Finances locales - Dotations 2018 : des communes en difficulté, la réforme territoriale en cause
Plus d'un an après, la recomposition de la carte intercommunale a des effets - aussi bien à la hausse qu'à la baisse - sur les montants des dotations dévolues en 2018 aux communautés, mais aussi sur celles qui sont attribuées aux communes, ce qui n'avait pas été complètement anticipé. Des communes rurales et moins favorisées que les autres se retrouvent ainsi en difficulté.
17.029 euros en 2018, contre 26.377 euros l'an dernier : c'est l'évolution qu'a connu la dotation nationale de péréquation (DNP) de Le Ferré, commune de quelque 700 habitants, en Ille-et-Vilaine. Son maire, Louis Pautrel, a fait au début du mois cette mauvaise découverte. La baisse de la dotation atteint plus de 35%. Elle est loin d'être compensée par la hausse, en parallèle, de 27.600 à 29.000 euros (soit 1.400 euros de plus) de la part "cible" de la dotation de solidarité rurale (DSR), dont elle est bénéficiaire. Dans un courrier qu'il a écrit le 5 avril au préfet de département, l'élu a fait part de sa "surprise". "Le président de la République a annoncé pour l'année 2018 le maintien des dotations", a-t-il relevé.
Serge Bord, maire de Saint-Julien-les-Rosiers, une cité de 3.400 habitants située dans le Gard, partage l'amertume de son collègue. La dotation globale de fonctionnement de sa commune baisse cette année d'un quart, soit l'équivalent de 4 à 5% du budget municipal. En cause : la soudaine perte d'éligibilité à la fraction "cible" de la dotation de solidarité rurale (DSR), qui s'élevait à 70.793 euros l'an dernier. "Personne", notamment du côté de l'Etat, "ne m'a mis en garde contre l'évolution qui est survenue", s'irrite l'élu. Pour y faire face, il songe à proposer prochainement au conseil municipal le vote d'une modification budgétaire. Des travaux de sécurisation des abords d'une route prévus pour un montant de 90.000 euros, devraient être repoussés, voire abandonnés.
DSR : "une baisse supérieure à 30% pour plus de 1.500 communes"
Les baisses spectaculaires observées par les deux communes sont loin d'être des cas isolés. Plus de 1.500 communes voient fondre cette année leur DSR de "plus de 30%", indiquait, le 12 avril, le quotidien Maire-info, édité par l'Association des maires de France (AMF). Pourtant, la dotation est globalement en augmentation d'environ 80 millions d'euros cette année, pour s'élever à plus d'1,4 milliard d'euros. 46% des 21.500 communes qui perçoivent la DNP enregistrent une baisse de cette dotation, poursuivait le journal en ligne. Qui précisait : "Plus de 1.200 communes perdent plus de 60% de leur DNP." Beaucoup des communes plongées dans la tourmente sont des communes pauvres défavorisées. A l'instar de Le Ferré et de ses communes voisines, qui appartiennent au canton "le plus pauvre" d'Ille-et-Vilaine, selon Louis Pautrel.
La mobilisation d'une partie de la dotation forfaitaire des communes pour le financement de la progression des dotations de péréquation communales (DSR, DNP et DSU) notamment, explique la réduction de cette dotation pour 22.000 communes. Les causes des évolutions à la baisse, comme à la hausse, des dotations de péréquation des communes résident principalement, quant à elles, dans la vaste recomposition intercommunale du 1er janvier 2017. A cette date, la France a vu subitement le nombre des communautés passer de 2.062 à 1.266 (- 39%). Un certain nombre d'entre elles ont aussi changé de catégorie juridique (de communauté de communes à communauté d'agglomération, par exemple).
La richesse "virtuelle" d'une commune, soudainement augmentée
Or, les nouveaux périmètres intercommunaux, que la direction générale des collectivités locales n'a pris en compte qu'à partir de cette année pour calculer les dotations, ont des effets sur le potentiel financier des communautés, mais aussi de celui des communes, comme l'analyse Claire Delpech, responsable finances et fiscalité de l'Assemblée des communautés de France (ADCF). La richesse du groupement dont la commune est membre et le poids de la population de la commune dans son nouveau groupement influent sur son montant. Or, cet indicateur de richesse est utilisé pour la répartition et le calcul des dotations de péréquation communales. Donc, concrètement, les communes intégrant un groupement plus riche que celui auquel elles appartenaient précédemment ont, en général, vu leur potentiel financier augmenter, explique Claire Delpech.
C'est la situation que les communes de Le Ferré et Saint-Julien-les-Rosiers ont vécue. La première a quitté le 1er janvier 2017 une petite communauté de communes pour intégrer Fougères Agglomération. La commune du Gard a connu le même destin, en rejoignant Alès Agglomération. L'absence d'un régime de garantie pour les communes perdant l'éligibilité de la DSR "cible" - c'est-à-dire celles qui sont rétrogradées au-delà des 10.000 communes rurales les plus défavorisées - a contribué à renforcer la brutalité des évolutions des dotations (comme dans le cas de la commune gardoise), fait aussi observer la spécialiste des finances locales. D'autres communes, issues d’un groupement de petite dimension mais très riche, ont quant à elles été associées à un groupement plus important. Certaines ont pu voir leur potentiel financier diminuer et donc bénéficier d'un surplus de dotations.
De possibles rééquilibrages à l'échelle communautaire
La modification du potentiel des communes n'influe pas que sur le montant des dotations, pointe Louis Pautrel, qui s'en alarme. Le conseil départemental d'Ille-et-Vilaine module le niveau de ses aides aux communes en fonction de cet indicateur. Si elle décidait d'engager un investissement de 200.000 euros, Le Ferré ne percevrait plus, aujourd'hui, que 71.000 euros du département, au lieu de 100.000 euros avant son entrée dans la communauté d'agglomération de Fougères. "Tout ça, c'est le résultat de la réforme territoriale", fulmine le maire. "On accélère la fracture territoriale", conclut-il.
Vice-président de Fougères Agglomération, en charge de "l'équilibre territorial", il a alerté ses pairs sur la situation de sa commune et de toutes les communes qui voient leurs dotations diminuer. En juin prochain, il présentera un rapport lors d'une réunion du bureau communautaire. Il espère qu'un débat s'engagera sur une prise en compte de leurs difficultés via les mécanismes de solidarité communautaire. Les communautés sont parfois en mesure d'opérer des "rééquilibrages financiers" entre "les gains et les pertes sur leur territoire", précise Claire Delpech. Les attributions de compensation et les versements au titre du fonds de péréquation intercommunal et communal (Fpic) "pourraient permettre des ajustements dans certains cas". Bémol : parfois, il ne sera pas simple de revenir sur des accords passés avec des conditions de majorité "périlleuses". Au-delà, l'ADCF préconise de "repenser" le potentiel financier pour en faire "un indicateur englobant plus largement les recettes des collectivités du 'bloc local', à l’échelle des territoires intercommunaux notamment".