Droits de douane américains : des régions plus exposées
Face aux mesures tarifaires imposées par les États-Unis, certaines filières (métallurgie, automobile, aéronautique, vins, cosmétiques, pharmacie...) et certaines régions comme le Grand Est risquent d'être particulièrement exposées. Comme au temps du Covid, l'unité de l'Union européenne est une nouvelle fois mise à l'épreuve.

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Le "jour de la libération" proclamé par Donald Trump, mercredi 2 avril, pour rééquilibrer la balance commerciale des États-Unis et relocaliser la production en appliquant une "réciprocité des tarifs douaniers", a eu l’effet d’un coup de massue sur la classe politique européenne. Les États-Unis entendent imposer un plancher de 10% pour tout produit entrant sur leur sol à compter de ce samedi 5 avril. Et, à partir du 9 avril, des droits de douane majorés à des taux différenciés selon les régions du monde. Les produits chinois se verront ainsi taxés à 34%, ceux du Cambodge à 49%, le Vietnam à 46%, la Suisse à 31%, la Norvège à 15%. En pleine négociation pour un accord de libre-échange avec les États-Unis, le Royaume-Uni s’en sort mieux, avec un taux de 10%. Quant aux produits de l’Union européenne, ils seront taxés à 20%. La balance commerciale des États-Unis avec le vieux continent est déficitaire de 48 milliards d’euros, selon les données de la Commission européenne. Ce qui explique cette mesure, même si personne ne sait vraiment d’où sort ce taux. L’Europe importe des États-Unis essentiellement du pétrole, du gaz naturel et des produits pharmaceutiques. Et elle exporte des médicaments et des voitures.
Riposte "proportionnée"
Comme pendant la crise du Covid, la mesure met à nouveau à l’épreuve la cohésion de l’Union européenne, tous les États membres n’étant pas impactés de la même manière et n’ayant pas le même intérêt au rapport de force. L’Allemagne est de loin la première touchée : elle exporte pour 151 milliards d’euros de biens et service vers les États-Unis, trois fois plus que la France. Pour son industrie automobile déjà mise à mal par les choix énergétiques de l’UE, le coup est rude.
La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui veut éviter la division, n’a pas hésité récemment à sermonner le Premier ministre slovaque, Robert Fico, qui avait eu un entretien bilatéral avec le président américain. "L'Europe est prête à réagir. Nous protégerons toujours nos intérêts et nos valeurs", a-t-elle averti, à l'entame d'une négociation qui s'annonce musclée. "Si les Européens jouent groupés, c'est-à-dire préparent la réponse, qu'elle est unifiée, qu'elle est proportionnée, mais qu'elle est réelle, et que derrière, toutes les filières jouent de manière cohérente avec une vraie solidarité de filières, à ce moment-là, nous saurons avoir ce qui doit être notre objectif, qui est le démantèlement des tarifs", a appuyé Emmanuel Macron, jeudi, devant les représentants des filières les plus exposées (aéronautique, viticulture, cosmétiques…). Qualifiant la décision américaine de "brutale et infondée", il a appelé à suspendre les investissements dans le pays, sachant que la France était le troisième investisseur européen et le cinquième investisseur étranger en 2023. Vendredi, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a invoqué le "patriotisme" économique. "Il est clair que si une grande entreprise française acceptait d’ouvrir une usine aux États-Unis, ce serait donner un point aux Américains", a-t-il déclaré sur BFM-TV/RMC.
L'acier, l'aluminium et l'automobile déjà à 25%
Si le tarif de base est de 20%, certains secteurs sont encore plus pénalisés. C’est le cas de l’aluminium, de l’acier et de l’automobile "qui sont déjà à 25%", a rappelé Emmanuel Macron. Et de la pharmacie, du bois et des semi-conducteurs "sur lesquels les annonces vont suivre, mais qui seront vraisemblablement au moins à 25%". À noter que l’UE avait elle-même prévu d'introduire au 1er avril les mesures de riposte sur l'acier et l’aluminium et qu’elle s’est donné quelques jours de plus pour connaître les intentions de Donald Trump. "La deuxième réponse, plus massive, celle aux tarifs annoncés hier, se fera à la fin du mois, après une étude précise, secteur par secteur, et un travail avec l'ensemble des États membres et, évidemment, des filières économiques", a déclaré Emmanuel Macron, jeudi. "Tous les instruments sont sur la table, a-t-il ajouté : des réponses tarifaires pour faire face, l'activation de mécanismes qui sont à notre main, comme le mécanisme anti-coercition, la possibilité d'avoir des réponses sur les services numériques, où les États-Unis sont extrêmement bénéficiaires sur l'Europe, la possibilité de regarder aussi les mécanismes de financement de l'économie américaine."
En fonction de leurs spécificités, certaines régions vont aussi se trouver plus exposées. "Dans le secteur agroalimentaire, des régions telles que l'Émilie-Romagne, l'Andalousie et l'Alsace pourraient être confrontées à des risques économiques et sociaux importants", s’est inquiété le Comité des régions qui tenait sa session plénière, jeudi, citant les exemples de l’huile d’olive, du fromage ou encore du vin.
Des conséquences "majeures" pour le Grand Est
Le Grand Est totalise 9% des échanges des régions françaises avec les États-Unis, ce qui la place en troisième position derrière l’Île-de-France (33,1% des échanges) et Auvergne-Rhône-Alpes (9,2%), selon les chiffres de la direction générale du Trésor. La région indique qu’elle réalise près de 5,4 milliards d’euros d’exportations annuelles vers les États-Unis, soit près de 8% de son commerce extérieur. "Ce tournant protectionniste, justifié par une logique de réciprocité fallacieuse, risque d’avoir des conséquences économiques majeures", a-t-elle réagi dans un communiqué, jeudi, estimant à milliard d’euros le manque à gagner possible pour les exportateurs régionaux. Cinq secteurs sont particulièrement concernés : l’industrie pharmaceutique, les vins et spiritueux, l’automobile (20% de la production mosellane est exportée vers les États-Unis), la métallurgie et les biens d’équipements. Ainsi du laboratoire pharmaceutique Lilly à Fegersheim, "dont la quasi-totalité de la production est destinée au marché américain". Quant au champagne et aux vins d’Alsace, ils totalisaient "près de 30 millions de bouteilles expédiées en 2024". Les États-Unis constituaient pour eux "un marché d’export en croissance et particulièrement important".
Pour compliquer un peu le tableau, l’administration américaine n’entend pas appliquer les mêmes tarifs entre la métropole française et ses territoires ultramarins. Partie intégrante de la zone douanière de l’UE, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Mayotte verront leurs produits taxés à hauteur de 10 %. Mais La Réunion, pourtant sous le même statut, est à 37% ! Et parmi les collectivités ultramarines qui ne font pas partie de la zone douanière de l’UE, Saint-Pierre-et-Miquelon se voit taxé à 50%. Cinq fois plus que la Polynésie (10%). De quoi laisser perplexe le député de Saint-Pierre-et-Miquelon, Stéphane Lenormand, qui a indiqué ne pas savoir "d'où sortent ces chiffres" et pointé "l'incompétence de l'administration américaine". Dans un communiqué, la région Réunion a fait part de sa "consternation" face à une décision "qui n'a aucun sens" selon elle. "L'intention initiale de taxer différemment les territoires ultramarins est profondément politique. Elle témoigne surtout du cumul d'incohérences, d'absurdité et d'incompétence", a également réagi le ministre de l'Outre-Mer, Manuel Valls, auprès de l'AFP.
Afin de soutenir les entreprises, Éric Lombard a promis un "accompagnement régulier. Il a aussi évoqué l’intervention de Bpifrance, "qui, pendant le Covid, a mis en place des outils d'accompagnement qui vont se maintenir". "Mais je demande aussi à l'ensemble des réseaux bancaires d'être très attentifs dans le suivi de ces entreprises, dans ce moment où notre économie peut être en fragilité", a-t-il souligné. "Si cette nouvelle donne douanière vient à perdurer, la région Grand Est soutiendra les acteurs de ses filières exportatrices dans la recherche et la consolidation de nouveaux débouchés", a-t-elle annoncé.