Dépenses sociales des départements : une année de répit
L'étude annuelle de l'Observatoire national de l'action sociale (Odas) présentée ce 29 juin donne à voir 2021 comme "une année atypique" : contre toute attente, "jamais les dépenses sociales des départements n'avaient si peu augmenté d'une année à l'autre". La reprise de l'activité, avec des effets sur le nombre de bénéficiaires du RSA, y est pour beaucoup, les autres champs (enfance, dépendance, handicap) affichant une relative stabilité. L'enjeu des ressources humaines représente l'une des grandes interrogations pour la suite.
"La crise a bien fait flamber les dépenses sociales des départements", titrions-nous il y a moins d'un an pour rendre compte de l'étude de l'Observatoire national de l'action sociale (Odas) sur les dépenses sociales et médicosociales des départements en 2020. À ce moment-là, l'Odas envisageait la suite des événements de façon plutôt pessimiste, craignant que l'impact de la crise ne se renforce en 2021, notamment avec une poursuite de l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA. Or la nouvelle édition de cette enquête traditionnelle présentée ce 29 juin dément en partie les pronostics qui - y compris du côté des élus départementaux avec Départements de France -, disaient que le pire était pour bientôt. En tout cas, l'exercice 2021 donne à voir une quasi-stabilisation des dépenses.
En fait, "jamais les dépenses sociales des départements n'avaient si peu augmenté d'une année à l'autre", écrit l'Odas en préambule, qualifiant de ce fait 2021 d'"année atypique". "C'est la deuxième fois depuis 1984, donc depuis la décentralisation des compétences sociales et médicosociales, que l'évolution est si faible", a complété Didier Lesueur, délégué général de l'Observatoire, en présentant l'étude à la presse. Première explication donnée : dès 2021, bien que la crise sanitaire n'ait pas été terminée, "l'activité économique et sociale a repris de manière sélective et très progressive, sans nouvel impact négatif sur l'évolution du chômage et donc de la précarité". Une tonalité positive à laquelle le détail de l'étude apporte évidemment des nuances.
Prise globalement, la dépense nette* d'action sociale départementale n'a augmenté que de 0,4% en 2021 (+150 millions d'euros), pour s'établir à 40,4 milliards. Une fois déduits les concours de l'État, la charge nette** s'est elle stabilisée à 31,8 milliards (-31 millions). Ce qui signifie que les concours de l'État ont progressé de 2,3% (190 millions). Les allocations (RSA, APA, PCH...) représentent environ la moitié de la dépense nette et un tiers de la charge nette.
La répartition budgétaire par secteur varie là encore logiquement selon que l'on parle de dépense nette ou de charge nette (une fois pris en compte les concours de l'État). Sur la dépense nette, ce sont les dépenses d'insertion (autrement dit essentiellement de RSA) qui dominent, suivies du handicap (hors personnels). Au niveau de la charge nette, c'est cette fois la protection de l'enfance qui domine, là encore hors personnel (voir graphique ci-dessus).
"L'enjeu des personnels est devenu un souci majeur"
Les dépenses de personnels (17% de la charge nette) sont en hausse de 2,6% en 2021. Une progression qui serait notamment due à la nécessité de remplacements de personnels absents pendant la pandémie, ainsi qu'à des recrutements.
Mais c'est surtout à partir de cette année et en 2023 que le poids des ressources humaines risque d'augmenter fortement, du fait d'une série de mesures de revalorisation récentes qui n'étaient pas encore visibles dans les comptes 2021, à savoir l'extension du Ségur de la santé aux personnels sociaux et médicosociaux des départements, ainsi que "l'avenant 43" à la convention collective de la branche associative de l'aide à domicile. Les dépenses vont aussi être impactées par l'instauration en janvier 2022 des tarifs plancher pour l'aide à domicile. Et puis il faudra aussi absorber la revalorisation des catégories C et le dégel du point d'indice.
S'agissant des ressources humaines, la principale inquiétude de l'Odas n'est toutefois pas financière. "L'enjeu des personnels est devenu un souci majeur pour l'ensemble du champ social et médicosocial", résume Claudine Padieu, directrice scientifique de l'Odas, évoquant "les démissions, les postes vacants", les formations qui peinent à faire le plein… Elle parle même de "désespoir" des professionnels et reconnaît : "On l'attendait, mais pas à ce point". Or, souligne-t-on à l'Odas, la désaffection qui touche nombre de métiers n'est pas uniquement un problème de rémunération, mais aussi de "reconnaissance". Reconnaissance, notamment, de l'importance de "la dimension accompagnement" de ces métiers, dit Claudine Padieu, appelant à une "refondation de l'action sociale".
Entre légères hausses et légères baisses
Deux secteurs ont généré des hausses de dépenses l'an dernier. Le handicap tout d'abord, avec +3,3%. Ceci, principalement, du fait d'une hausse de 5,8% du nombre de bénéficiaires de la prestation de compensation du handicap (PCH). La création de la "PCH parentalité" est également entrée en jeu.
Dépenses légèrement en hausse également côté protection de l'enfance, avec +1,8%, certes moins que les années précédentes. Rappelant que le placement représente plus des trois-quarts de la dépense, Claudine Padieu souligne que le placement en établissement a augmenté de 3,8%. En cause notamment, "les difficultés à trouver des familles d'accueil" (entre autres face à des profils d'enfants ou jeunes plus compliqués). Le maintien en établissement des jeunes majeurs jusqu'à la fin de l'état d'urgence a également pu jouer. La hausse des dépenses devrait se poursuivre à l'avenir en lien avec la loi de février 2022, qui devrait générer "des coûts supplémentaires".
Légère baisse, a contrario, sur les personnes âgées dépendantes. Baisse de la dépense (-1,1%) et, plus encore, de la charge pour les départements (-5%). Ceci du fait d'une hausse de 8% des concours de la CNSA, venue financer des mesures liées à la crise sanitaire et un début de compensation de "l'avenant 43". L'APA à domicile a généré une hausse modérée (+2,1%). L'Odas a du mal à mesurer l'impact de la crise sanitaire sur l'aide à domicile. Elle connaît en revanche les difficultés de recrutement et leur incidence sur le taux d'exécution des plans d'aide. S'agissant de l'APA en établissement, on est plutôt sur une stabilité (+1%), tandis que l'aide sociale à l'hébergement diminue (-2,2%), possiblement en lien avec une "perte d'attractivité des Ehpad", relève l'Odas.
Enfin, au chapitre insertion, dépense nette (environ 11 milliards) et charge nette (environ 5,5 milliards, la part prise en charge par l'État avoisinant les 50%) ont toutes deux très légèrement diminué (-0,6% et -1,2%). Le plus notable étant la baisse de 7,6% du nombre d'allocataires du RSA ( soit 134.000 personnes de moins). L'Odas mettant, donc, cette baisse au crédit de la reprise du marché du travail.
Claudine Padieu souligne toutefois que cette baisse encourageante n'empêche pas "un point non mesuré et pourtant majeur" : "la montée d'une pauvreté qui ne passe pas par le RSA, celle des travailleurs pauvres". Elle met aussi l'accent sur les énormes disparités entre départements rendant les moyennes nationales peu parlantes : "Le montant total des allocations [RSA] diminue dans les deux tiers des départements et augmente dans le tiers restant".
Facteurs socio-économiques et démographiques
De façon générale d'ailleurs, les disparités entre départements sont présentes dans tous les secteurs. Elles ne se seraient toutefois pas renforcées avec la crise. Et restent principalement liées à des facteurs socio-économiques et démographiques. Outre le RSA, ces disparités sont notamment sensibles sur l'APA à domicile (là, des choix de politiques entre domicile et établissement peuvent jouer) et l'hébergement ASE (en fonction des capacités de recrutement de familles d'accueil, mais aussi en fonction des décisions des juges entre placement et assistance éducative en milieu ouvert).
Les interrogations restent fortes sur plusieurs points : sur l'augmentation des charges de personnel donc, sur la crise des recrutements… mais aussi sur ce que sera "le niveau de contribution des départements à la maîtrise des comptes publics", sans oublier la hausse générale des dépenses de fonctionnement liée à l'inflation (dont les prix de l'énergie). Sachant que côté recettes, si celles-ci ont été dopées par le "dynamisme exceptionnel" des DMTO (qui ont augmenté d'un quart, un record), un "ralentissement" est attendu. "2022 sera plus délicat que 2021 pour les finances des départements", résume sur ce point Sébastien Villeret, responsable d'études à la Banque postale, laquelle a comme chaque année contribué au document de l'Odas. Et Didier Lesueur d'en conclure que "cette année atypique ne dit rien de l'avenir".
* Dépense nette : "dépense défalquée des recettes (récupérations d’indus, participations des usagers, remboursements à d’autres départements ou à l’assurance maladie…)"
** Charge nette : dépense nette défalquée des concours de l'État, qu'il s'agisse de dotations, des financements de la CNSA ou de recettes fiscales