Deux députées veulent insuffler "l'esprit de défense" chez les collectivités
Dans un climat qui ressemble de plus en plus à une veillée d'armes, la commission de la défense de l'Assemblée nationale a adopté le 22 mai 2024 le rapport des députées Patricia Lemoine (Renaissance, Seine-et-Marne) et Mélanie Thomin (Finistère, PS) "Défense et territoires : quels rôles pour les acteurs du territoire dans la défense nationale ?". Les co-rapporteures entendent notamment "faire rayonner l’esprit de défense au niveau territorial". Patricia Lemoine revient sur les motivations qui ont guidé ce travail. Parmi les nombreuses pistes envisagées : intégrer un volet défense dans les plans communaux de sauvegarde.
Localtis - Pourquoi une telle mission d'information ?
Patricia Lemoine, députée de Seine-et-Marne et rapporteure - Si les élus du bloc communal, les conseillers départementaux et régionaux s'intéressent aux questions de sécurité, les sujets de défense ne sont quasiment jamais appréhendés ni dans les assemblées délibérantes, ni dans les plans communaux et intercommunaux de sauvegarde (PCS/PCIS). Par exemple, dans la commune de Condé-Sainte-Libiaire dont j’ai été maire pendant 10 ans, qui est fortement soumise aux inondations, nous avions prévu un mécanisme d'alerte pour ces phénomènes climatiques. Mais il ne nous est jamais venu à l'esprit d'avoir un volet défense, car à l’époque nous considérions que cette compétence régalienne relevait exclusivement de l’État. Or ces dernières années, notamment avec la guerre en Ukraine et l’émergence de menaces hybrides, les territoires sont plus que jamais exposés. Par conséquent, il apparaît indispensable que les élus, et particulièrement ceux du bloc communal, mais aussi les citoyens, les entreprises, les associations, les chambres consulaires, c’est-à-dire l’ensemble des forces vives dans les territoires, puissent participer à l'effort de défense globale. C'est dans cet esprit que le président de la commission de la Défense nationale nous a confié cette mission.
Comment appréhender ce sujet au niveau des territoires ?
Il faut recréer du lien avec les citoyens. La dissuasion nucléaire, la fin du service militaire et la fermeture de nombreuses emprises militaires depuis 25 ans ont pu contribuer à éloigner les armées des citoyens et à créer un certain dissensus entre celles-ci et une partie de la population. La première chose à faire est de les resensibiliser. Il faut qu'on puisse collectivement prendre conscience qu'il y a de nouvelles menaces. En matière de cyberattaque par exemple, il faut mener un véritable travail de communication pour sensibiliser à ces risques les collectivités mais aussi les entreprises, la population et les aider à lutter contre la guerre informationnelle et les tentatives d'ingérence étrangères.
Vous vous êtes aussi inspirées de ce qui se fait chez nos voisins ?
Nous avons effectué dans le cadre de notre mission trois déplacements en Suisse, Finlande et Suède, trois pays qui s’organisent pour faire face à un risque de conflit. La Finlande, qui partage une frontière de plus de 1.300 km avec la Russie, est en capacité avec 5,5 millions d'habitants de mobiliser plus de 900.000 hommes pour aller au combat en cas d'invasion ou de menace. Nous devons nous inspirer de la longue tradition de ces pays en matière de défense civile. Dans la loi de programmation militaire, des objectifs sont identifiés pour augmenter les effectifs de réserve opérationnelle mais il faut aller plus loin en développant également notre défense civile.
Par ailleurs, la loi demande de désigner dans chaque commune des correspondants défense mais leur rôle est souvent relégué à l'organisation des cérémonies de commémoration, avec éventuellement une réunion par an avec le délégué départemental. Ce n'est pas suffisant pour créer une dynamique. Or ces correspondants défense sont très demandeurs, et manifestent une réelle appétence sur tous les sujets de défense.
Quelles solutions proposez-vous ?
Il faut inviter les élus à intégrer un volet défense aux plans communaux de sauvegarde : si une situation de risque ou de menace se profile, il faut savoir comment protéger les infrastructures prioritaires, le réseau routier, ferré, les entreprises stratégiques, disposer de stocks alimentaires. En Suède et Finlande par exemple, les collectivités ont des réserves alimentaires pour huit ou dix jours ! Tous les habitants reçoivent aussi un courrier chaque année leur rappelant les informations et instructions essentielles à respecter en cas de menace (avoir un transistor avec des piles, des points de rassemblement, des refuges souterrains, disposer d’un stock de survie, d’un kit pharmaceutique, d’argent en espèces…). La Suisse dispose par ailleurs de bunkers antimissiles qui peuvent accueillir jusqu'à dix millions d'habitants ! Je suis convaincue que c'est le bloc communal, en tant qu’échelon de proximité, qui est capable d'identifier les personnes utiles en cas de menace grave. Nous le faisons dans l’élaboration de nos plans de prévention des risques (PPR). J’ai l’intime conviction qu’il est possible de procéder de la sorte sur le volet défense. Afin d’impulser cette dynamique, nous émettons la proposition de flécher 1% du budget consacré à la Défense à la Défense civile. L'histoire nous a prouvé que dans toute guerre, les citoyens sont au cœur de la résistance.
Quelles sont les difficultés pour mettre en place cette défense territorialisée ?
Il faut préparer les populations sans créer un caractère anxiogène et donner les moyens aux collectivités d’y parvenir. La stratégie nationale de résilience mise en place en 2022 prévoit bien de les associer à ce travail de territorialisation, mais il faut passer à la vitesse supérieure et mettre en œuvre cette stratégie. Des moyens supplémentaires sont aussi nécessaires.
Dans quelques jours, je transmettrai ce rapport au ministre des Armées en mettant en exergue les points saillants de notre mission d'information qui fut passionnante, et plus que jamais d'actualité à l’heure où le contexte géopolitique est particulièrement sensible.