Archives

Des réformes qui portent le sceau de Bruxelles

Réduction des dépenses, réforme du marché du travail et de la formation, libéralisation des services et des professions règlementées… Plus que jamais, les "recommandations" par pays (adressées chaque printemps par la Commission aux Etats membres) font figure de feuille de route pour le nouveau gouvernement... Avec un premier rendez-vous : la réforme du Code du travail.

C’est un moment important de ce début de quinquennat lancé sur l’air de l’hymne officiel de l’Union européenne. La Commission européenne a publié, lundi 22 mai, ses "recommandations par pays", sorte de feuille de route envoyée chaque année au printemps aux Etats membres pour les inviter à mettre en œuvre les réformes structurelles souhaitées. Des recommandations qui - pacte de stabilité et de croissance oblige -, peuvent vite se transformer en sanctions… L’objectif : renforcer la "convergence" des économies européennes pour les rendre "plus compétitives, résilientes, inclusives et innovantes", souligne la Commission dans sa communication.
Si la personnalité du nouveau président de la République français et la composition de son premier gouvernement ont été accueillies avec une grande satisfaction à Bruxelles, la France est toujours considérée comme un cancre en matière d’orthodoxie budgétaire. Elle reste maintenue sous surveillance pour "déficits excessifs", alors que la Commission a décidé de relâcher la pression sur le Portugal et la Croatie.
Dans ses "prévisions de printemps" publiées il y a deux semaines, la Commission tablait - "dans l’hypothèse de politiques inchangées" - sur un déficit de 3,2% du PIB en 2017, au-delà du seuil fatidique des 3% et de ce sur quoi Paris s'était engagée dans son programme de stabilité de 2017, à savoir un déficit de 2,8%.

Déficits excessifs

On comprend donc tout l’enjeu stratégique de ces "recommandations" pour un exécutif désireux de plaire à Bruxelles et à Berlin. Force est de remarquer la concordance entre cette feuille de route (qui reprend à peu de choses près les exigences de l’an passé) et les premières grandes réformes annoncées.
La Commission demande tout d’abord à la France de respecter ses engagements budgétaires et de se "conformer à la recommandation du Conseil du 10 mars 2015 au titre de la procédure concernant les déficits excessifs" (le Conseil exigeait notamment des coupes dans les dépenses sociales). "Il convient de prendre en considération l’objectif d’une orientation budgétaire qui contribue aussi bien à conforter la reprise actuelle qu’à garantir la viabilité des finances publiques de la France", poursuit la Commission. Elle recommande d’inscrire les économies de dépenses envisagées dans une "stratégie pluriannuelle".
Elle demande ensuite de "consolider les mesures de réduction du coût du travail", d’ "élargir l’assiette globale de l’impôt" et de "poursuivre la mise en œuvre de la diminution prévue du taux nominal de l’impôt sur les sociétés" qui, rappelle-t-elle, à 38,4% est le plus élevé de l’UE. Un triptyque qui correspond à la politique de l’offre voulue par le nouveau président et qui pourrait se traduire dans le projet de loi de finances pour 2018 attendu cet automne. Emmanuel Macron souhaite en effet la transformation du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivté et l’emploi) en baisse de charges durables et une réduction du taux de l’IS à 25%. Il a aussi annoncé une augmentation de 1,7 point du taux de CSG (en compensation d’une baisse des cotisations des salariés). Reste à savoir s’il entend aussi jouer sur la TVA comme l’y invite la Commission qui rappelle que la France occupait en 2014, le 27e rang en Europe pour "les recettes provenant des impôts sur la consommation".

Marché du travail

La Commission veut par ailleurs voir remise sur le métier la réforme du marché du travail. Elle demande d’ "améliorer l’accès au marché du travail des demandeurs d’emploi, notamment les travailleurs les moins qualifiés et les personnes issues de l’immigration, y compris en revoyant le système d’enseignement et de formation professionnelle". Dans ses recommandations générales sur l’ensemble des pays, la Commission juge aussi nécessaires des "efforts supplémentaires" pour "améliorer l’intégration des migrants et des personnes issues de l’immigration sur le marché du travail" en France, mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas, en Autriche et en Finlande.
Cette réforme du marché du travail est récurrente dans les recommandations annuelles de Bruxelles. A ce titre, la Commission se félicite de la loi El Khomri de juillet 2016 à travers laquelle "la France a instauré des mesures visant à améliorer la capacité d’adaptation des entreprises aux cycles économiques et à réduire la segmentation du marché du travail". Cette loi adoptée au forceps avec le recours au 49.3 "clarifie les règles applicables au licenciement individuel pour motif économique" et "accorde une place plus importante aux accords majoritaires d’entreprise" et "augmente l’efficacité de la négociation collective".
Emmanuel Macron a fait de la réforme du Code du travail sa priorité. Il entend aller vite, en procédant par voie d’ordonnance. Il recevait les représentants syndicaux et patronaux dès ce mardi en entretiens individuels. Il sait qu’il joue là sa crédibilité de réformateur. Son objectif : donner la primauté des accords d’entreprises sur les accords de branches et la loi, ce sur quoi la loi El Khomri avait buté.
Toujours au rang du marché du travail, la Commission recommande de "veiller à ce que les évolutions du salaire minimum soient compatibles avec la création d’emplois et la compétitivité". "Une augmentation du salaire minimum entraîne des augmentations salariales pour la plupart des catégories de travailleurs et comporte le risque de compresser les salaires vers le haut", développe le document. Une augmentation du Smic risquerait même "de restreindre les perspectives d’emploi des personnes peu qualifiées", ajoute-t-il.

Poursuivre la libéralisation des services

Enfin, quatrième et dernière recommandation : "poursuivre la réduction des charges réglementaires pesant sur les entreprises", "continuer à lever les barrières à la concurrence dans le secteur des services, y compris dans les services aux entreprises et les professions réglementées" et "simplifier les programmes de soutien public à l’innovation". "La concurrence dans les services s’est améliorée dans un certain nombre de secteurs", se félicite la Commission, qui vise désormais "l’architecture, les services à domicile, les services d’hébergement et de restauration, les services de taxi et de location de véhicules avec chauffeur". L’ "ubérisation" n’en est qu’à ses débuts. Là encore, on voit bien la continuité avec les réformes déjà amorcées : la loi Macron de 2015 et le grand projet "Noé" abandonné avant d’être éclaté en trois lois distinctes (loi El Khomri, loi Sapin 2 sur la transparence, loi Lemaire sur le numérique)… Emmanuel Macron aura un allié à Bruxelles : le commissaire  aux Affaires économiques Pierre Moscovici. Son prédécesseur à Bercy était déjà sur la même ligne. Lui qui, empruntant à Keynes, voulait "euthanasier les rentiers".
Cherchant à compenser la faible teneur sociale de ces mesures, la Commission brandit son "socle européen de droits sociaux" adopté le mois dernier. Ce socle "vise à définir un certain nombre de principes essentiels pour soutenir le bon fonctionnement et l'équité des marchés du travail et des systèmes de protection sociale", insiste-t-elle.

 

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis