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Congrès des maires - Emmanuel Macron maintient le cap et confirme une réforme de la fiscalité locale

Une "refonte en profondeur de la fiscalité locale" dès 2020, un possible abandon du projet de "double règle d'or", une révision de l'article 72 de la Constitution pour renforcer l'autonomie et la capacité d'innovation de chaque territoire, davantage de marges de manoeuvre pour les préfets, un point d'entrée unique grâce à la future Agence de la cohésion des territoires, des Assises de l'eau et une Conférence de consensus sur le logement... Au fil de son allocution ce 23 novembre en clôture du 100e Congrès des maires, Emmanuel Macron a réaffirmé et prolongé le sillon tracé en juillet dernier lors de la Conférence nationale des territoires avec, à la clef, plusieurs confirmations et quelques concessions.

Il les a d'emblée prévenus. Il n'était pas venu les "satisfaire automatiquement", il n'était pas l'adepte des "renonciations par complaisance". Tout juste, à la marge, reconnaître "quelques erreurs, des oublis" et, dans ce cas, rectifier le tir. Ses engagements de campagne, puis les principes et décisions posés dès le début de son mandat, avaient bel et bien "vocation à être appliqués". Le "discours de vérité" d'Emmanuel Macron ce jeudi 23 novembre en clôture du 100e Congrès des maires de France avait donc surtout pour ambition de convaincre bien sûr, mais aussi de redonner du sens aux réformes engagées, d'en approfondir certaines et d'en lancer quelques autres. Il s'agissait aussi de dire aux maires : "J'ai besoin de vous". "J'ai besoin de vous parce que le pays ne se redressera pas avec quelques décisions, quelques lois, quelques règlements ou l’action de quelques-uns. Il ne réussira que parce que partout sur le territoire, il y a les engagés et les convaincus que vous êtes." Il faut une "action commune".

Parmi les "quelques erreurs", Emmanuel Macron est revenu sur l'épisode ayant rapidement rompu l'attrait suscité en juillet par l'installation de la Conférence nationale des territoires – l'annonce le jour même que ce ne serait pas 10 mais 13 milliards d'efforts qui seraient attendus de la part des collectivités, le surgel budgétaire sur des crédits de 2017 destinés au financement de projets locaux, le brusque coup de frein sur les emplois aidés... "Vous avez raison, l’été n’a pas été à la hauteur de cet engagement", celui de faire en sorte qu'aucune décision concernant les collectivités ne soit prise sans leur association préalable. La raison invoquée : "Parce que des habitudes se sont installées dans les fonctionnements politiques, administratifs (...) C’est difficile de revenir sur des habitudes. Et donc il est vrai que des mesures n’ont pas été dument concertées, présentées, je le reconnais parfaitement."

Cette "action commune", Emmanuel Macron l'a présentée en trois "combats" : "préservation des moyens financiers", une "plus grande autonomie des territoires", "l'Etat doit pleinement vous accompagner sur les grandes transitions".

Finances : en attendant la grande réforme...

Sur les moyens financiers, il a insisté sur "cette dépense publique en partage" impliquant l'effort de tous et lancé : "Notre pays aime la finance magique (...). Il veut que l’économie soit toujours le problème de l’autre." Assurant vouloir assurer de "réelles marges de manœuvre" à des collectivités ne pouvant "être réduites à une fonction de guichet pour délivrer des prestations", il s'est formellement engagé à "une stabilité des concours financiers". Après sept années de baisses, "c'est historique", a-t-il assuré.

Comme l'avait fait Edouard Philippe deux jours plus tôt, le chef de l'Etat a tenu à réexpliquer le mécanisme retenu pour la contractualisation avec les 319 plus grandes collectivités (le Premier ministre avait pour sa part indiqué qu'il pourrait finalement s'agir de 600 collectivités), en insistant lui aussi sur le "dialogue" qui permettra d'"adapter" le taux de 1,2% d'évolution des dépenses pour tenir compte des "difficultés", des efforts déjà faits et des projets du territoire. Et en soulignant que "plus de 99% des communes ne sont pas visées". "Cela signifie que pour l’immense majorité d’entre vous, la situation est simple : les concours financiers de l’Etat à votre commune seront maintenus et l’Etat ne vous demandera aucune contrepartie". Edouard Philippe avait toutefois ajouté que même pour les petites communes, "si le pari n'est pas tenu" en matière de maîtrise des dépenses, il faudrait collectivement "en tirer les conséquences" dans le projet de loi de finances pour 2020.

Surtout, Emmanuel Macron a annoncé l'assouplissement - voire le retrait ? - d'une autre disposition du projet de loi de programmation des finances publiques, à savoir l'article 24 dont l'Association des maires de France, dans sa résolution générale, demande la suppression pure et simple en ce qu'il "impose un rationnement de la dette" : "Sur ce point j’ai entendu vos remarques. Et je propose que la trajectoire de désendettement soit également adaptée aux situations spécifiques sans devenir ce que vous appelez la double règle d’or. Il est vrai que la loi prévoit d’ores et déjà des encadrements (...). Il est donc nécessaire que ce dispositif puisse être dûment discuté lors de la conférence nationale des territoires de décembre."

Sur la réforme de la taxe d'habitation en revanche, l'exécutif ne bougera pas. Cette réforme, "je l'assume totalement", a clamé Emmanuel Macron. Dans la salle, un mélange de sifflets et d'applaudissements. Fustigeant ceux qui "depuis plus de 40 ans" n'ont eu de cesse de critiquer cet impôt local dont on a "à chaque fois" renoncé à réviser les bases, et qui aujourd'hui "le défendent", il a redit pourquoi la taxe d'habitation était selon lui doublement injuste. "Injuste socialement" parce qu'elle pénalise les classes moyennes et "injuste territorialement" parce que ses "victimes" seraient "les territoires modestes" – "les communes les plus rurales, les communes périphériques où les classes moyennes vont loger parce qu'elles ne peuvent plus habiter dans l'agglomération et la métropole, le centre-bourg qui a les charges de centralité et donc qui monte la taxe d’habitation".

Il a, comme le fait le gouvernement depuis plusieurs mois, insisté sur le fait que la formule du dégrèvement apportera toutes les garanties "en montants et en bases", et ce pendant au moins trois ans. Les craintes des élus sur la fâcheuse tendance des dégrèvements à se muter en compensations lui sont bien parvenues : "Vous vous dites 'on la connaît cette musique - dans quatre ans, dans cinq ans, huit ans, c’est l’Etat qui payera, donc il reprendra".

D'où la nécessité d'"aller plus loin", en engageant "une refonte en profondeur de la fiscalité locale" pour que les collectivités retrouvent "leur autonomie fiscale pleine et entière" et disposent de bases correspondant à leurs missions, dans l'esprit du transfert d'un point de TVA aux régions. Des débats sont prévus dans le cadre de la CNT, sur la base des travaux de la mission Richard-Bur, du Parlement et du Comité des finances locales, pour une prise de décisions en 2019 et une inscription dans les textes budgétaires de 2020. Les travaux devront inclure l'enjeu de la péréquation, qu'il s'agisse de la dotation globale de fonctionnement ou des fonds de péréquation horizontale, a précisé Emmanuel Macron avant de se résumer en ces termes : "Je veux une réforme ambitieuse et cohérente dont la taxe d’habitation n’est que le premier acte."

Comme à peu près chaque chef de l'Etat ou chef de gouvernement venu s'exprimer ces dernières années devant les maires réunis en congrès, il a par ailleurs réaffirmé sa volonté de lutter contre "la profusion des normes" : la circulaire de juillet instaurant la règle de "deux normes supprimées pour toute nouvelle norme créée" aurait déjà produit ses premiers effets ; chaque ministère devra désormais présenter un "coût national complet" de chaque norme ; le conseil national d'évaluation des normes (CNEN) verra ses missions être "renforcées"... Et Jean-Claude Boulard - coauteur avec Alain Lambert en mars 2013 d'un savoureux rapport sur les normes absurdes qui empoisonnent la vie des collectivités – reprendra du service pour passer une nouvelle fois en revue "le stock" de normes.

L'autonomie des territoires passera par une réforme constitutionnelle

Les ministres Gérard Collomb et Jacqueline Gourault l'avaient déjà rappelé aux maires la veille lors du débat sur l'intercommunalité, Emmanuel Macron l'a une nouvelle fois confirmé : le quinquennat sera marqué par une "stabilité institutionnelle" pour les collectivités et l'Etat "ne forcera pas à des regroupements de communes ou à des modifications de la carte intercommunale." "Vous savez mieux que moi où sont les bons regroupements" et "ça marche mieux quand vous l'avez voulu que lorsque cela vous a été imposé", a-t-il dit aux élus.

Quant à toute modification de la carte métropoles-départements, elle devra se faire "avec pragmatisme". Il n'y aura rapprochement que s'il est souhaité et celui-ci ne concerna en tout état de cause que "cinq ou six métropoles d'ambition européenne ou mondiale" – par exemple dans les départements où il ne reste plus "qu'une vingtaine de communes hors de la métropole".

Là encore, Jacqueline Gourault en avait dit un mot mercredi en évoquant un possible "droit à la différenciation" et Emmanuel Macron a longuement insisté sur cet enjeu en confirmant souhaiter une révision de l'article 72 de la Constitution tel qu'hérité de la réforme Raffarin "pour permettre aux collectivités de pérenniser une expérimentation réussie, sans que celle-ci ait vocation à être généralisée au plan national". C'est ainsi que les collectivités pourront véritablement "innover". Plus largement, il s'agira de "conférer aux collectivités une capacité inédite de différenciation, une faculté d’adaptation des règles aux territoires", et une possibilité de transferts de compétences à la carte. Avec "l’engagement de prendre aussi les textes de loi qui permettront d’accompagner cela".

Le corollaire : une "vraie déconcentration de l’Etat", autour de préfets en mesure eux aussi d'"adapter les choses". Le projet de loi sur le droit à l’erreur qui sera présenté lundi en Conseil des ministres devrait comporter des dispositions en ce sens.

Le surcroît "d’autonomie et de liberté" devra aussi s'appliquer en matière de ressources humaines. Là-dessus, Emmanuel Macron ne tranche pas, lance les questions : "Faut-il aller vers une différenciation des différentes fonctions publiques ?", "Faut il élargir les possibilités de recrutements hors statut ?" Ces sujets " sensibles" sont renvoyés à des discussions "avec les syndicats et les élus locaux".

Le président a par ailleurs démenti avoir jamais évoqué une réduction du nombre d'élus municipaux, "largement bénévoles", assurant que la seule réduction envisagée était celle qui découlerait mécaniquement d'éventuels rapprochements ou fusions de collectivités. Quant à la limitation du cumul des mandats dans le temps, qui fait lui aussi sursauter pas mal de maires, Emmanuel Macron a rappelé que le projet présenté en juin dernier par François Bayrou, alors ministre de la Justice, prévoit bien une telle limitation, mais "ne touche pas les communes de moins de 3.500 habitants" et ne tiendra pas compte des mandats effectués avant les prochaines élections municipales.

Une Agence pour une "simplification radicale"

Sur le terrain du troisième "combat", celui d'un Etat "accompagnateur", "facilitateur", on retiendra principalement les propos d'Emmanuel Macron concernant la future "Agence nationale de la cohésion des territoires", au sujet de laquelle les spéculations vont bon train depuis l'annonce de sa création en juillet dernier. Il a décrit son rôle - visiblement large - en ces termes : "L’Etat aura une agence unique qui permettra de simplifier beaucoup les choses et de supprimer beaucoup d’agences ministérielles qui se sont multipliées, dans laquelle on gèrera les grandes politiques d’aménagement du territoire pour réduire la fracture numérique, réduire les déserts médicaux, lutter contre les fractures territoriales, apporter les garanties ou les prêts qui sont gérés par la Caisse des Dépôts (...), avec sur le terrain un interlocuteur, le préfet de région et le préfet de département (...). Il y aura donc une clarté des crédits alloués et une simplification radicale. Cette agence aura aussi pour vocation d’apporter des compétences en ingénierie territoriale qui seront envoyées sur le terrain."

Enfin, le chef de l'Etat s'est arrêté sur deux dossiers d'actualité que son Premier ministre avait déjà abordés en ouverture du congrès en réponse à la mobilisation de l'Association des maires de France. Le premier d'entre eux : la politique de l'eau. Certes, "la carte des nappes phréatiques ne correspond pas à la carte des intercommunalités"... Mais "c'est plus compliqué qu'on ne le croit". Alors, l'avis favorable donné par Edouard Philippe au possible maintien de la compétence eau et assainissement au niveau communal ne serait en fait qu'une "option". Le sujet "nécessite d’être travaillé" dans le cadre de la CNT, sachant que sur certains territoires, la compétence pourrait "aller au département". Et au-delà de la CNT, Emmanuel Macron souhaite lancer dans les prochaines semaines des "Assises de l'eau" centrées sur la question du financement des "indispensables investissements sur nos réseaux devenus trop vétustes".

L'autre dossier incontournable était évidemment celui du logement social. L'argumentaire est désormais connu : une politique à 40 milliards d'euros qui "fonctionne mal". La réforme des APL touchant les bailleurs sociaux et, par ricochet, les collectivités, s'imposait donc mais "nous pouvons rendre cette réforme plus intelligente, plus efficace", a reconnu Emmanuel Macron. Et celui-ci d'annoncer avoir fait sienne la proposition du président du Sénat d'une Conférence de consensus sur le logement, en vue d'un projet de loi à finaliser début 2018. Cette conférence devra en outre aborder "certaines améliorations attendues dans le monde rural, par exemple pour simplifier la loi Alur qui a conduit à des contraintes (...) qui empêchent certains élus de construire là où ils le voudraient alors que ça n’a rien à voir avec l’objectif de la loi".

 

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