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Education - Enquête Pisa 2012 : la France face à ses inégalités

Ignorée ou portée aux nues, l'enquête Pisa dirigée par l'OCDE est devenue en à peine plus d'une décennie la référence internationale en matière de mesure du niveau scolaire des élèves de 15 ans dans 65 pays de l'OCDE et pays émergents. Tous les 3 ans depuis 2000, cette tranche d'élèves est étudiée en fonction de sa performance en compréhension de l'écrit, en mathématiques et en sciences, avec à chaque fois un thème dominant. En 2012 les mathématiques étaient le domaine majeur d'évaluation, en 2003 aussi. Neuf ans de réflexion passés au crible du Pisa 2012 confirment ce qu'on pensait déjà : le système d'éducation français est de plus en plus inégalitaire.

Sur les 510.000 élèves de 15 ans  évalués dans les 65 pays étudiés de l'OCDE et pays émergents, l'enquête du Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), rendue publique ce 3 décembre, place le continent asiatique en tête de lice avec entre autres Shanghai (Chine) qui s'illustre comme le grand vainqueur toutes catégories (mathématiques, compréhension de l'écrit et sciences). La France ne pointe qu'à la 25e place du classement 2012 avec 495 points, tout juste au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE (494 points) alors qu'elle figurait au-dessus de la moyenne en 2003. La France rejoint donc la République tchèque, le Royaume-Uni, l'Islande, le Luxembourg, la Norvège, le Portugal et la Lettonie. Si le pays s'est maintenu en écrit et en sciences, ses élèves ont perdu des points entre l'évaluation de 2003 et celle de 2012 en mathématiques. "Par rapport à 2003 il y a à peu près autant d'élèves performants (13% en mathématiques ayant un niveau 5 ou 6), mais beaucoup plus d'élèves en difficulté (22,4% d'élèves contre 17% en 2003) qui  n'atteignent pas le niveau 2 de compétences", analyse Eric Charbonnier, de l'OCDE. Cette hausse des élèves en grande difficulté engendre la baisse de la moyenne de la France pour qui la conclusion semble inévitable : les inégalités scolaires se sont creusées depuis 2003.

Les élèves de milieu favorisé meilleurs en mathématiques

Selon l'étude "le niveau de compétence en mathématiques influe sur la faculté de suivre des études post-secondaires et offre des perspectives financières une fois dans la vie active". Un positionnement qui retentit comme un avertissement pour l'Hexagone qui a perdu dans la matière 16 points entre 2003 et 2012. "Lorsque l'on compare lors du cycle Pisa 2012 uniquement les performances en mathématiques des élèves les plus favorisés, la France se classe en 13e position sur les 65 pays et économies participants, soit bien au-dessus de la moyenne de l'OCDE et de son classement global aux évaluations Pisa 2012", soit entre la 23e et la 29e position souligne l'AEF. "En revanche, si l'on compare uniquement les performances en mathématiques des élèves les plus défavorisés, la France n'arrive qu'en 33e position, soit 20 places de moins, ce qui représente l'écart le plus marqué de tous les pays et économies participant au cycle Pisa 2012". Pour l'OCDE, cet écart de 20 places traduit "le manque d'équité du système français".
Si l'Australie, le Canada, l'Estonie, la Finlande, Hong Kong, le Japon et d'autres se distinguent par une performance globale supérieure à la moyenne de l'OCDE et par une faible corrélation entre la performance des élèves et leur milieu socio-économique, l'enquête corrobore pour la France ce que d'autres études avant elle avaient souligné, l'importance du milieu socioculturel des élèves dans leur réussite  : "En moyenne dans les pays de l'OCDE, les élèves issus de milieux sociaux économiques plus favorisés obtiennent en mathématiques 39 points de plus (57 points en France) que les élèves issus de milieux moins favorisés."  Ces élèves se disent "moins engagés, moins motivés et moins confiants en leurs capacités" que les autres. Ce qui n'empêche ce que l'étude appelle "les résilients", ces élèves issus de milieux défavorisés qui contre toute attente se classent parmi les plus performants. Un phénomène qui, en France, est inférieur à la moyenne des autres pays de l'OCDE (26% des élèves les plus défavorisés obtiennent de très bonnes performances aux évaluations Pisa en moyenne, contre 22% en France), qui confirme que cette corrélation  "entre le milieu socio-économique et la performance est bien plus marquée en France que dans la plupart des autres pays de l'OCDE". La situation est encore plus dramatique pour les élèves issus de l'immigration "qui sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté", affirme l'enquête de Pisa. Et de révéler que la proportion d'élèves issus de l'immigration se situant sous le niveau 2 en maths en 2012 ne dépasse pas 16% en Australie et au Canada, mais atteint 43% en France et globalement plus de 40% en Autriche, en Finlande, en Italie, au Mexique, au Portugal, en Espagne et en Suède.

Les garçons plus performants en mathématiques

L'étude nous apprend que les filles sont moins performantes en mathématiques que les garçons dans 37 des 65 pays qui ont participé à l'évaluation 2012. En France, les garçons de 15 ans devancent les filles de 9 points (contre 11 en moyenne OCDE). Dans 5 pays participants seulement, les filles dépassent les garçons. Entre 2003 et 2012, les garçons et les filles ont vu leur performance en mathématiques chuter dans des proportions égales, de 16 points en France, et de 4 points en moyenne dans les pays de l'OCDE. En outre, en France, comme dans la moyenne des pays de l'OCDE, la proportion de garçons et de filles dans le groupe des élèves en difficulté est à peu près identique (22%), mais la proportion de garçons dans le groupe des élèves les plus performants est plus élevée que celle des filles : 15% pour les garçons, 11% pour les filles. L'étude recommande, sérieusement,  "à court terme pour changer l'état d'esprit des filles, de rendre les mathématiques plus intéressantes à leurs yeux, d'identifier et de supprimer les stéréotypes sexistes des manuels scolaires et d'utiliser du matériel attirant pour elles"...

Objectif : lutter contre l'échec scolaire et les inégalités

L'enquête se penche sur l'implication des parents dans la réussite scolaire, d'où les forts scores des pays asiatiques où la réussite est davantage valorisée et l'autorité plus forte. Elle souligne l'importance d'un climat d'apprentissage positif et de discipline qu'il faut offrir à tous les élèves, de la ponctualité et de la présence aux cours (l'absentéisme renforce les mauvais points en mathématiques)... Le ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon, qui veut réduire les inégalités, via notamment la relance de la scolarisation des enfants de moins de trois ans (les élèves préscolarisés pendant plus d'un an ont obtenu dans les pays de l'OCDE 53 points de plus en mathématiques) a qualifié mardi de "préoccupants" et "inacceptables" les résultats de l'enquête Pisa. "Ils marquent une baisse du niveau moyen en mathématiques, même si la France conserve un classement correct", a relevé le ministre lors d'une conférence de presse. Ce qui "est plus préoccupant" encore, c'est qu'ils "marquent un accroissement des écarts de niveau entre les élèves, ce qui veut dire qu'il y a plus d'élèves en difficulté", a-t-il ajouté. Ces résultats sont "pour nous tous, pour la communauté nationale en ce qu'ils peuvent traduire de difficultés pour notre compétitivité, pour notre cohésion sociale, pour notre pacte civique, inacceptables", a aussi expliqué le ministre, rappelant que François Hollande avait fait de "la refondation républicaine de l'école, la priorité de ce quinquennat". Des propos repris en echo par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, en déplacement à Montpellier, qui a affirmé "que le recul de la France dans l'enquête internationale Pisa sur l'éducation devait servir d'électrochoc". Il a appelé à "soutenir les réformes engagées qui vont porter leurs fruits". 
De son côté, Andreas Schleicher, chef de la division des indicateurs et analyses de l'éducation à l'OCDE, affirme que certains pays se sont saisis des résultats Pisa et ont inversé la courbe : "En 2000, le Brésil était dernier. Mais ce pays a réagi de manière volontaire. Il est toujours en bas de classement, mais il a réalisé la plus énorme des progressions. L'Allemagne, elle, s'est rendue compte en 2000 à quel point son système était inégalitaire. Les autorités se sont vraiment concentrées sur ce sujet précis. L'Allemagne a divisé les mauvaises performances des élèves d'origine immigrée par deux et réduit les écarts sociaux. Le Japon avait des bons résultats en 2000, mais les élèves étaient médiocres dans les tâches qui requéraient des compétences plus créatives et pour les questions ouvertes, pour lesquelles il fallait rédiger une réponse un peu étoffée. Dans ce pays, la conclusion qui a été tirée de l'enquête a abouti à une reforme des contenus des programmes et des pédagogies, et cela a été visible dans les résultats. Et Andreas Schleicher de résumer dans la presse la situation de façon plus pragmatique : "Notre éducation aujourd'hui est notre économie de demain. En Europe, il y a 80 millions de personnes qui ne savent pas mieux lire qu'un enfant de 10 ans. La question est : 'qu'allez-vous faire pour ces gens ?'  C'est le vrai challenge !" 

 

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