Deuxième phase d'Action coeur de ville : la Cour des comptes livre ses recommandations
Tout en saluant un succès, la Cour des comptes invite à prendre quelques précautions pour la poursuite du programme Action cœur de ville à compter de 2023. Elle livre trois recommandations : mettre en place un suivi plus exhaustif de la consommation et de l’affectation des crédits, améliorer le positionnement du programme au sein des politiques d’aménagement du territoire et renforcer l’évaluation du programme pour analyser son impact réel.
Un programme "ambitieux" et "innovant" dans sa conception et son déploiement, dont la dynamique doit être poursuivie mais en prenant quelques précautions sur les financements et avec une évaluation sur les réelles retombées. À l’orée de la phase 2 du programme Action cœur de ville (ACV) qui couvrira la période 2023-2026, la Cour des comptes conclut à "des résultats contrastés" de cette politique nouvelle lancée en 2018 pour la revitalisation des centres de 234 villes moyennes appartenant à 222 territoires. Ambitieux, le programme l’est parce qu’il consiste à agir "sur l’ensemble des facteurs de l’attractivité" : habitat, logement, commerce, développement économique, accessibilité et mobilités. Il l’est par les moyens mis sur la table (5 milliards d’euros sur cinq ans répartis entre la Banque de Territoires, l’Anah et Action logement et, dans une moindre mesure, l’État). Il l’est enfin "dans sa déclinaison territoriale", "en privilégiant l’échelon local et en confiant la maîtrise d’ouvrage de son application aux maires des villes adhérentes".
Une "réelle dynamique"
Malgré quelques doutes sur la sélection des villes - trois départements en Île-de-France et en Côte-d’Or n’ont eu aucune ville éligible et le Cantal n’en a eu qu’une – la Cour considère que le programme a enclenché "une réelle dynamique permettant le développement des projets structurants portés par les maires". Même il s’est complexifié au fil du temps en s’élargissant à de nouveaux partenaires et dispositifs (opérations de revitalisation du territoire nées de la loi Elan de 2018, Réinventons nos cœurs de villes, Territoires pilotes de la sobriété foncière, mesures du plan de relance…). Ces apports constituent un "enrichissement" mais ont nui à la lisibilité du programme, notamment pour les maires et leurs équipes, relève la Cour, qui mentionne le guide du programme actualisé chaque année par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et qui comporte désormais 130 pages !
La Cour salue par ailleurs la "méthode renouvelée" du programme, tant de fois vantée par les membres du gouvernement et qui a depuis essaimé dans d’autres politiques publiques (Territoires d’industrie, Petites Villes de demain…). Mais elle estime que les évaluations sont insuffisantes et qu'elles ne permettent pas de faire la part entre la véritable valeur ajoutée du programme et des tendances sociétales comme le regain d’intérêt pour les villes moyennes observé depuis quelques années. Par exemple, si ces évaluations comportent des données sur l’évolution de la vacance commerciale (résultats d’ailleurs assez mitigés) et sur la vacance des logements, "elles ne permettent pas de faire la part entre le rôle spécifique du programme et l’effet de tendances sociétales plus profondes", regrettent les magistrats. Ils rappellent que la pandémie de Covid-19 et les confinements ont eu "un effet positif sur l’attractivité nouvelle des villes moyennes et par là sur la revitalisation de leurs centres-villes". Mais ils ont dans le même temps favorisé le e-commerce et donc pu compromettre le développement du commerce de proximité. De même pour le développement de l’immobilier : la crise est venue confirmer des tendances de fond qui préexistaient. En outre, les nouveaux arrivants privilégient dans leurs achats les pavillons en périphérie plutôt que le centre.
Sur la question du financement (qui pour un tiers relève de prêts), la Cour pointe "l’angle mort" des contributions des collectivités locales au programme. "Il n’existe pas à ce jour d’état précis des autres sources de financement du programme, qu’il s’agisse des collectivités locales ou de partenaires qui se sont progressivement associés", souligne-t-elle. Elle suggère de "mettre en place un suivi exhaustif et régulier de l’origine, de l’affectation et de la consommation de l’ensemble des financements consacrés au programme Action coeur de ville".
Veiller à l'équilibre entre ville-centre et intercommunalité
L’un des enjeux de la deuxième phase – dont le rapport de préfiguration a été remis en juillet au gouvernement en juillet par le préfet Rollon Mouchel-Blaisot, directeur du programme – sera de veiller à l’équilibre du programme entre l’attractivité de la commune-centre et les intérêts de l’intercommunalité, insiste la Cour. Elle relève certaines tensions entre des politiques parfois contradictoires. Exemple à Saint-Brieuc où "une bataille juridique s’est engagée entre la ville, soucieuse de préserver ses boutiques de prêt-à-porter, et la communauté d’agglomération, favorable à l’implantation d’une grande chaîne dans une commune limitrophe". Première traduction des "contrats de cohésion territoriale" prévus par l’article 2 de la loi n°2019-753 du 22 juillet 2019 portant création de l’ANCT, les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) pourraient être le cadre de cette convergence d’intérêts, même s’ils n’ont pour le moment pas fait leurs preuves.
La Cour regrette par ailleurs des contradictions dans les choix politiques, comme la décision de fermer de nombreuses petites lignes ferroviaires. Si le plan de soutien aux petites lignes ferroviaires lancé en décembre 2021 fait machine arrière et prévoit bien la desserte de nombreuses villes moyennes (Cherbourg, Laon, la Roche-sur-Yon, Limoges, Oyonnax, Rodez), "il importe que ces mesures fassent l’objet de concertations, au niveau local mais aussi à l’échelon national". La Cour salue la volonté d’élargir le programme aux gares et entrées de ville et à de nouvelles thématiques, mais attention à ne pas le transformer en "fourre-tout". D’où sa recommandation d’améliorer le positionnement du programme au sein des politiques d’aménagement du territoire.
Dans sa réponse, le directeur général de l'ANCT, François-Antoine Mariani souscrit aux trois recommandations. Il relativise toutefois le chapitre consacré à l'évaluation, celle-ci lui paraissant "en pointe", avec une dizaine d'indicateurs, des "reportings cartographiques très précis"... "L'évaluation de l'effet levier du programme sera bien une priorité de 2023", assure-t-il.
Vendredi, la mission sénatoriale sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs remettra ses conclusions définitives. Si l'on en juge par le rapport d'étape, elle pourrait faire état de quelques frustrations.