Energies renouvelables et patrimoine : des pistes d’actions pour insuffler l’esprit d'équipe
Partant du constat du peu de dialogue existant entre acteurs du patrimoine et de l’énergie territoriale, ainsi que du retard de déploiement des énergies renouvelables en France, le réseau Cler, appuyé de l’expertise d’une vingtaine d’autres structures de différents horizons, esquisse dans une étude, dévoilée ce 11 février, des recommandations pour progresser de concert vers un développement harmonieux de la transition énergétique dans les territoires.
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© Agglo LensLievin CC BY-SA 2.0/ Panneaux solaires sur les toits de l'église de Loos-en-Gohelle
Trop souvent renvoyés dos à dos, énergies renouvelables et patrimoine doivent impérativement gagner en interconnaissance et en dialogue pour faire front commun face à l’urgence climatique. C’est le sens d’une étude d’expertise intitulée "Accorder énergies renouvelables et patrimoine culturel pour des territoires durables et harmonieux", présentée à la presse ce 11 février, à travers laquelle le réseau Cler, à l’initiative de la démarche, s’emploie, en s’appuyant sur des exemples concrets, à tordre le cou aux idées reçues.
Soutenue et financée par l’Ademe et la Banque des Territoires, cette étude - dont la base a été confiée au cabinet Transitions - dessine cinq pistes d’actions communes pour une présence harmonieuse des énergies renouvelables sur les territoires, tablant entre autres sur la formation des acteurs et la clarification des règles, l’augmentation des moyens humains et financiers, en particulier d’ingénierie locale, et la valorisation des projets réussis.
Pour ce faire, le réseau Cler a rassemblé au sein d’un comité de rédaction des acteurs des énergies renouvelables, du paysage et du patrimoine, avec pour objectif de mettre à plat la chaîne d’intervention "complexe et peu lisible" et de faire remonter "les bonnes pratiques", notamment à partir de six études de cas, explique Auréline Doreau, responsable de projets énergies renouvelables au Cler. Proposer des projets de qualité architecturale, urbaine et paysagère, tout en accélérant ce déploiement, tel est le défi posé ici aux énergies renouvelables, et au premier chef à l’éolien et au photovoltaïque, sur lesquels se focalise l’étude.
Réconcilier énergies renouvelables et patrimoine
Au chapitre des constats : la faible interaction entre deux mondes aux enjeux parfois contradictoires, un fonctionnement "en silo", générateur de crispations d’un côté comme de l’autre, voire de blocages. "On a le sentiment que les porteurs de projets des énergies renouvelables jouent l’offensive et les acteurs du patrimoine jouent la défensive, alors qu’en principe ils jouent dans la même équipe, car protéger le climat c’est aussi protéger le patrimoine", relève Christian Couturier, membre du conseil d’administration du réseau Cler et directeur de Solagro.
La transition énergétique, sobre et bas carbone, est ainsi une chance de façonner nos paysages et de préserver notre patrimoine. L’enjeu est de trouver cette ligne de crête pour les acteurs impliqués dans ces projets. Celle-ci se dessine peu à peu au travers des retours d’expérience et des pratiques mises en place dans les territoires, et dont l’étude fournit plusieurs exemples.
Des projets réussis existent, comme celui de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), ancienne ville minière, dont l’église s’est notamment équipée de panneaux solaires grâce au dialogue avec l’architecte des bâtiments de France. Sur le territoire de la Beauce des travaux de rénovation d’anciens moulins ont en partie été financés par la filière éolienne, illustrant le rôle positif que peuvent jouer les énergies renouvelables en faveur de la préservation du patrimoine, note également Robin Dixon, chargé de mission environnement et planification à France renouvelables. "Comme pour les trains, on se concentre toujours sur ceux qui arrivent en retard, pour les projets d’énergies renouvelables, on se concentre sur ceux qui se passent mal mais jamais sur ceux qui se passent bien, alors que c’est la très grande majorité des cas", regrette-t-il.
Planifier et permettre la déclinaison de méthodologies locales
Le mot d’ordre est la transversalité. "Il est indispensable de renforcer la cohérence des politiques publiques à l’échelle nationale, de penser ensemble développement des renouvelables et préservation du patrimoine et du paysage", martèle Christian Couturier. Pour cela, il est nécessaire, insiste-t-il, de clarifier le cadre réglementaire, faire évoluer les pratiques d’instructions des dossiers pour donner aux acteurs "des références communes" et permettre "un travail plus fluide" sur le terrain, mais également de renforcer les moyens humains pour traiter ces enjeux "au bon niveau".
Pour Anne-Catherine Gamerdinger, urbaniste et géographe, membre du collectif Paysage de l’après-pétrole, "il faut se donner le temps de mettre en place des documents de principe qui facilitent les projets et éclairent les décisions, à l’image de ce que font les parcs naturels régionaux ou les opérations Grands sites qui font de la concertation un préalable à l’action". Ainsi, par exemple, les communes du Syndicat Mixte du ScoT des Vosges Centrales ou celles du Vézelien ont adopté des plans de paysage transition énergétique. Des directions régionales des affaires culturelles et certains services départementaux d’architecture (CAUE et UDAP) proposent des guides de l’insertion paysagère et architecturale des panneaux solaires. C’est bien aux collectivités de s’emparer du sujet et de faire émerger, au sein des SCoT, des PCAET et des PLUi, des principes et des critères d’acceptabilité des énergies renouvelables, qui pourront être repris par les porteurs de projets et être exploitables dans les études d’impact.
Mieux dialoguer
En dehors de ces exercices de planification, il est nécessaire de mettre en œuvre des espaces de dialogue, à l’échelle nationale (par exemple, dans le cadre de la mise en réseau) comme locale, pour discuter des enjeux et de l’évolution des pratiques. "On s’entend mais on ne s’écoute pas forcément toujours sur les enjeux des uns et des autres", reconnaît Robin Dixon, voyant dans "la montée des compétences" une piste essentielle pour rendre possible l’accélération du déploiement des énergies renouvelables. D’autant que les gisements "faciles" sont pour beaucoup déjà mobilisés et que les projets sont de plus en plus complexes et demandent de jongler avec un certain nombre d’enjeux tels que la préservation de la biodiversité ou la concurrence d’usage concernant l’utilisation du foncier.
L’étude insiste sur la formation réciproque des acteurs du patrimoine sur les enjeux énergétiques, et des acteurs de l’énergie sur les enjeux patrimoniaux et à la démarche paysagère, "pour s’assurer de la bonne appréhension du sujet par tous". Cela permettrait également une montée en qualité des projets énergétiques en amont de l’instruction. "Avant la mise en place des projets, élus, syndicats d’énergie et représentants de l’État doivent se rencontrer. Les projets échouent quand ils ne laissent pas de place au dialogue", appuie Gabriel Turquet de Beauregard, architecte des Bâtiments de France (ABF). A contrario, quand ils sont associés aux projets, ABF et inspecteurs des sites aident à trouver des points d’équilibre. Ainsi, c’est avec leur concours que dans le Maine-et-Loire, à Bouchemaine, un parc photovoltaïque a pu voir le jour dans un site patrimonial remarquable. Pour rappel, les secteurs protégés représentent 8% du territoire français.
"La difficulté que l’on rencontre essentiellement aujourd’hui c’est que cet échange se fait un peu trop tard", remarque l'architecte. L’une des pistes intéressante, selon lui, "c’est cet espace de dialogue qui pourrait être réalisé à l’échelon du département, autour des élus, développeurs de projets et ABF, sous l’égide du préfet, pour que l’on puisse construire une politique territoriale adaptée aux spécificités locales". Car "on ne peut pas tout faire partout de façon systématique". Il ne peut y avoir de massification des énergies renouvelables, il faut donc, selon lui, "travailler finement". "Les défenseurs du patrimoine, bâti ou paysager, ne cherchent pas à le mettre sous cloche, mais à s’assurer que les projets préservent la qualité du cadre de vie. Pour y contribuer durablement, les énergies renouvelables, qui participent à la résilience des territoires, doivent savoir s’intégrer dans le décor", ajoute-t-il. Des énergies renouvelables intégrées permettent aussi "une meilleure acceptation sociale" et, c’est un facteur d’accélération.