Transition énergétique - Emmanuel Macron choisit une voie médiane sur le nucléaire et promet un essor des renouvelables
Le président Emmanuel Macron et son ministre d’État François de Rugy ont présenté le 27 novembre les grandes orientations de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Cette feuille de route donnant un cap à l'action publique pour les dix prochaines années comporte vingt orientations dont plusieurs intéressent les collectivités.
"La précédente programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) était imprécise, incomplète. Cette nouvelle feuille de route fixant pour 2019-2023 les priorités d’action des pouvoirs publics corrige le tir pour que la France atteigne la neutralité carbone à l’horizon 2050". C'est confiant dans la marche à suivre et la trajectoire annoncée pour faire évoluer "le mix énergétique de demain" que François de Rugy en a détaillé ce 27 novembre le contenu. Non sans le resituer au préalable dans la lignée des objectifs fixés par l’accord de Paris (COP21) et le plan climat du quinquennat (voir notre article).
Mesures concrètes ou bonnes intentions ?
La première priorité, la baisse tous secteurs confondus des consommations "pour produire autant avec moins d’énergie", mobilise tous les acteurs économiques ou territoriaux, sachant que les deux gros postes consommateurs sont le résidentiel tertiaire et les transports. Pour le premier, il est question, concernant les particuliers, d'élargir dès 2020 aux propriétaires-bailleurs le crédit d’impôt pour la transition énergétique (Cite) et dès 2019 aux ménages modestes pour financer l’installation d’équipements de chaleur (main d’œuvre) et de dépose de cuves à fioul. Le taux d'aides Cite devrait être bonifié pour les ménages les plus en difficulté. Et l'accès à l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) être simplifié en fonction du type de travaux réalisés. Les propriétaires modestes de logements classés F et G (passoires thermiques) pourront bénéficier d'un audit énergétique à 100% financé. Pour les inciter à engager des travaux, cet audit sera demandé avant la mise en location d’un logement privé de catégorie F ou G. "Pour continuer d’accompagner les Français dans cette transition, les moyens de l'Anah sur les rénovations énergétiques seront maintenus et, côté mobilité, la prime à la conversion d'anciens véhicules renforcée pour les ménages modestes", a complété le ministre de la Transition écologique et solidaire. Pour muscler le réseau d’infrastructures de recharge, des freins à l’installation, dont le droit propre aux copropriétés, sont pointés et devront être levés. L'ensemble est insuffisant, considère le Cler-Réseau pour la transition énergétique (anciennement Comité de liaison pour les énergies renouvelables), qui voit là "de grandes intentions" mais pas une réponse "aux causes réelles du problème et des factures liées aux consommations trop élevées des 27 millions de logements dont 7,5 millions de passoires énergétiques".
Objectif : décarboner la chaleur
L'enjeu de développement de la chaleur renouvelable tient une place importante dans cette stratégie nationale. Décarboner la chaleur, qui "représente 42% de la consommation finale d’énergie en 2016" et est essentiellement produite à partir de gaz, mais aussi d’électricité et de pétrole, figure parmi les priorités. Les promoteurs de la chaleur renouvelable (voir notre article) seront-ils satisfaits par l'idée de rendre obligatoire dès 2020, dans la future réglementation environnementale sur les bâtiments neufs, l'atteinte d'un taux minimum de chaleur renouvelable dans tous les bâtiments neufs ? La PPE acte une augmentation des moyens du fonds chaleur : de 245 millions d'euros en 2018, il doit passer à 315 millions d'euros l'an prochain puis 350 en 2020, "tout en simplifiant l’utilisation, notamment en remplaçant les avances remboursables par des subventions". Est aussi évoqué un problème de surtransposition du droit européen qui semble impacter la gestion de ce fonds. En outre, pour développer les réseaux de chaleur, il faut "prioriser dans ce fonds la substitution du charbon par des énergies renouvelables et de récupération", dicte la PPE qui fixe l'objectif d’atteindre une quantité de chaleur et de froid renouvelables et de récupération livrés par ces réseaux entre 31 et 36 TWh en 2028, "soit une multiplication par 2,4 à 2,8" et "un rythme 1,5 fois plus soutenu que celui constaté entre 2010 et 2016".
Énergies renouvelables : un accent notoire sur le biogaz
Le président Emmanuel Macron a par ailleurs invité à massivement développer les énergies renouvelables (EnR), annonçant un soutien passant de 5 milliards actuellement "à 7 à 8 milliards d'euros par an". "Triplement de l'éolien terrestre, multiplication du photovoltaïque avec quatre à cinq fois plus d'installations attendues d'ici 2030, nous concentrons nos efforts sur le développement des EnR les plus compétitives", indique François de Rugy. "Et serons exigeants avec les professionnels sur la baisse des coûts", complète le président. Sur l'éolien en mer, quatre nouveaux appels d'offres sont attendus. Des objectifs ambitieux sont avancés pour le gaz : "De 0,1 % actuellement, l’objectif en 2030 est d'atteindre 10% de la consommation de gaz qui soit d’origine renouvelable", vise François de Rugy, en ajoutant que le défi est de créer les conditions d'un coût de production moins élevé qu'il ne l'est aujourd'hui. L'idée est de consolider l’obligation d’achat de biogaz à un tarif réglementé, de lancer des appels d’offres pour atteindre les objectifs à un coût maîtrisé grâce à de fortes baisses des coûts, et de favoriser le GNV et le bioGNV notamment grâce au suramortissement pour l’achat de véhicules compatibles. "De même, pour les biocarburants, il faut développer ceux qui respectent l’environnement et inciter à leur incorporation les opérateurs qui mettent à la consommation les carburants", ajoute le ministre d’État.
Fermer 14 réacteurs nucléaires dès 2020 et d’ici 2035
La PPE acte la poursuite de la diversification du mix-électrique "dans le cadre d’une stratégie de réduction lissée et pilotée des capacités nucléaires existantes et pour atteindre 50% de la production en 2035". Et François de Rugy de relever qu'il est souhaitable "d’anticiper l’arrêt de certains réacteurs du parc existant pour éviter un effet 'falaise' qui ne serait pas soutenable, ni en termes d’impacts sociaux, ni pour le réseau électrique". Une anticipation jugée "nécessaire pour étaler les investissements dans de nouvelles capacités". Le ministre parle aussi "d'un rythme de fermeture progressif et prévisible", notamment pour "permettre aux territoires et aux salariés de mieux se préparer, d’engager leur reconversion bien en amont et de structurer la filière de démantèlement". Concrètement, cette évolution impliquera l’arrêt de 14 réacteurs nucléaires de 900 mégawatts d’ici à 2035. "Ce mouvement commencera à l'été 2020 avec l'arrêt définitif des deux réacteurs de Fessenheim. Il restera alors à organiser la fermeture de 12 réacteurs entre 2025 et 2035 : 4 à 6 réacteurs d'ici 2030, le reste entre 2030 et 2035", a déclaré Emmanuel Macron. Les arrêts de réacteurs devraient avoir lieu parmi les plus anciens sites : Tricastin (Drôme et Vaucluse), Bugey (Ain), Gravelines (Nord), Dampierre (Loiret), Blayais (Gironde), Cruas (Ardèche), Chinon (Indre-et-Loire) et Saint-Laurent (Loir-et-Cher). C'est EDF, l'exploitant des 58 réacteurs actuellement en fonctionnement, qui devra fixer la liste précise. "Il s'agit de fermer les réacteurs et non les centrales. Si la décision est un jour prise d'en reconstruire, la possibilité sera laissée sur les sites", a dit François de Rugy.
"Alarme sociale et environnementale"
Dans son discours en présence des membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE), Emmanuel Macron s'est aussi employé à répondre aux revendications des "gilets jaunes".
Après dix jours de grogne contre la perte de pouvoir d'achat et la hausse des taxes sur les carburants, qui ont conduit à des violences, le président de la République a d'abord assuré qu'il ne confondait pas "ces actes inacceptables avec la manifestation (...)". "Je ne confonds pas les casseurs avec des concitoyens qui veulent faire passer un message", a-t-il souligné. "Ceux qui disent que ce sont, au fond, toujours les mêmes qui font les efforts", "ont raison", a-t-il ajouté, fustigeant "quarante ans de petites décisions" et les discours incitant "depuis des années" les Français à s'installer en périphérie des villes ou à rouler au diesel.
Mais si "nous devons entendre les protestations d'alarme sociale", ce sera "sans renoncer à nos responsabilités" car "il y a aussi une alarme environnementale", a réaffirmé le chef de l'Etat. "Fin du monde" ou "fin du mois", "nous allons traiter les deux, et nous devons traiter les deux", a-t-il assuré en référence à la nécessité de concilier les enjeux climatiques et sociaux pointée par l'ex-ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot. "Je ne veux pas qu'aux inégalités de revenus générées par la mondialisation s'ajoute pour nos concitoyens qui travaillent ou ont travaillé l'inégalité devant la transition écologique", a déclaré le président de la République. "Je refuse que s'installe une France à deux vitesses, où les plus riches, parce qu'ils ont fait les bons choix d'un point de vue environnemental, auront des factures allégées et les plus modestes, parce qu'ils n'auraient pas eu les moyens d'investir - qui dans un véhicule qui consomme peu, qui dans l'isolation de leur logement - devront payer encore davantage", a-t-il clamé.
Fiscalité des carburants adaptée aux fluctuations des prix
Emmanuel Macron qui a dit vouloir "aider les fins de mois difficiles" a donc annoncé que la fiscalité des carburants serait adaptée aux fluctuations des prix afin d'en limiter l'impact pour les Français qui utilisent beaucoup leur voiture. "En cas de nouveau pic des prix, le gouvernement pourra décider de suspendre ou réduire la hausse de fiscalité intervenue en début d'année, pour ne pas aggraver inutilement la hausse déjà forte du prix à la pompe. En application de ce mécanisme, la hausse de la fiscalité aurait été suspendue entre juillet et octobre 2018, réduisant le prix à la pompe", a expliqué Matignon.
Le chef de l'Etat a en outre annoncé une "grande concertation de terrain sur la transition écologique et sociale", rassemblant associations, élus et "représentants des gilets jaunes", pour, "dans les trois mois qui viennent", élaborer des "solutions", des "méthodes d'accompagnement". Edouard Philippe est chargé de mener des consultations cette semaine pour définir l'organisation de cette concertation.
Des "gilets jaunes" ont immédiatement rejeté ce discours. "Macron garde le cap, nous aussi", clamaient mardi une cinquantaine de "gilets jaunes", installés dans leur nouveau "quartier général", sur un rond-point de Trégueux (Côtes-d'Armor). Côté politique, seul le MoDem saluait le "nouveau prisme" donné par le président "pour regarder notre avenir". A droite, Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, a dénoncé un discours "à côté de la plaque" avec une "concertation pipeau". L'écologiste Yannick Jadot, un des rares politiques à soutenir la hausse de la fiscalité des carburants proposée par le gouvernement, s'est dit "stupéfait" du manque d'annonces sociales. Au sein de la majorité, le député LREM Mathieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot, s'est dit "déçu" qu'aucune nouvelle mesure d'accompagnement social n'ait été annoncée mardi, alors que "les solutions sont connues". "Ce que nous voulons c'est que personne ne soit laissé seul face à la transition écologique", a de nouveau plaidé le Premier ministre Edouard Philippe lors des questions au gouvernement à l'Assemblée.
"Gilets jaunes" : 12 des 13 présidents de région demandent des "mesures d'urgence"
"La colère de nos concitoyens", "l'expression vivante d'une fracture territoriale et sociale" : 12 des 13 présidents de région, de droite comme de gauche, ont interpellé l'exécutif sur le mouvement des "gilets jaunes" et demandé des "mesures d'urgence", dans une tribune parue ce 27 novembre dans l'Opinion, avant le discours du président de la République sur la stratégie et la méthode pour la transition écologique.
"Ce serait une très grave erreur de caricaturer leur révolte en un mouvement extrémiste manipulé par l'ultradroite ou l'ultragauche", expriment les élus qui appellent l'exécutif à "changer de discours, reconnaître la souffrance de nos compatriotes, et pas la nier (...), prendre des mesures d'urgence et en premier lieu un moratoire sur la hausse des taxes au 1er janvier". Il faut "prendre le temps" de la fiscalité écologique, réécrire d'une manière qui soit socialement plus acceptable, plus transparente et mieux ciblée", suggèrent les élus. "Au plan social, les régions en appellent à l'État" avec entre autres, "la mise en place un système d'accompagnement des individus les plus modestes et dépourvus de solutions alternatives de mobilité".
Ce texte est signé par des présidents de régions de droite (Valérie Pécresse en Île-de-France, Renaud Muselier en Paca, Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes, Jean Rottner dans le Grand Est et Christelle Morançais dans les Pays de la Loire), du centre (Hervé Morin en Normandie), de gauche (François Bonneau dans le Centre-Val de Loire, Carole Delga en Occitanie, Marie-Guite Dufay en Bourgogne-Franche-Comté , Alain Rousset en Nouvelle-Aquitaine ou Loïg Chesnais Girard en Bretagne) ainsi que par le président exécutif du Conseil de Corse, Gilles Simeoni. Seul le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand (ex-LR), ne figure pas parmi les signataires.
Pour ces élus, "le mouvement des 'gilets jaunes' est l'expression vivante de la fracture territoriale et sociale dans notre pays. Il exprime la colère de nos concitoyens des territoires péri-urbains et ruraux, contraints de se loger toujours plus loin", analysent-ils.
Les habitants sont "percutés de plein fouet par les variations des prix des carburants, et stigmatisés en tant qu'automobilistes alors que le parc automobile ne représente pas plus de 15% des émissions de gaz à effet de serre", relèvent les 12 présidents de région, alors que "les bâtiments représentent 40% de la consommation énergétique".
AFP