Dérogation "espèces protégées" : un projet de logements sociaux peut répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur
Dans un arrêt récent, en date du 29 janvier 2025, le Conseil d’Etat reconnaît une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIM) à un projet de construction de logements sociaux, donnant ainsi une nouvelle illustration de cette condition d’octroi d’une dérogation "espèces protégées".
Pour rappel, la possibilité de déroger au principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées est prévue au 4° de l’article L.411-2 du code de l’environnement. Trois conditions cumulatives sont à satisfaire. Elles sont reprises ici par le Conseil d’Etat. "Il résulte de ces dispositions qu'un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur", souligne d’abord le Conseil d’Etat, s’agissant du noeud contentieux en l'espèce. "En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle", ajoute-t-il.
Dans cette affaire, les pétitionnaires d’un projet de construction de soixante logements locatifs sociaux et dix-huit logements en accession sociale à la propriété, avaient obtenu du préfet l’autorisation, par deux arrêtés, de déroger à l'interdiction de capture temporaire avec relâché et de destruction des spécimens de salamandres tachetées, espèce présente à proximité du site d'implantation du projet. Une décision contestée par une association de défense de l’environnement et des riverains du projet. Le tribunal administratif de Nancy a fait droit à leur demande et à sa suite, la cour administrative d’appel, confirmant l’annulation des arrêtés litigieux délivrant la dérogation.
Pour rejeter la RIIM, la cour administrative d’appel de Nancy retient que le projet n'était pas nécessaire pour permettre à la commune d'atteindre ses objectifs d'intérêt public d'aménagement durable et de politique du logement social et qu'il n'était pas démontré que le secteur connaîtrait une situation de tension particulière dans ce domaine. Un raisonnement censuré par le Conseil d’Etat, juge de cassation. Pour la Haute juridiction, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce, "alors, d'une part que la construction de ces logements est destinée soit à permettre à une population modeste d'accéder à la propriété, soit à assurer le logement des populations les plus fragiles, et, d'autre part, que le taux de logements sociaux de la commune, observé sur une période significative de dix ans, était structurellement inférieur à l'objectif de 20% fixé par le législateur et l'un des plus faibles de la métropole du Grand Nancy, et qu'au demeurant les objectif fixés par la loi en termes de logements locatifs sociaux constituaient des seuils à atteindre et non des plafonds". L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Notons que dans ses conclusions sur cette affaire, le rapporteur public, Nicolas Agnoux, pointait un biais dans le raisonnement de la cour d’appel, faute d’avoir distingué dans son analyse la raison impérative et la condition tenant à l’absence de "solution alternative satisfaisante". Il s'agit de conditions cumulatives et distinctes, nous rappelle la décision du Conseil d'Etat.
Référence : CE, 29 janvier 2025, Société Batigère Habitat et autres, n° 489718, B |