territoires que les QPV. Evoquant les dispositifs existants liés à l'habitat privé, à la revitalisation des territoires (Action coeur de ville, Petites villes de demain...) ou à la transition écologique (Fonds vert...), le rapport évoque en effet la nécessité de "favoriser une approche par le projet urbain face aux situations de territoires en déprise (villes moyennes, tissu pavillonnaire du périurbain, friches industrielles et zones commerciales désaffectées) ou de territoires confrontés aux conséquences du changement climatique, potentiellement inhabitables demain (inondation, recul du trait de côte…)". Et à ce titre, une "actualisation" du cadre d'intervention de l'Anru serait à envisager. Soit en apportant simplement son appui à d’autres programmes et d'autres acteurs (ANCT, Anah...), soit en intervenant directement "sur des territoires échappant à la géographie prioritaire de la politique de la ville mais présentant des enjeux et des caractéristiques socio-spatiales comparables".
Un modèle de financement à pérenniser
Le contexte inflationniste et les défis auxquels sont confrontés aujourd’hui les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux (investissements dans la rénovation thermique du parc social pour répondre aux enjeux de la stratégie nationale bas carbone, zéro artificialisation nette…) impacteront "considérablement à moyen terme les équilibres financiers de ces deux acteurs majeurs des projets de renouvellement urbain", estime la mission.
D'où la nécessité de pérenniser le modèle de financement partenarial des programmes de renouvellement urbain et, dans un contexte de contrainte budgétaire accrue, d’y intégrer de nouveaux leviers de financement. Le rapport propose ainsi de consolider le financement partenarial de la rénovation urbaine dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville par Action logement, les bailleurs sociaux, la Banque des Territoires et l’État.
Soutenir la transformation et la résilience des territoires
S’agissant des leviers de financements, la mission préconise d’étudier l’intégration du renouvellement urbain comme axe prioritaire du fonds européen de développement régional (Feder) dans le cadre de la négociation avec l’Union européenne de la stratégie d’attribution des fonds européens pour répondre aux enjeux des territoires et des populations et aux nouveaux défis de l’Union Européenne pour la période 2028-2034. "À ce titre, l’Anru, en tant qu’opérateur national, pourrait se voir déléguer la gestion de ces fonds européens", soulignent les auteurs du rapport.
L’accompagnement financier des interventions lourdes pour la réhabilitation du patrimoine des bailleurs sur le modèle des opérations "seconde vie" en y intégrant les avantages fiscaux (taux de TVA réduit et prolongation de l’exonération de la TFPB pendant 25 ans) constitue un autre levier à étudier, de même que la mobilisation de prêts bonifiés spécifiques de la Caisse des Dépôts et la prise de participation dans des sociétés de projet pour des opérations de renouvellement urbain, d’équipements publics ou d’immobilier à vocation économique. La création d’un mécanisme de péréquation dédié au financement du renouvellement urbain alimenté par un prélèvement de solidarité de toutes les collectivités territoriales permettrait en outre de participer au renouvellement urbain des territoires les plus vulnérables.
Des perspectives pour poursuivre la mobilisation de l’État
"La remise de ce rapport marque une étape clé pour l'avenir de notre politique de renouvellement urbain et d’aménagement du territoire, a déclaré François Rebsamen lors de la remise du rapport. Face aux défis sociaux, économiques et environnementaux qui traversent nos territoires, il est essentiel de bâtir une stratégie ambitieuse et adaptée aux besoins des quartiers prioritaires, mais également des autres territoires fragiles." Le ministre a par ailleurs assuré que le gouvernement sera au rendez-vous "pour donner à cette politique les moyens de son ambition et poursuivre, avec tous les acteurs concernés, la transformation de nos quartiers." Confiant, Patrice Vergriete, président de l’Anru, a quant à lui estimé que "les propositions formulées dans ce rapport permettront d’orienter efficacement la politique de renouvellement urbain pour les années à venir."
À l’issue de la remise du rapport, l’Union sociale pour l’habitat s’est réjouie des perspectives "essentielles" ouvertes par la mission. Celle-ci "a démontré l’impact positif, malgré un contexte difficile, de la politique de rénovation urbaine et la nécessité d’engager dès à présent une troisième étape de la rénovation urbaine, centrée sur la lutte contre la ségrégation sociale et spatiale et intégrant une dimension renforcée de concertation avec les habitants. Cette troisième étape, dans le prolongement du programme dont les engagements s’achèvent en 2026, doit être lancée sans tarder pour identifier les sites, engager les concertations avec les territoires, mieux prendre en compte les enjeux de résilience à l’heure où il est clair que le changement climatique pèse encore plus fortement sur les ménages les plus fragiles", a considéré l’USH dans un communiqué. Sa présidente, Emmanuelle Cosse, a appelé le Premier ministre "à lancer les travaux de préfiguration au plus vite".