Devant le Comité des régions, Emmanuel Macron place l'Europe face à un "combat existentiel"
Pour le premier discours d'un président français devant le Comité des régions, Emmanuel Macron a présenté les grandes priorités de la présidence française de l'Union européenne qui démarre dans un mois. Avec des accents volontairement anxiogènes, il a longuement insisté sur les menaces extérieures et intérieures qui pèsent sur l'existence même du projet européen. Le président compte travailler sur trois tableaux : le renforcement du sentiment d'appartenance européen, de la souveraineté européenne et du "démos" européen. La Conférence sur l'avenir de l'Europe devra déboucher sur une "indispensable réforme institutionnelle" pour une "Europe plus proche du terrain".
L’Europe est-elle à ce point assiégée par des puissances hostiles ? Rongée de l’intérieur par des forces obscures ? Ou bien a-t-elle besoin de s’inventer des menaces fantômes pour se relancer ? Une chose est sûre : l’heure n’est pas à la légèreté. L’Europe doit mener "un combat historique et existentiel", a clamé Emmanuel Macron, le 1er décembre, car "si nous laissons nos démocraties faibles, elles finiront par être balayées". À un mois du début de la présidence française de l’Union européenne, le président de la République s’adressait en visioconférence aux élus du Comité des régions réunis en session plénière pour présenter ses priorités. Une première depuis la création de cette institution par Jacques Delors, il y a trente ans. Au lieu d’un discours convenu sur le rôle des collectivités dans la construction européenne, ou dans la relance, il s’est évertué à mettre en garde contre les périls qui guettent l’Europe, ces "puissances autoritaires qui utilisent tous les moyens de la manipulation et de la guerre hybride", "qui ont désigné notre Europe comme ennemie, oeuvrant de manière totalement décomplexée, ce qui est un fait nouveau dans les dernières années". "Il y a aujourd'hui un spectre qui va de la quasi-intervention politique à la propagande jusqu'à la menace cyber quasi militarisée. Ce spectre est utilisé aujourd'hui, par les ennemis de l'Europe et de la démocratie libérale, pleinement sur nos territoires", a-t-il développé. Une menace aux forts accents russe, turc ou chinois. "Sous couvert d'être journalistes, ils créent des chaînes, des sites d'information. D'autres fois, ils utilisent ce qu'on appelle des trolls, ils multiplient les messages directs ou indirects, ils stipendient des partis politiques, des activistes dans nos pays pour manipuler la vie démocratique."
Sans les désigner nommément, Emmanuel Macron s’en est aussi pris à la Pologne, la Hongrie, "ces démocraties devenant de proche en proche illibérales, c'est-à-dire des démocraties où il n'y a plus, en quelque sorte, qu'un formalisme démocratique, mais où la substance de l’État de droit est progressivement vidée de son contenu". Emmanuel Macron a brandi les "sanctions politiques" prévues à l'article 7 du Traité sur l'Union européenne contre ceux qui portent atteinte aux "valeurs fondamentales".
"Mécanisme de résilience électorale"
Ces dangers, sur fond de "manipulations", de "désinformations", minent selon lui "la confiance des citoyens". Le plan d’action pour la démocratie européenne présenté par la Commission il y a un an cherche à répondre à ces enjeux, avec la "création d'un mécanisme européen de résilience électorale" attendu début 2022. Il s’agira de "mettre en commun nos experts pour anticiper et contrer les cyberattaques visant les processus électoraux". On ne peut s’empêcher de penser au calendrier électoral français. Autres enjeux de ce plan : l’encadrement des financements de partis politiques et des publicités politiques en ligne, le contrôle des algorithmes de diffusion des publicités, la modération des contenus… La démocratie "nécessite des médias indépendants", a affirmé Emmanuel Macron, les "lignes éditoriales ne doivent pas être, ne peuvent pas être dictées par les financements". Deux initiatives européennes seront prises en 2022 : l’une sur les poursuites judiciaires abusives, la deuxième sera "l'acte pour la liberté des médias". "Un enjeu majeur aujourd'hui réside en l’exclusion de nos citoyens en raison de leurs convictions, de leurs origines ou de leur orientation sexuelle", a aussi évoqué le président français.
Pour répondre à ces défis, l’Europe devra travailler à renforcer son "sentiment d’appartenance", à "bâtir un demos européen", et à renforcer sa souveraineté, son indépendance. Pour ce qui est du "demos", le président entend s’appuyer sur les collectivités. La Conférence sur l'avenir de l'Europe devra par exemple déboucher sur une "indispensable réforme institutionnelle", pour "une Europe plus proche du terrain, plus subsidiaire dans laquelle nos concitoyens ont le sentiment d'être, avec leurs élus de proximité, les véritables décideurs". Emmanuel Macron a aussi défendu l’idée de listes transnationales aux élections européennes.
"Osez nous faire confiance"
"Osez nous faire confiance", lui a lancé le maire de Coulaines (Sarthe), Christophe Rouillon. Le président du groupe PSE a saisi la balle au bond pour demander à la future présidence française de renforcer le rôle du Comité des régions. "Pourquoi ne pas donner à notre assemblée politique un pouvoir législatif qui renforcera la légitimité de l’intervention européenne dans le domaine de la cohésion territoriale, de l’action locale, des droits fondamentaux et de la citoyenneté ?", a-t-il proposé, assurant que le Comité des régions "peut être un allié sur pour ceux qui souhaitent renforcer le projet européen". François Decoster, maire de Saint-Omer (Pas-de-Calais), président du groupe Renew Europe, a loué pour sa part les progrès réalisés dans les relations entre le Comité des régions et le Parlement européen. Mais "la prise en compte de nos travaux par le Conseil est un véritable territoire de progrès", a-t-il lâché, demandant également une "mise à niveau des ressources" du comité. Il a par ailleurs suggéré à la France de développer des conseillers UE parmi les conseillers municipaux.
Quant au président du Comité des régions, le Grec Apostolos Tzitzikostas, il s’est félicité qu'un "pays fondateur de l'Europe", le "pays des droits de l'homme", prenne prochainement le "leadership" de l’Europe.