Dominique Faure : "Nous lançons un chantier sur l'accompagnement de l'allongement des carrières"

Après une journée de mobilisation très suivie contre la réforme des retraites, la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, Dominique Faure, revient, dans un entretien à Localtis, sur les principales mesures que celle-ci comporte pour les agents territoriaux, mettant en avant certaines "avancées". Elle évoque aussi la question déterminante de l'accompagnement par les collectivités de l'allongement de la carrière de leurs agents exerçant des métiers pénibles. Le sujet sera au menu de prochaines discussions avec les employeurs territoriaux.

Localtis - Si la réforme des retraites est votée, les agents territoriaux devront travailler deux années de plus dans leur carrière. Cette réforme sera-t-elle pour eux "juste" et "porteuse de progrès", comme l'avance le gouvernement ?

Dominique Faure - Oui, la réforme s’appliquera de manière identique au privé comme au public, avec l’objectif de permettre un retour à l’équilibre du système de retraite par répartition, qui fait la fierté de notre pays, en 2030. Et cela, nous voulons le faire sans augmenter les impôts ni diminuer les salaires ou les pensions. Le projet de réforme des retraites est juste parce qu'il prend en compte les différentes situations professionnelles : par exemple, il protège les personnes qui ont commencé à travailler tôt et qui ont eu des carrières longues, celles qui travaillent dans des métiers pénibles ou encore les travailleurs en situation de handicap. En outre, il met un terme aux régimes spéciaux de retraites, qui ne sont plus adaptés ou justifiés. S'agissant des agents publics, avec Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, nous défendons une réforme qui est porteuse de progrès, car elle vise à améliorer l’accompagnement du parcours de carrière des agents, notamment en facilitant les transitions emploi-retraite en leur ouvrant le bénéfice de la retraite progressive, qui aujourd’hui existe pour les salariés et les indépendants. Concrètement, ce dispositif permettra aux agents publics, deux ans avant l’âge légal de départ à la retraite, de se mettre à temps partiel et de cumuler une partie de la pension avec son revenu d’activité. Ce que nous portons, c’est un projet qui permettra au système d’être demain plus juste.

L'employeur pourra-t-il s’opposer à la demande d’un agent de bénéficier de sa retraite progressive ?

Toute demande de retraite progressive sera soumise à la validation de l'employeur, mais celui-ci devra, en cas de refus, le motiver précisément.

Quelles sont selon vous les autres avancées contenues dans le projet de réforme ?

Il y a aussi des améliorations pour les agents exerçant des métiers dits de la catégorie active, et dont nous maintenons le principe, comme les policiers municipaux ou les sapeurs-pompiers professionnels. Aujourd'hui, un agent qui a effectué 17 ans de service en catégorie active - soit la durée requise pour partir de manière anticipée à la retraite - perd le bénéfice de ce droit s'il évolue, en cours de carrière, vers un métier qui n'est pas classé en catégorie active. Avec la réforme, ce ne sera plus le cas. De même, les agents qui auront exercé sous un statut de contractuel un métier relevant de la catégorie active verront leurs années de service ainsi accomplies prises en compte de manière rétroactive dans le calcul du droit à un départ anticipé. Ce n’était pas le cas avant. Les employeurs territoriaux voient cette évolution de façon très positive. Par ailleurs, pour les employeurs des agents dans les métiers de la santé et du médicosocial, nous avons décidé la création d'un fonds de prévention de l’usure professionnelle, qui permettra de travailler sur la prévention et d'accompagner la fin de la carrière. Là aussi, c’est une démarche de progrès pour les agents publics pour mieux prendre en compte l’usure professionnelle.

La liste des métiers classés en catégorie active va-t-elle être revue ?

Nous maintenons les catégories actives, en conservant un départ anticipé sans faire évoluer la durée requise pour en bénéficier (17 ou 27 ans). Nous avons écarté l'idée de faire entrer de nouveaux métiers dans la catégorie active - et donc aussi de retirer des métiers qui en font partie aujourd'hui -, parce que nous avons considéré que, telles qu'elles existent aujourd'hui, les catégories actives sont plutôt justes.

L'idée est-elle d'étendre à la fonction publique le compte professionnel de prévention (C2P) qui existe pour le secteur privé ?

Ce n'est pas à l'ordre du jour, bien que les employeurs territoriaux en fassent la demande. Il s'agit plutôt de travailler à la manière d'accompagner l'allongement des carrières, que ce soit en termes de maintien dans l'emploi ou de transitions professionnelles. Les agents techniques des lycées, les agents des espaces verts, les assistantes maternelles, les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) et bien d’autres métiers… Avec Stanislas Guerini, nous allons échanger avec les employeurs territoriaux pour identifier les dispositifs appropriés, par exemple en matière de mobilités et de parcours de carrière. De nombreuses bonnes pratiques existent déjà et nous devons voir comment mieux les accompagner.

Dans la commune [Saint-Orens-de-Gameville en Haute-Garonne, NDLR] dont j'ai été la maire jusqu'en juillet, j'ai ainsi par exemple beaucoup encouragé la mobilité des agents, en ouvrant systématiquement tous les postes en interne. Pour le recrutement par exemple de deux policiers municipaux, nous avons eu cinq ou six candidatures de la part d'agents de la collectivité. Deux ont été retenues, et nous avons pu financer leur formation pendant un an. D'une manière générale, j'ai beaucoup mis l'accent sur la formation des agents, car celle-ci est essentielle pour accompagner les transitions.

Y a-t-il suffisamment de candidats à la mobilité, du côté des agents territoriaux ? Souhaitent-ils vraiment changer de métier ?

Les maires que je rencontre me disent que lorsqu’ils encouragent la mobilité, les postes ouverts sont souvent pourvus par des candidatures en interne, j’en ai fait moi-même l’expérience ces dernières années. La mobilité pouvait faire peur il y a quelques années mais c'est moins vrai aujourd'hui. Les représentants syndicaux que j'ai rencontrés me l'ont dit : les agents territoriaux sont de plus en plus intéressés par des possibilités de mobilité professionnelle. C'est une évolution qui, d'ailleurs, a des conséquences sur le métier de DRH, puisque celui-ci est amené à passer d'une fonction de responsable de la paie à celle d’accompagnement des agents dans leur carrière. Je suis persuadée que lorsqu’il y a de l’incitation et de l’accompagnement, les agents peuvent avoir envie de changer de poste et d’évoluer dans leur carrière. Il faut aussi faire découvrir à ceux-ci d'autres métiers que les leurs et accompagner cette mobilité, ce qui permettra également de limiter l'usure. Les possibilités d'évolution professionnelle sont nombreuses. La réforme des retraites nous encourage à les développer. Certaines sont à inventer.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

L'orientation des jeunes dans les "Points information jeunesse", ou le portage de repas à domicile chez les seniors. Avec une politique de ressources humaines dynamique et des formations, ce sont des métiers auxquels des agents peuvent accéder en seconde partie de carrière. Les employeurs territoriaux pourraient aussi proposer à des agents de conduire dans les dernières années de leur carrière des fonctions de tutorat, qui sont plus aisées quand on a de l'expérience. Je pense par exemple au tutorat des TIG [travaux d'intérêt général] qui visent à réinsérer des personnes qui ont commis des infractions. Comme celle-ci, un certain nombre de fonctions nouvelles constituent des opportunités pour les transitions professionnelles.

La qualité du dialogue social ne va-t-elle pas avoir un rôle important dans la construction de politiques de ressources humaines plus proactives ?

Tout à fait. La qualité du dialogue social porté par les employeurs territoriaux, notamment dans le cadre des nouvelles instances qui vont être mises en place à la suite des élections professionnelles, permettra aux agents de mieux connaitre notamment les évolutions en matière de ressources humaines, les nouvelles politiques publiques qui donnent lieu à de nouveaux métiers. C'est très important si l'on veut prévenir l'usure au travail. Je parle là encore d'expérience : dans la commune dont j'étais maire, un des agents qui conduit la navette pour les seniors que j'ai mise en place a décidé de rester en fonction après l'âge légal de départ à la retraite. Il aime cette mission qui est au service des personnes âgées et celles-ci sont très reconnaissantes à son égard. Dans certains cas, et avec un bon accompagnement, il est possible d’atténuer l’impact d’années de travail supplémentaires.

La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qui est le régime de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, est en déficit. Le report de l'âge de départ à la retraite sera-t-il suffisant pour que le régime soit de nouveau à l'équilibre ?

En 2021, la CNRACL était en fort déséquilibre, à hauteur de 1,2 milliard d’euros. Le report de l'âge de départ à la retraite participe de ce rééquilibrage, mais sera insuffisant et s’accompagnera d’une hausse modérée des cotisations retraite des employeurs territoriaux et hospitaliers. Aujourd’hui, le taux de contribution employeur est fixé à 30,65%. Cette évolution fera, bien entendu, l’objet d’échanges avec les associations d’élus.

 

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