Énergie, environnement, transports, commande publique… Un nouveau projet de loi "fourre-tout" d’adaptation au droit européen
Le gouvernement a déposé un projet de loi d’adaptation au droit de l’Union européenne embrassant large, puisque touchant à l’environnement, à l’énergie, au climat, aux transports ou encore à la commande publique. Plusieurs dispositions concernent directement les collectivités.
Le gouvernement a déposé ce 31 octobre à l’Assemblée nationale un nouveau projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, dont plusieurs dispositions intéressent plus ou moins directement les collectivités.
Soumis à procédure accélérée, ce texte a été accouché dans la douleur, puisqu’après avoir été initialement soumis au Conseil d’État le 5 juin dernier, il a fait l’objet de pas moins de cinq saisines rectificatives (24 juin, 4, 8, 11 et 16 juillet) afin de faire l’objet d’une nouvelle saisine le 18 octobre dernier. Examiné très partiellement par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) – trois articles seulement lui étaient soumis –, il a reçu un avis défavorable de ce dernier.
› COMMANDE PUBLIQUE
Afin de se conformer au droit de l’UE qui, souligne l'exposé des motifs, "n’admet pas, en matière de commande publique, de qualification de la solution innovante qui reposerait sur des considérations exclusivement organiques", le projet prévoit la suppression du second alinéa de l’article L.2172‑3 du code de la commande publique, introduit par la loi de finances pour 2024. Cet article dispose que "sont considérés comme innovants tous les travaux, les fournitures ou les services proposés par les jeunes entreprises définies à l'article 44 sexies-0 A du code général des impôts". Autrement dit, ne seront pas automatiquement considérés innovants les travaux, fournitures ou services proposés par les jeunes entreprises. Une suppression validée par le Conseil d’État, lequel souligne en outre que les directives ainsi que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination entre opérateurs économiques et celui de libre prestation de services font obstacle à ce que le bénéfice de cette qualification soit réservé aux seules entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu en France.
› ÉNERGIE
• Le projet de loi vise notamment à répondre à la procédure d’infraction ouverte contre la France par la Commission européenne en septembre 2022 pour transposition incorrecte de la directive de 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – laquelle avait été opérée par une ordonnance du 3 mars 2021 (voir notre article du 4 mars 2021). Faute d’avoir su convaincre Bruxelles depuis – la Commission vient tout juste d’adresser à la France un avis motivé dans ce dossier (voir notre article du 3 octobre) –, le gouvernement complète le code de l’énergie.
Le texte élargit notamment le champ d’intervention du médiateur national de l’énergie et de la Commission de régulation de l’énergie. Il vient également tenir compte des effets de l’accélération et de la massification du déploiement des énergies renouvelables (EnR), sur les besoins en termes d’équilibrage, à la baisse, du système électrique. Il vise par ailleurs à autoriser le recours à une procédure de mise en concurrence pour permettre aux capacités de production pour l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables de dépasser les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie sans attendre la fin du processus de révision de cette dernière (voir notre article du 4 novembre). Il dispose encore que pour les projets concernant des installations de production d’énergie renouvelable en mer situées en zone économique exclusive, le référent à l’instruction des projets est nommé par le représentant de l’État en mer.
• Le texte vise également la transposition de la directive de 2023 relative à la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, qui a elle aussi récemment valu à la France l’ouverture d’une nouvelle procédure d’infraction (voir notre article du 26 septembre). En l’espèce, ne serait plus nécessaire l’obtention de la dérogation à l’interdiction de perturbation ou de la destruction d’espèces protégées "lorsqu’un projet d’installation de production d’énergies renouvelables (…) comporte des mesures d’évitement et de réduction présentant des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque de destruction ou de perturbation des espèces (…) au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé [reprenant ainsi les termes d’un avis du Conseil d’État du 9 décembre 2022] et lorsque ce projet intègre un dispositif de suivi permettant d’évaluer l’efficacité de ces mesures et, le cas échéant, de prendre les mesures supplémentaires nécessaires pour garantir l’absence d’incidence négative importante sur la population de ces espèces".
• Par ailleurs, afin de remédier à l’absence ou à la mauvaise coordination de différentes dispositions législatives récentes relatives à l’installation d’aménagements hydrauliques, de dispositifs végétalisés ou d’ombrières photovoltaïques sur les parcs de stationnement non couverts, le texte prévoit de revoir une nouvelle fois le régime juridique applicable à ces parcs, "nouveau changement (…) qui n’est pas de nature à faciliter son appropriation par les acteurs concernés", pointe le Conseil d’État. Il est ici rejoint par le CNEN, dont les membres soulignent que "la complexité ainsi que la modification fréquente par le législateur" de ces dispositions peut "être à l’origine d’une mauvaise intelligibilité des normes applicables". Pour preuve, les membres du CNEN ont ainsi regretté que le texte "ne permette pas d’identifier clairement les projets de parcs de stationnement concernés et notamment si ceux situés de part et d’autre des réseaux routiers le sont" (devant le CNEN, le ministre rapporteur a toutefois précisé que les dispositions de la loi "ne s’appliquaient pas aux places de stationnement situées le long de la voirie").
Sont ainsi modifiées certaines dispositions de la loi Climat et Résilience de 2021 ou de la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables (Aper) de 2023. Par exemple, il est prévu de faire désormais porter la responsabilité de l’installation d’ombrières sur le propriétaire du parc de stationnement, et non plus sur son gestionnaire. L’obligation serait toutefois maintenue à la charge du concessionnaire, du délégataire ou du titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public, lorsque le parc est géré en concession ou en délégation de service public ou en vertu d’une autorisation d’occupation du domaine public.
Le projet de loi permet en outre d’infliger des sanctions administratives et pénales en cas de non-respect de l’obligation d’installer ces dispositifs sur ces parcs de stationnement concernés. Afin d’éviter toutefois la superposition de trois régimes de sanction en la matière, le projet prévoit que ces sanctions ne sont pas cumulables lorsqu’elles ont été prononcées à l’occasion des mêmes faits (et dans le cas où des sanctions différentes auraient été prononcées, seule la plus forte pourra être mise à exécution).
Le texte prévoit par ailleurs de préciser que l’application des règles des plans locaux d’urbanisme ne peut avoir pour effet d’interdire ou de limiter l’installation de ces dispositifs sur les parcs de stationnement. Une restriction du choix des collectivités compétentes que le Conseil d’État juge "justifié par un objectif d’intérêt général", et qui ne méconnaît donc pas selon lui le principe de libre administration des collectivités.
• Autres articulations entre codes modifiées, celles entre ceux de l’énergie et de l’urbanisme "dont il résulte des difficultés sérieuses d’application risquant de compromettre l’atteinte des objectifs de production d’énergies renouvelables". Le texte prévoit ainsi de sécuriser "le principe selon lequel c’est désormais le bénéficiaire du permis ou de la décision de non-opposition qui est redevable de la part de la contribution au titre du raccordement [au réseau public d’électricité] pour l’extension située hors du terrain d’assiette de l’opération".
• Le texte transpose également la directive de 2023 relative à l’efficacité énergétique (voir notre article du 27 juillet 2023). Pour les organismes publics, dont les collectivités, il prévoit notamment une réduction annuelle de la consommation d’énergie à hauteur de 1,9% par rapport à 2021 (seraient exemptées les collectivités et leurs regroupements de moins de 50.000 habitants jusqu’au 31 décembre 2026, et ceux de moins de 5.000 habitants jusqu’au 31 décembre 2029) et la rénovation annuelle de 3% de la surface du patrimoine public afin d’atteindre à l’issue de l’opération un "haut niveau de performance énergétique" (défini par arrêté). Il complète encore l’obligation faite aux collectivités d’intégrer dans leurs plans climat air énergie territoriaux un volet relatif au froid (voir notre article du 9 septembre). Si les membres du CNEN ont indiqué partager ces objectifs, ils n’ont pas manqué l’occasion de "dénoncer une forme 'd’injonction contradictoire' compte tenu de la très grande difficulté de mobiliser les moyens financiers nécessaires", évoquant le projet de loi de finances pour 2023 qui "entend à la fois plafonner les dépenses des collectivités territoriales et réduire les crédits finançant les investissements en faveur de la transition écologique".
› TRANSPORTS
Aérien
• Le texte prévoit de porter de 5 à 15 ans la durée maximale du premier contrat de régulation économique (CRE), prévu par l’article L.6325‑2 du code des transports, conclu à la suite de l’attribution d’un contrat de concession pour la construction, l’entretien et l’exploitation d’un aérodrome.
• Il précise également certaines modalités de mise en œuvre du règlement "Afir" (voir notre article du 27 juillet 2023) et du règlement relatif au réseau transeuropéen de transport (RTE-T – voir notre article du 30 avril). Il prévoit que les gestionnaires des aéroports du réseau RTE‑T devront, à partir du 31 décembre 2024, assurer la fourniture d’électricité aux aéronefs stationnés au contact de l’aérogare, obligation qui sera étendue à partir du 31 décembre 2029 aux postes de stationnement éloignés de l’aérogare (avec une exemption pour les aéroports accueillant moins de 10.000 mouvements aéronautiques commerciaux par an). À compter du 1er janvier 2030, l’électricité fournie devra provenir du réseau électrique ou être produite sur place sans utiliser de combustibles fossiles.
De même, les gestionnaires des aéroports du réseau central du RTE‑T dont le volume annuel total de trafic de passagers est supérieur à quatre millions de passagers devront fournir une infrastructure pour l’approvisionnement en air conditionné des aéronefs stationnés à compter du 31 décembre 2030. Obligation qui sera étendue aux aéroports du réseau global dont le volume annuel total de trafic de passagers est supérieur à quatre millions de passagers à compter du 31 décembre 2040.
• Il entend également s’adapter au règlement de 2023 ReFuelEU Aviation imposant diverses obligations pour l’utilisation et la fourniture de carburants d’aviation durables (CAD).
Route
• Le texte vise encore la transposition de la "directive ITS (ou STI)" (déploiement de systèmes de transport intelligents dans le domaine routier et ses interfaces avec d’autres modes de transport) révisée en 2023 (voir notre article du 13 juin 2023), notamment afin d’obliger les détenteurs de données relatives à la circulation et à la sécurité routière (notamment les gestionnaires du domaine public routier, les autorités investies des pouvoirs de police de la circulation, les exploitants d’aires de stationnement et de systèmes de péage) à les mettre à jour et à les rendre accessibles sous forme numérique.
• Il substitue par ailleurs dans la loi d'orientation des mobilités (LOM) l’objectif de fin de la vente des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers neufs émettant du dioxyde de carbone à l’échappement à compter du 1er janvier 2035 à celui visant l’objectif d’une fin de la vente de voitures particulières et des véhicules utilitaires légers neufs utilisant des énergies fossiles d'ici à 2040. Une modification opérée contre l’avis du Conseil d’État, qui relève que "le fait que les règles prévues par [l]e règlement UE permettent d’atteindre l’un des objectifs [de la LOM] plus tôt que prévu n’implique pas de modifier cet objectif national".
Services multimodaux. Le texte vise à prendre en compte le règlement délégué sur le service d’information multimodal sur les voyages.
Ferroviaire. Il vise à codifier les dispositions d’un règlement d’exécution de 2019 qui soumettent les personnels ferroviaires exerçant des tâches critiques pour la sécurité autres que la conduite, à une vérification de leurs aptitudes médicale et psychologique.
› ENVIRONNEMENT
Le texte entend "clarifier et simplifier" la mise en œuvre de la directive Inondations de 2007, notamment en rendant le plan de gestion des risques d’inondation (PGRI) "plus concis, plus lisible et plus concret", et in fine "plus facilement applicable par des actions de prévention concrètes des collectivités". Mais aussi en "clarifiant et simplifiant" la procédure de consultation et de concertation sur ce PGRI, en maniant la hache. Il annonce également entre les lignes la suppression à venir de la soumission à évaluation environnementale, de nature réglementaire, des plans de prévention des risques naturels prévisibles, considérant que ce faisant le pouvoir règlementaire "a choisi d’aller ainsi au-delà des exigences de la loi" et relevant que "depuis leur soumission à évaluation environnementale, le nombre de PPRN [plans de prévention des risques naturels] prescrits chaque année a fortement diminué".
› LUTTE CONTRE LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE
• Le texte vient également transcrire en droit national les dispositions relatives au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (voir notre article du 16 mai 2023), qui entrera pleinement en vigueur en 2026 (après une période transitoire qui a débuté le 1er octobre 2023). Transcription qui se fera également par ordonnance, prévue par le présent texte, afin de pouvoir intégrer certains textes d’applications européens encore en discussion.
• Il prévoit encore de déterminer le régime de sanctions applicable aux violations des règlements européens venus récemment renforcer le contrôle de la production, l’importation, l’utilisation et le trafic illicite des gaz à effet de serre fluorés (voir notre article du 6 avril 2022).