PLF 2021 - Dotations et péréquation : au Sénat, un débat sous le signe de la crise
Lors de la discussion du projet de budget pour 2021, le Sénat a examiné le 2 décembre les questions liées aux dotations et à la péréquation entre les collectivités territoriales. L'occasion pour la chambre haute d'appeler le gouvernement à de nouveaux gestes en faveur des finances locales, lesquelles subissent le choc de la crise. En outre, de nombreux sénateurs se sont vivement opposés au fonds de péréquation du secteur communal, le Fpic. Touchés par la crise, les territoires contributeurs pourraient se rebiffer.
Des sénateurs de toutes tendances politiques ont, le 2 décembre, tiré la sonnette d'alarme sur les finances des collectivités. Ils examinaient dans l'hémicycle la mission "Relations avec les collectivités territoriales" du projet de loi de finances pour 2021.
La poursuite de la suppression du levier fiscal (au travers notamment de la baisse des impôts fonciers des entreprises industrielles) les exaspère. "Dès que je pense au ministre délégué chargé des comptes publics (…) je me mets à cauchemarder", a lancé Françoise Gatel (UC). La présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a dénoncé "une phase de nationalisation des ressources des collectivités". "La mise sous tutelle des collectivités se poursuit inexorablement", a pesté sa collègue Sylviane Noël (LR). En soulevant un paradoxe : "On n'a jamais autant parlé de décentralisation" qu'aujourd'hui.
A l'image de Didier Marie (Soc), les sénateurs ont aussi fait part de leur "désillusion" sur les mesures d'aide aux finances des collectivités territoriales, alors que l'Association des maires de France évaluait avant le second confinement les conséquences de la crise à 6 milliards d'euros, rien que pour 2020. "C'est bien joli d'augmenter la DETR (dotation d'équipement des territoires ruraux) et la DSIL (dotation de soutien à l'investissement local)", a estimé Mathieu Darnaud (LR). Qui a appelé le gouvernement à faire un effort aussi sur le fonctionnement. "Si des équipements ferment ou si leur fonctionnement est mis à mal, nous risquons de nous trouver dans une situation un peu schizophrénique."
Rappelons que le Sénat a adopté le 24 novembre – dans le cadre de la discussion de la première partie du projet de loi de finances pour 2021 – plusieurs mesures pour compenser en 2021 les pertes de recettes des collectivités (voir notre article du 25 novembre 2020).
"Remettre à plat" le fonds de péréquation du secteur communal
"Ce budget n'est pas la fin de l'histoire", a répondu la ministre de la Cohésion des territoires. Jacqueline Gourault a annoncé que des réunions de travail avec l'Assemblée des départements de France (ADF), d'une part, et avec les associations de maires et présidents d'intercommunalité, d'autre part, sont prévues pour faire à nouveau le point sur les finances locales. La première réunion avec les associations du bloc communal devait d'ailleurs se tenir en visioconférence ce vendredi 4 décembre dans l'après-midi.
Des sénateurs de tous les bancs ont aussi décrié le fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic), à cause de son fonctionnement "complexe" et parfois "injuste". En outre, des élus de Haute-Savoie ont alerté sur le fait qu'en l'état, les stations de montagne vont voir leurs contributions au fonds maintenues, alors que leurs recettes vont fondre, du fait de la crise liée au Covid-19. Mais le secrétaire d'État en charge de la ruralité, Joël Giraud, a voulu relativiser la question : "La taxe de séjour, les DMTO (droits de mutation à titre onéreux) et la taxe sur les remontées mécaniques n'entrent pas dans l'assiette du Fpic."
"Il n'y a pas eu une seule commune, durant ma récente campagne électorale, où l'on ne m'ait pas parlé du Fpic", a souligné Loïc Hervé, sénateur (UC) de Haute-Savoie. Celui qui est aussi président délégué de l'Association des petites villes de France (APVF) a demandé la suppression pure et simple du dispositif, qui redistribue chaque année 1 milliard d'euros des territoires les plus favorisés vers ceux qui le sont moins.
L'amendement "ferait baisser les ressources de 24.000 communes qui sont actuellement bénéficiaires" du mécanisme, a rétorqué Joël Giraud. "Il y a ceux qui reçoivent et ceux qui donnent, et j'entends beaucoup moins les premiers que les seconds", a ironisé pour sa part Jacqueline Gourault. Avec son collègue en charge de la ruralité, elle s'est dit ouverte à une réflexion sur des évolutions du fonds. Si l'amendement a été rejeté, il "a eu le mérite de créer un électrochoc", s'est réjoui, pour finir, Loïc Hervé.
Dotations : inégalité entre urbains et ruraux ?
Mais le Sénat a créé la surprise en adoptant – contre l'avis de la commission des finances et du gouvernement – un amendement LR qui revoit le calcul de la répartition de la dotation forfaitaire. Aujourd'hui compris entre 1 et 2, l'écart entre les montants alloués aux plus petites et aux plus grandes communes serait réduit à 1,6. "De plus en plus, les charges de centralité sont portées par les intercommunalités", explique l'auteur de la disposition, Sylviane Noël (LR). Elle entend aussi tirer les conséquences d'un rapport du gouvernement, qui pointe des améliorations possibles du dispositif (voir notre article du 16 décembre 2019). L'Association des maires ruraux de France (AMRF) a aussitôt évoqué une "victoire pour les 'habitants des champs'", qui "est aussi une avancée pour une égalité propice à un aménagement équilibré". Elle a appelé "toutes les communes rurales à se manifester auprès de leur député", afin que l'Assemblée nationale retienne cette mesure lorsqu'elle examinera de nouveau le projet de loi de finances pour 2021.
Par ailleurs, le Sénat a supprimé les dispositions sur le futur système de péréquation des ressources régionales – qui doit se mettre en place en 2022 – afin de laisser davantage de latitude aux négociations que le gouvernement et les régions doivent avoir.
Une autre disposition technique, elle aussi adoptée, tire les conséquences de la récente décision du conseil constitutionnel tendant à censurer les modalités de la baisse des dotations pour certaines intercommunalités (voir notre article du 16 octobre 2020). Le montant prélevé sur leurs recettes fiscales sera réduit si leurs recettes réelles de fonctionnement par habitant baissent de plus de 5 % par rapport à 2018.
Investissement des communes
D'autres amendements entérinés par la Haute Assemblée tendent à revoir la répartition de la DETR pour favoriser les communes les moins peuplées, inclure les investissements touristiques dans les catégories d’opérations éligibles à la DSIL, ou encore abaisser en 2021 de 20% à 10% (du total des financements publics) le plancher de participation minimale des communes de moins de 2.000 habitants pour les projets d'investissements.
À noter encore : les sénateurs sont revenus sur la mesure adoptée par l'Assemblée nationale prévoyant le versement en 2021 de la progression de la cotisation foncière des entreprises entre 2020 et 2021 à la métropole du Grand Paris.
Le Sénat a adopté les crédits de la mission Relations avec les collectivités territoriales (en augmentant de 10 millions d’euros les fonds alloués à la dotation politique de la ville) ainsi que les articles 57 à 64 rattachés. Ils ont par ailleurs voté, sans modification, les crédits du compte spécial "Avances aux collectivités territoriales".
La chambre haute devait poursuivre jusqu'à lundi l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2021. Le vote sur l'ensemble du texte est prévu mardi 8 décembre.