Eaux souterraines : des dépassements de normes environnementales sur 28% des points de contrôle
Plus d'un quart des stations de contrôle des nappes phréatiques en France, première source d'eau potable du pays, ont mesuré une contamination de l'eau au-dessus des normes environnementales pour au moins une substance depuis 2016, selon une enquête du journal Le Monde publiée ce 15 mai.
Sur près de 24.700 stations de contrôle des nappes phréatiques, 6.900, soit 28%, ont enregistré au moins un dépassement des valeurs seuils de qualité environnementale entre 2016 et 2023 pour un ou plusieurs contaminants, analyse une enquête du journal Le Monde publiée ce 15 mai.
Dans ce travail sur la pollution des eaux souterraines, réalisé dans le cadre du projet "Under the surface", mené avec six médias européens, à l'initiative du média en ligne espagnol Datadista, Le Monde s'est concentré sur une liste d'environ 300 contaminants, incluant pesticides, nitrates, solvants, bisphénol A, certains PFAS (dits "polluants éternels") ou encore médicaments.
Cartographie molécule par molécule
En combinant les données de la période 2016-2021 envoyées par les autorités françaises à Bruxelles et celles de la Banque nationale d'accès aux données des eaux souterraines (Ades), qui s'étendent jusqu'à 2023, le quotidien dresse une cartographie "molécule par molécule" de la pollution des nappes en France, qui fournissent deux tiers de l'eau potable.
Résultat : "La pollution est partout ou presque et certaines stations de mesures enregistrent des dépassements pour plusieurs molécules – jusqu’à une trentaine pour des captages de Limésy (Seine-Maritime), Choye (Haute-Saône) et Baulny (Meuse)", note-t-il.
Les pesticides détectés quasiment partout
Les pesticides, première source de contamination des eaux souterraines, ont été détectés dans 97% des stations et ont dépassé les normes dans près de 20% d'entre elles, situées en majorité dans les grandes plaines céréalières du nord de la France (Beauce, Picardie, Champagne), où les traitements phytosanitaires sont plus fréquents. Les mesures révèlent aussi la persistance dans les nappes de molécules pourtant interdites depuis des décennies. C'est le cas de la chlordécone, en Martinique et en Guadeloupe, utilisée jusqu’en 1993 dans les bananeraies malgré son classement comme cancérogène possible dès 1979. Trente ans plus tard, les seuils sont encore dépassés. C’est aussi le cas de pesticides bannis récemment. Les deux métabolites (sous-produits) de la chloridazone, un herbicide employé pour la culture des betteraves jusqu’en 2020, dépassent la norme de qualité dans plus de 1.700 stations de mesures (18% des stations où ils ont été recherchés), surtout dans les Hauts-de-France.
Les polluants d'origine industrielle dépassent les concentrations maximales dans 460 stations, principalement dans des bassins industriels des Hauts-de-France, du Centre ou du Lyonnais. Le trichloréthylène et le tétrachloroéthylène, classés cancérogènes probables, figurent parmi les substances les plus mesurées.
Le Monde identifie également des dépassements pour les principaux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des polluants présents dans le goudron des routes ou générés lors de la combustion incomplète du charbon, du bois ou du carburant.
Risque d'aggravation
Cette cartographie a "toutefois des limites", note le quotidien, puisque toutes les molécules ne sont pas recherchées partout de manière régulière. Par ailleurs, pour de nombreux polluants industriels, comme le bisphénol A, certains PFAS ou encore les médicaments, les autorités n'ont pas fixé de valeurs seuils. Ces mesures démontrent toutefois "l'ampleur d'un problème longtemps ignoré - et qui ne va faire que s'aggraver", met en garde le journal.
Ces eaux souterraines alimentent les cours d'eau et les sources, où les pollutions "ressurgissent", déclare dans l'article Florence Habets, directrice de recherche au CNRS. "Nous, humains, on peut traiter nos eaux dans une certaine mesure, mais la biodiversité va continuer à être touchée", s'inquiète la scientifique.