En Ariège, un tiers-lieu ambitieux est devenu référent national (09)

« Un tiers lieu doit émerger du territoire parce qu’il vit grâce à tous ceux qui l’utilisent, dit Laurent Panifous, maire du Fossat et président de la communauté de communes Arize-Lèze. L’investissement associatif, très fort au démarrage, est indispensable, mais pas suffisant. Il importe que la communauté de communes s’engage pleinement pour répondre aux besoins de tous les habitants du territoire. » De fait, l’hôtel d’entreprises Arize-Lèze a été imaginé avec Comètes Innovation, un collectif de douze usagers, dont trois étant employés de la communauté de communes. C’est dire l’étroite imbrication, dès le début, entre les acteurs institutionnels et les porteurs du projet. « Aujourd’hui, le collectif est indépendant, mais nous travaillons toujours ensemble et le sollicitons selon la disponibilité de ses membres, pour animer les ateliers récurrents, contribuer aux thématiques ou accueillir les classes », explique Coralie Dumont, chargée de mission développement du tiers lieu.

Atypique et ambitieux

« C’est un tiers lieu en milieu rural à vocation économique, car nous avons besoin de personnes qui s’installent sur le territoire. L’hôtel d’entreprises accueille des entrepreneurs individuels et des autoentrepreneurs qui trouvent là un espace de travail performant et confortable, correspondant aux besoins d’aujourd’hui », poursuit Laurent Panifous. Parmi les installés, un architecte qui apprécie un lieu valorisant pour recevoir ses clients, une créatrice qui travaille pour un studio de dessins animés et apprécie l’excellent débit de l’installation, un designer, une secrétaire en libéral… L’espace est ouvert en continu pour les coworkers, responsables des lieux en l’absence des salariés.

Le tiers lieu propose aujourd’hui sur 600 m² (100 m² pour le hall, la cuisine, l’espace exposition ; 100 m² pour le FabLab ; 80 m² pour l’atelier de création et les réunions) trois types d’activité : le télétravail dans l’espace de coworking ; le prototypage grâce à l’atelier et le matériel mis à disposition ; les salles de réunion de 4 à 180 m². En 2021, il a accueilli 193 visiteurs uniques, c’est-à-dire usagers venus au moins une fois, mais qui ont pu faire plusieurs passages.

Attirer les jeunes

Quant au programme 2021-2024, il a été défini avec les usagers et selon les dynamiques développées sur le territoire. Coralie Dumont : « les thématiques retenues dépendent aussi de notre capacité à réaliser, notamment du réseau dont nous disposons pour les développer. » Tandis que 2021 a mis à l’honneur la photographie, 2022 profitera de la thématique consacrée aux métiers d’art par la Chambre des métiers d’art (CMA) de Foix : « Nous allons profiter de l’exposition d’une œuvre de 5 mètres de haut pour communiquer sur les métiers de l’art du bois et la réalisation de sculptures avec des imprimantes 3d. » Ensuite, la BD sera à l’honneur en octobre 2022 « pour aller chercher les jeunes, leur faire découvrir cet art, proposer des cours de dessin et des échanges avec des professionnels de la BD ». La jeunesse est un axe essentiel des actions du tiers lieu.

Sous-jacente à chaque expérience menée dans le tiers lieu : la volonté de montrer que l’innovation technologique est accessible à tout le monde. « Les usagers sont de plus en plus nombreux à venir réaliser des objets pour leur usage personnel, des cadres pour leurs photos, par exemple. En 2021, plusieurs personnes ont appris à manier Photoshop, logiciel professionnel de retouches photos ». Quant aux entrepreneurs, ils utilisent le fablab pour réaliser des prototypes en vue de breveter leurs inventions, soit en 2021, une machine à bulles en bois ou un nouveau système de panneau photovoltaïque. Très prisée aussi, la réalisation de Cosplay, costumes animés utilisés pour revêtir l’apparence d’un personnage issu des mangas, de la science-fiction ou des jeux vidéo.

Pour être encore plus près des utilisateurs, l’ouverture d’une antenne sur la vallée de l’Arize est envisagée, avec un bureau et un atelier de fabrication.

Un tiers lieu, référent régional… et national

Engagée pour « limiter la fracture numérique », la région Occitanie () a lancé un appel à projets (le cinquième est en cours), encourageant la création, l’extension et la professionnalisation des fablabs. Celui d’Arize-Lèze a été reconnu pour son positionnement vers le développement économique, la qualité de son parc de machines, la réalité de la participation des habitants. Grâce à cette reconnaissance, le fablab peut acquérir des machines financées par la Région sur devis argumenté (35.000 € sur trois ans).

À l’échelle nationale, labellisé « Fabrique numérique de territoire », comme 32 autres territoires, par l’Agence nationale de la cohésion des territoires, Arize-Lèze est aujourd’hui une ressource pour les autres tiers lieux. « Nous accueillons tous les publics, habitants et professionnels et sommes un lieu d’innovation et d’élaboration collectives, ce qui nous permet d’aider les porteurs de projets à développer des tiers lieux ailleurs », explique Coralie Dumont. Avec ses collègues, elle prépare une « valise outil » pour guider concrètement les porteurs de projets à monter un tiers lieu, consolider le modèle économique, convaincre les élus… En préparation aussi, des ateliers dans l’hôtel d’entreprise pour partager l’expérience. Le label obtenu pour trois ans implique un reporting annuel et la subvention (150 000 € sur trois ans) finance notamment le poste d’Alexandra, chef de projet informatique et graphiste qui sera prochainement, la conseillère numérique de l’hôtel d’entreprise, après 400 heures de formation à l’accompagnement de projet.

Le retour sur investissement

Avec un coût de fonctionnement net (après subvention et amortissement du bâtiment) de 130 000 € par an, les élus parient sur la professionnalisation : Mathieu, Fab manager et Coralie sont rejoints en 2022 par Alexandra, conseillère numérique. Autre force du tiers lieu d’Arize-Lèze, l’adaptabilité. « C’est un lieu agile et mobile au sens où nous devons être à l’écoute des besoins et y répondre rapidement. C’est la feuille de route des professionnels qui gèrent au quotidien », poursuit Laurent Panifous. Quant au retour sur investissement, il n’est pas forcément lisible dans le budget. « Il faut accepter un retour sur investissement qui, dans un premier temps, est immatériel. » Un exercice inhabituel pour les élus, qui leur demande, à eux aussi agilité et mobilité, dans la manière de penser et de mesurer les impacts d’un tel lieu.