En quoi le plan de relance pourrait accentuer les inégalités territoriales

Au moment où la campagne de recrutement des "sous-préfets à la relance" s'ouvre, les associations d’élus s’inquiètent des modalités de mise oeuvre du plan de relance de 100 milliards d’euros qui risquent selon elles de privilégier les métropoles et les grandes intercommunalités bien outillées en ingénierie.

Du Premier ministre, Jean Castex, qui, dès le 3 septembre, affirmait que la territorialisation du plan de relance était un "un gage à la fois d'efficacité, d'adaptabilité, d’équité et de cohésion" à la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, affirmant que "ce n'est pas depuis des bureaux  à Paris à coups de tableaux de bord" qu’il peut être exécuté, en passant par le secrétaire d’État à la Ruralité, Joël Giraud, martelant récemment que le "plan de relance sera rural ou ne sera pas"... Depuis un mois et demi, tout le gouvernement joue la partition de la proximité. Pour réussir la territorialisation du plan de 100 milliards d’euros, il compte notamment sur les fameux "sous-préfets à la relance" dont la procédure de recrutement a été lancée mardi 13 octobre : pas de nominations mais un appel à candidatures en bonne et due forme qui s’adresse à de "jeunes hauts fonctionnaires" affectés "auprès du préfet, en région ou dans un département, pour une durée d’un à deux ans". Les prises de fonctions se feront "au fil de l’eau", à partir de la mi-novembre jusqu’au 1er janvier 2021. Les 30 premières fiches de postes publiées concernent aussi bien des départements (Cantal, Isère, Nièvre, Finistère…) que des régions (Bretagne, Centre-Val de Loire, Grand Est, Île-de-France, Paca, Pays de la Loire).

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et Amélie de Montchalin déclarent conjointement vouloir apporter "une attention particulière à la diversité des profils choisis, à leur capacité à porter un projet de territoire en lien avec élus et entreprises, et à lever, avec l’ensemble des partenaires locaux, les blocages qui empêcheraient la concrétisation rapide du plan de relance".

Si ces sous-préfets suscitent beaucoup d’attente, une forte pression pèse déjà sur eux. Le profil de ces candidats sera "stratégique". "Ils devront avoir la fibre locale", a averti Ludovic Rochette, président de l’Association des maires de la Côte-d’Or, le 14 octobre lors d’une table-ronde organisé par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale sur la "territorialisation du plan de relance".

"Ce plan de relance sera un vrai test"

Les associations d’élus s’inquiètent du calendrier, des délais et des modalités de mise en œuvre du plan, en particulier du recours aux appels à projets et aux appels à manifestation d’intérêt qui, une fois de plus, risquent de privilégier les collectivités les mieux outillées en ingénierie, à commencer par les métropoles. "Cela nous pose la question de l’ingénierie car les projets ne sont pas que sur les grandes métropoles. La précipitation de certains calendriers va mettre en exergue – en l’absence d’une Agence nationale de la cohésion des territoires très territorialisée – des problèmes d’ingénierie au niveau des intercommunalités", a souligné Virginie Carolo, présidente de la communauté Caux Vallée de Seine (Normandie), vice-présidente de l’Assemblée des communautés de France. "Ce plan de relance sera un vrai test sur la collaboration entre les services de l’État et les territoires."

Ludovic Rochette estime même que la territorialisation doit être conçue comme une "péréquation", sinon le risque est que "les intercommunalités les plus aisées consomment l’ensemble de l’enveloppe". Le maire de Brognon demande au gouvernement de produire des "fiches types" qui permettent à chacun de s’y retrouver quand Virginie Carolo réclame une circulaire pour inciter les préfets à "dialoguer avec l’ensemble des présidents d’intercommunalités". "Près de 25% [des intercommunalités] se sentent complètement démunies, se disent : 'ce plan, on passera à côté'."

À travers les accords de relance qui seront signés d’ici la fin de l’année (en préalable aux futurs contrats de plan), les régions sont la courroie de transmission entre le plan national et les fonds européens. Seulement, elles sont vues comme un échelon lointain. "Une des missions des régions c’est cette égalité, cette péréquation entre les métropoles qui sont extrêmement bien dotées et les territoires ruraux", a voulu rassurer Agnès Langevine, vice-présidente du conseil régional d’Occitanie. Des comités thématiques État-régions (sur l’économie, la formation professionnelle et la transition écologique) seront déclinés au plan local, a-t-elle dit, en complément des comités préfet-président de région. Dans les Pyrénées-Orientales, le préfet de département a reproduit un mode d’organisation qui a fait ses preuves, en début d’année, après la tempête Gloria, autour d’un "comité des financeurs" regroupant les services de l’État, les agences… Ce système permet de "faire en sorte que la réalisation du projet soit au rendez-vous", a-t-elle insisté.

Les maires de petites communes font valoir de leur côté l’inadaptation de nombreuses thématiques à leur réalité et souhaiteraient ouvrir le plan aux espaces publics, aux équipements sportifs et culturels, au patrimoine…

Création d'un "observatoire des impacts territoriaux de la crise" 

"La crise vient renforcer des fragilités qui existent déjà. Les villes qui ont le plus décliné sont les petites villes-centres et elles sont pleinement impactées par cette crise", a déclaré le maire de Château-Thierry (Aisne) Sébastien Eugène, représentant l’APVF. L'édile préconise "une cartographie précise de l’impact de la crise par territoire afin de cibler les territoires les plus fragilisés et de pouvoir les cibler". Fin septembre, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait lui-même promis devant la commission des finances de l'Assemblée une cartographie des aides accordées.

À noter que le Cnam, l’ADCF, l'ADGCF et l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts lanceront un "observatoire des impacts territoriaux de la crise" ce 15 octobre. "Cet observatoire, qui a déjà réalisé quelques analyses sur le chômage, l’emploi et les revenus territoriaux, a vocation à se développer et à produire des cartographies, des analyses, de la méthodologie pour les territoires", indique-t-on à l’Institut pour la recherche.

 

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