EDITION SPECIALE - Une année particulière
Alors que Localtis interrompt ses éditions quotidiennes jusqu'à début janvier, rapide retour sur les remous institutionnels de l'automne (deux Premiers ministres en trois mois) qui ont de facto eu des incidences y compris pour les collectivités, avec le blocage de nombre de dossiers de premier plan. Un trimestre fortement marqué, aussi, par le volet finances locales du projet de loi de finances pour 2025 dont on ne sait pour l'heure ce qu'il adviendra.
Au moment où nous interrompons nos éditions quotidiennes pour les fêtes de fin d'année, une fois encore (cela avait déjà été le cas fin juillet au moment de plier bagage pour notre trêve estivale), nous ne pouvons évidemment que renoncer à toute esquisse de ce qui attendra les collectivités en début d'année prochaine.
Rapide flash-back sur quelques dates depuis la rentrée de septembre dernier. Pas forcément inutile tant on finit par y voir flou. Michel Barnier fait son entrée à Matignon le 5 septembre, suite à la dissolution du 9 juin et aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet. La composition de son gouvernement au grand complet est annoncée le 21 septembre, avec un casting très local (les décrets d'attribution de ses ministres seront publiés le 11 octobre, avec Catherine Vautrin en première ligne sur une bonne part des sujets liés aux collectivités et aux territoires).
Michel Barnier prononce sa déclaration de politique générale à l'Assemblée le 1er octobre. Les collectivités n'en sont pas absentes : "nouveau contrat de responsabilité" État-collectivités, déblocage de projets locaux entravés par la réglementation, normes, planification écologique, conférence sur l'eau, extension du PTZ, mesures pour les bailleurs sociaux, évolution du ZAN, accès aux soins, plans d'action départementaux sur la sécurité, réduction des dépenses… Certes, rien de très précis mais, il l'assurera lors de chacune de ses interventions devant des élus locaux, une volonté affichée de "dialogue".
Finances locales : entre inquiétude et incompréhension
De réduction des dépenses, il en sera évidemment beaucoup question par la suite avec la présentation du projet de loi de finances pour 2025 le 10 octobre par les deux locataires de Bercy. Notre dossier consacré à ce PLF vous permettra de retrouver tout ce que ce texte contenait, notamment en matière de finances locales, les réactions suscitées du côté des collectivités et les aménagements envisagés lors de la discussion parlementaire brusquement interrompue début décembre.
Ce PLF aura nourri une bonne part des débats des congrès d'élus locaux de l'automne : France urbaine, Intercommunalités de France, Départements de France (les congrès de Régions de France et de Villes de France s'étaient pour leur part tenus avant que ce projet de budget ne soit connu). Lors de tous ces temps fort du monde territorial, il fut dit à quel point l'"effort" de 5 milliards demandé aux collectivités serait impossible à absorber sans renoncer à des investissements ou sans toucher aux services publics locaux. Et cela s'est largement confirmé lors du Congrès des maires, au cours duquel la vague d'inquiétude et d'incompréhension face aux mesures financières envisagées par le gouvernement Barnier n'a eu de cesse de s'exprimer. Notre dossier dédié à ce congrès 2024 en témoignera. André Laignel, le premier vice-président de l'Association des maires de France (AMF), certes avec l'emphase qu'on lui connaît, parlera même du "pire des budgets qu'on connaisse depuis que les budgets des collectivités existent".
Crise à tous les étages ?
Au fil de ces rendez-vous, on a vu certains ministres prendre leurs marques et dessiner de premières pistes de travail. Catherine Vautrin naturellement, en tant que ministre du Partenariat avec les territoires - un intitulé inédit qui, avait-il plusieurs fois été souligné, ne devait rien au hasard. Une élue locale, tout comme Valérie Létard, qui avait fait ses premiers pas de ministre du Logement dès fin septembre devant le congrès de l'Union sociale pour l'habitat (USH). Jugée bonne connaisseuse du secteur, sa nomination avait d'ailleurs été très bien accueillie, sachant que de toutes parts – représentants du monde HLM, du secteur privé et des constructeurs, des élus locaux… – , on a rarement autant parlé de crise du logement (notre dossier logement se fait l'écho des diverses prises de paroles et propositions de ces deniers mois). Le tout dans un contexte économique n'incitant pas totalement à l'optimisme.
Ce contexte économique, teinté d'une inflation qui s'est certes sensiblement calmée, est depuis plusieurs mois évoqué dans d'autres secteurs, dont celui de l'industrie, avec des annonces de fermetures qui se succèdent et des conséquences importantes à craindre en termes d'emplois sur certains territoires (voir notre dossier thématique "réindustrialisation"). "Des projets d'investissements sont gelés, les intentions d'embauches sont révisées, les défaillances d'entreprises de toutes tailles se multiplient au point d'atteindre un niveau inconnu depuis longtemps", écrivaient même le 17 décembre sept des huit représentants des principales organisations patronales et syndicales dans un communiqué commun… appelant "nos élus et responsables politiques" à "retrouver au plus vite le chemin de la stabilité, de la visibilité et de la sérénité".
Retour à la case départ
Depuis la dissolution puis les législatives ayant dessiné une Assemblée sans majorité, le contexte politique national est évidemment sur toutes les lèvres, y compris celles des élus locaux. Ce n'est "pas exempt de risques" et cela reflète "une France plus fracturée que jamais", avait par exemple jugé dès début octobre Jean-François Debat, alors président par intérim de l'association Villes de France.
Deux mois sans Premier ministre jusqu'à l'arrivée de Michel Barnier, trois mois pour une bonne part focalisés sur le projet de loi de finances… puis un 49.3 sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale le 2 décembre et une motion de censure votée deux jours plus tard. Retour à la case départ ou presque. On peut certes imaginer mieux en termes de "visibilité" et de "sérénité".
Neuf jours plus tard, après maintes spéculations, place à François Bayrou. Le quatrième Premier ministre en un an. Sa première semaine à Matignon n'aura guère fourni d'indications concrètes sur sa feuille de route. Il faudra pour cela, dit-il, attendre sa déclaration de politique générale, prévue pour le 14 janvier. Et, entre temps, la composition d'un gouvernement, qu'on nous a annoncé pour "avant Noël". Si le maire de Pau (et qui assume le fait de le rester) a d'emblée largement revendiqué son ancrage d'"élu de province", sa vision actuelle des enjeux de décentralisation et de finances locales notamment restent à préciser. La nomination de Nicolas Pernot au poste de directeur de cabinet du Premier ministre après une carrière de directeur général des services (DGS) à tous les niveaux de collectivités a certes pu être perçue comme un signal positif.
La question budgétaire reste entière
Dans tous les cas, le spectre d'une nouvelle censure par l'Assemblée plane toujours. Certes, le locataire de Matignon a déclaré vouloir éviter un 49.3… "sauf s'il y a blocage absolu sur le budget" pour 2025. Un PLF qu'il "espère" faire aboutir "à la mi-février" - un délai ambitieux au vu des impératifs parlementaires. Le dépôt d'une motion de censure de LFI semble en tout cas acquis après la déclaration de politique générale.
En lieu et place d'une loi de finances, le Parlement a adopté le 18 décembre la loi spéciale permettant à l'Etat d'honorer ses paiements dans une version a minima (non sans conséquences pour les collectivités – voir notre article du 19 décembre). Mais la question budgétaire reste entière. Côté PLFSS, si certains, comme le président de la commission des finances de l'Assemblée, Eric Coquerel, jugent que l'adoption de ce texte n'est pas indispensable ("le PLFSS, ce sont des objectifs, on peut fonctionner sans"), d'autres réclament l'adoption du texte "avant fin janvier" pour la fixation de l'Ondam. Côté médicosocial, la CNSA, qui a voté son budget initial le 12 décembre, attend d'ailleurs l'adoption de cette loi pour intégrer certaines mesures prévues pour les départements (voir notre article).
Quant au PLF, deux chemins sont possibles : repartir de la copie du gouvernement Barnier, ou proposer un nouveau texte. Ou plutôt trois : repartir de "la copie qui a été votée". C'est ce que dit souhaiter François Bayrou. Est-ce à dire reprendre les débats là où ils se sont arrêtés, à savoir dans une version Sénat ? (avec dans ce cas, côté finances locales, la suppression du si décrié "fonds de précaution" ?) Option complémentaire enfin, avancée par Eric Coquerel et Charles de Courson : en attendant, inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée dès la semaine du 13 janvier un projet de loi portant diverses dispositions économiques, financières et sociales, permettant l'entrée en vigueur de mesures budgétaires urgentes et consensuelles. François Bayrou se serait montré "ouvert" à cette proposition. Côté collectivités, on surveille évidemment tout cela de près, les budgets devant être votés au plus tard avant le 15 avril, avec débat d'orientation budgétaire avant fin janvier. Pas évident lorsqu'on ne sait pas de quelles ressources on disposera.
Les collectivités, plus que jamais "pôle de stabilité" ?
Au-delà des textes financiers, ces longs mois d'instabilité institutionnelle ont rendu incertain le sort de plusieurs dossiers de premier plan pour les collectivités. C'est notamment le cas dans les domaines de l'environnement, de l'urbanisme et des mobilités (voir notre article dans cette édition). Ou encore sur le terrain social, qu'il s'agisse par exemple d'enfance ou de grand âge, même si l'on sait qu'en coulisses, nombre de réformes et chantiers continuent naturellement d'avancer.
Reste que lorsque les élus locaux et leurs équipes parlent de "crise", ils parlent aussi de "crise démocratique" - d'enjeux de confiance dans les institutions, que celles-ci soient nationales ou locales. Et à ce titre, les mois de confusion de cette fin 2024 risquent, par ricochet, de toucher l'ensemble de la sphère politique. A moins que dans cet environnement chancelant, les collectivités, et notamment les communes, n'apparaissent a contrario plus que jamais comme un "pôle de stabilité" qui, comme l'exprimait David Lisnard, le président de l'AMF, en amont du congrès des maires, font quoi qu'il arrive "fonctionner les services publics du quotidien, portent des projets concrets, innovants et pragmatiques qui améliorent le cadre de vie des habitants, donnent un sens à l’action publique". A condition qu'elles en aient les moyens.
» Retourner à l'ensemble de cette édition spéciale de fin d'année comprenant une dizaine de dossiers récapituliatfs (PLF, industrie, logement, emploi, ZAN, Serm, eau, Europe, IA, cybersécurité, Congrès des maires) et plusieurs articles de synthèse (transition écologique et mobilité, protection de l'enfance, politiques sportives...). |