Directeurs d'école : un rapport sénatorial défend la création d'un emploi fonctionnel
Alors que la question est à l'agenda social du ministère de l'Éducation nationale depuis plusieurs mois, un rapport sénatorial milite pour la création d'un emploi fonctionnel en faveur des directeurs d'école. Une révolution en vue qui ne passe pas forcément par des mesures législatives.
"Ni statut ni statu quo." C'est par cette formule empruntée aux syndicats de l'Éducation nationale que Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, résume l'esprit du rapport d'information sur la situation des directeurs d'école qu'il a présenté à la presse le 9 juin 2020 en compagnie de son co-auteur Françoise Laborde, sénatrice de Haute-Garonne. Une formule qui prend corps à travers la préconisation-phare du rapport : la création d'un emploi fonctionnel pour des directeurs qui, aujourd'hui, sont chez les enseignants des pairs parmi leurs pairs ne disposant d’aucun statut particulier.
"Sujet serpent de mer" pour Max Brisson, la question du statut des directeurs d'école est omniprésente depuis près d'un an dans le débat public. Il en a été question au printemps 2019 à l'occasion des travaux sur la loi pour l'école de la confiance. À l'automne, le suicide d'une directrice d'école a ému la France entière. Le 12 mai dernier, une proposition de loi sur ce thème portée par la députée Cécile Rilhac a été déposée.
"Non-envie"
Ces différents événements s'inscrivent eux-mêmes dans un climat général marqué par "un profond malaise". Une enquête de novembre 2018 nous enseignait que 45% des directeurs d'école songeaient à démissionner tandis que 4.000 postes, pour 44.000 écoles, restaient vacants chaque année. Une situation qui, selon Françoise Laborde, traduit une "non-envie".
Au cœur de ce malaise : la question des moyens. "Avec la crise du Covid, rappelle Françoise Laborde, on a demandé aux directeurs d'école d'agir en chefs d'établissement, ce qu'ils ne sont pas." Et la sénatrice de dresser un parallèle : "Le directeur d'école est seul, le principal de collège ne l'est pas. Ce n'est pas tout à fait juste." Max Brisson enfonce le clou : "Les directeurs d'école assument de plus en plus de responsabilités sans que des moyens ne leur soient donnés."
Le manque de moyens se manifeste d'abord par un manque de temps : 50% des directeurs estiment travailler plus de 50 heures par semaine. Les tâches administratives sont de plus en plus nombreuses et chronophages, a fortiori quand il s'agit de les accomplir sans recourir au numérique. "Cela sent bon l'école de Jules Ferry et non celle du XXIe siècle", ironise Max Brisson. Autre carence : celle de l'autorité. Max Brisson a de nouveau une formule qui fait mouche : "Le directeur d'école est un chef d'orchestre sans baguette."
Décharges annualisées
Quels remèdes le rapport préconise-t-il ? D'abord la création d'un emploi fonctionnel accompagné d’une revalorisation indemnitaire. Une solution guidée par la volonté exprimée par les directeurs de "rester des enseignants" avant tout. Pour les rapporteurs, il s'agit d'"une forme plus souple d'exercer ses missions et de donner de l'autorité" que celle consistant à créer un nouveau statut qui "empêcherait des allers-retours entre des postes de professeur des écoles et de directeur d'école".
En termes d'organisation, le rapport prône une révision des temps de décharge octroyés aux directeurs, en particulier dans les écoles de huit classes et plus : "Penser la demi-décharge sur l’année scolaire plutôt que sur la semaine et inverser la notion de décharge pour les écoles de grande taille, avec un directeur d’école en charge d’enseignement à partir de huit classes, et non plus un enseignant chargé de tâches de direction." Le rapport entend également "limiter les effets de seuils d’une baisse brutale du temps de décharge du fait de la fermeture d’une classe, en prévoyant une période de transition d’un an minimum". Pour les écoles de huit classes et plus toujours, une aide, sous la forme d'un emploi public d'une durée de trois ans renouvelable une fois, de préférence à la "fausse bonne idée" du recours à un service civique, est préconisée. Tout comme de nombreuses mesures en faveur de la formation.
Clarifier les tâches avec les collectivités
Un des points cruciaux vise enfin à établir une nouvelle nomenclature des tâches et responsabilités afin de définir précisément celles qui relèvent du directeur d’école et celles relevant de la collectivité locale. Au cœur de cette réflexion : la sécurité. 66% des directeurs d'école la classent parmi les deux tâches exercées les plus pénibles, et 55% estiment qu’il s’agit d’une des deux tâches pour lesquelles ils ont le plus besoin de soutien. Pour les rapporteurs, la sécurité "nécessite une formation importante des directeurs d’école afin de bien les armer sur ces questions, un soutien et des réponses rapides aux questions qu’ils peuvent se poser de la part des autorités académiques, mais également un travail partenarial avec le maire. En effet, ce dernier est responsable de la sécurité aux abords des écoles". "En outre, ajoutent-ils, les locaux appartiennent à la commune qui est chargée de leur entretien. Une définition claire des tâches de chacun doit être établie."
En convergeant en partie sur le contenu de la proposition de loi créant la fonction de directeur d'école, on pourrait penser les deux rapporteurs enclins à défendre celle-ci. "Nous avons eu la même idée d'un emploi fonctionnel, reconnaît Françoise Laborde. Il y a des choses qui se rejoignent." Toutefois, le texte porté par Cécile Rilhac présente deux écueils aux yeux des sénateurs.
Tout d'abord, la PPL arrive "un peu rapidement". "Je ne pense pas qu'il faille déstabiliser la chaîne avec les collectivités locales auxquelles on a beaucoup demandé ces derniers temps", lance la sénatrice de Haute-Garonne.
Surtout, certains points de la PPL ne semblent pas relever du domaine législatif. "Cela va dans le bon sens, mais au Sénat, nous n'aimons pas qu'une PPL empiète sur le champ réglementaire", pointe Max Brisson. Pour lui également, ce texte arrive "un peu trop tôt en amont du dialogue social au sein du ministère de l'Éducation nationale". Pour les deux sénateurs, la balle est maintenant dans le camp de Jean-Michel Blanquer.