Mobilité - Des chercheurs décryptent le trafic des piétons en ville
"Le confort de marche individuel nuit à l’efficacité collective dans l’organisation du trafic piétonnier." Telle est la principale conclusion d'une étude menée par quatre laboratoires de recherche français - le Centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/université Toulouse III Paul-Sabatier), l’Institut de mathématiques de Toulouse (CNRS/Insa Toulouse/université Toulouse I Capitole/université Toulouse II Le Mirail/université Toulouse III Paul-Sabatier), le centre Inria Rennes Bretagne Atlantique, le Laboratoire de physique théorique (CNRS/université Paris-Sud).
"Dans une foule de piétons, les interactions entre les individus sont à l’origine d’une grande variété de comportements collectifs, note l'étude, récemment publiée dans la revue PLoS Computational Biology. C’est le cas par exemple du phénomène de formation de files, qui apparaît lorsque deux flux de piétons se déplacent en direction opposée dans un même lieu, un couloir de métro ou une rue. Dans cette situation, les piétons se partagent spontanément l’espace disponible pour former une sorte 'd’autoroute à piétons'. Cette organisation collective a pour effet d’améliorer la qualité du trafic piétonnier à grande échelle. Toutefois, les mécanismes comportementaux impliqués dans ce phénomène restent assez mal compris et les bénéfices fonctionnels de cette organisation n’ont encore jamais été mesurés."
Les quatre laboratoires, qui représentent quatre disciplines (mathématiques, physique, éthologie et informatique), ont donc combiné leurs méthodologies pour réaliser une série d’expériences de grande envergure afin de mieux comprendre les mécanismes de structuration spontanée du trafic piétonnier. Dans des conditions standardisées, où deux flux de piétons constitués de trente sujets volontaires se déplacent en sens opposé dans un couloir circulaire, les chercheurs ont ainsi observé une organisation spontanée des flux en deux, trois, voire quatre files de circulation. Ces phases organisées en files sont cependant instables et alternent au cours du temps avec des phases de désorganisation.
Perturbations du trafic
Ces perturbations du trafic sont une simple conséquence des différences entre les vitesses de marche des piétons, ont constaté les chercheurs. Les piétons les plus rapides, temporairement ralentis par les plus lents, ont tendance à quitter leur file pour dépasser leur prédécesseur et retrouver ainsi leur vitesse de confort. Cette perturbation locale de l’organisation collective s’amplifie, puis conduit les files à se scinder et finalement, c’est l’ensemble du trafic piétonnier qui se désorganise. A l’aide de simulations numériques, les chercheurs ont pu mettre en évidence que les phases de désorganisation étaient d’autant plus fréquentes que les vitesses de marche entre les piétons étaient différentes. "D’un point de vue fonctionnel, le trafic piétonnier est 20% plus efficace dans une foule homogène au sein de laquelle tous les piétons marchent à la même vitesse, que dans une foule très hétérogène. Ainsi, c’est en essayant de préserver un confort de marche à une vitesse préférée que certains piétons réduisent la qualité du déplacement de l’ensemble du groupe", indique l'étude.
"Ces travaux permettent de mieux comprendre les mécanismes d’auto-organisation qui structurent le déplacement des foules. A l’avenir, ces connaissances pourraient servir à l’aménagement des espaces urbains de manière mieux adaptée au comportement des piétons, en créant par exemple des voies de déplacement rapides et lentes dans certaines zones urbaines", estiment les chercheurs. Les architectes pourraient ainsi s'appuyer sur ces travaux pour déterminer "quels sont les endroits où les personnes vont s'agglomérer dans un bâtiment, ou comment ils peuvent favoriser la dispersion dans certains lieux en améliorant le confort de marche", a noté Guy Theraulaz, chercheur du CNRS à l'université Toulouse III Paul-Sabatier. Les municipalités et les services de sécurité pourraient de leur côté les utiliser afin de "déterminer les densités critiques à ne pas dépasser pour éviter des mouvements de foule incontrôlés" dans le cas de manifestations, et gérer ainsi le nombre de personnes autorisées sur les lieux de rassemblement.