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Congrès de l'ADF - Départements : les attentes insatisfaites restent nombreuses

Lors de leur deuxième journée de congrès, les présidents de département réunis à Rennes ont pu échanger avec les ministres Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu. Ils ont redit que les propositions financières du gouvernement leur paraissent nettement insuffisantes. Et ont rappelé leurs attentes sur d'autres dossiers, dont ceux de la contractualisation financière et des compétences héritées de la loi Notr. Sur ces deux sujets, Sébastien Lecornu a confirmé que des ajustements étaient envisagés.

Elle a donc finalement été invitée. La condition était qu'elle ne vienne pas "les mains vides". Ils sont même venus à deux. Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu, le binôme ministériel désormais en charge des collectivités, ont assuré ce vendredi 9 novembre la clôture du 88e congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF). Et se sont prêtés au jeu des questions-réponses avec un panel de présidents de départements. Un exercice un peu particulier pour Sébastien Lecornu qui, lors des précédents congrès de l'ADF, était dans la salle en tant que président du conseil départemental de l'Eure, ce qu'il n'a pas manqué de rappeler. D'où, d'ailleurs, un certain franc-parler dans l'évocation des "débats" au sein même de l'ADF ou des aléas ayant menacé les départements au cours des deux précédents quinquennats (menace de suppression, "asphyxie" financière puis déstabilisation institutionnelle avec la loi Notr…).
Ce que les ministres avaient dans leur "besace" en vue de ce congrès, pour reprendre le terme de Dominique Bussereau, le président de l'ADF, était en fait déjà connu depuis l'avant-veille. Ils l'avaient en effet listé dans un courrier du 7 novembre que les élus départementaux avaient eu le temps d'éplucher et discuter (lire notre article du 8 novembre). Et le verdict de l'association était déjà tombé : bon à prendre… mais clairement insuffisant. "Nous avons cranté vos propositions. C'est un acompte. Mais il faudra engager de nouvelles négociations", a redit Dominique Bussereau aux ministres.
 Avant l'arrivée des représentants du gouvernement, en ouverture de la deuxième journée de congrès, les présidents avaient en effet adopté à l'unanimité une motion affirmant que "les propositions du gouvernement destinées à compenser le coût pour les départements des aides sociales et l’accueil des mineurs étrangers ne sont pas à la hauteur".

AIS : le plan Pauvreté aidera les départements volontaires

Sur les allocations individuelles de solidarité (AIS), le "fonds de stabilisation" de 115 millions, certes pérennisé sur trois ans (un amendement gouvernemental au projet de loi de finances a été déposé en ce sens, les ministres ont beaucoup insisté sur cette avancée), "laisse ouvert le problème du reste à charge", dit la motion.
 Quant au fonds de lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi de 135 millions, qui est en réalité lié à la contractualisation sur des objectifs ciblés proposée dans le cadre du plan Pauvreté (dans un premier temps sur dix territoires expérimentateurs), il "n’a rien à voir avec la problématique du reste à charge", rappelle l'ADF. À moins que ces 135 millions du plan pauvreté ne soient réaffectés au simple financement du RSA ? Les élus n'y voient pas très clair. Sébastien Lecornu a en tout cas indiqué que lui-même et Agnès Buzyn vont "travailler avec les départements sur les modalités de mise en œuvre" de ce fonds de lutte contre la pauvreté. S'exprimant devant la presse à l'issue du congrès, il a assumé la volonté, dans le cadre de ce fonds, d'"aider de façon différentiée" les départements en incluant des "critères de résultats et d'efficacité", par exemple en matière de taux d'insertion des bénéficiaires du RSA. Autrement dit d'aider plus les départements qui font plus.
 Enfin, alors que le courrier des ministres ne prévoit pas de déplafonnement des droits de mutation (DMTO), la motion de l'ADF redemande un "levier fiscal" pour donner plus d'ampleur à la péréquation horizontale que les départements entendent mettre en place. Sur ce point, Sébastien Lecornu a été clair : "On ne veut pas d'une augmentation des DMTO." Il ne devrait donc pas y avoir de nouvelles discussions là-dessus. Or pour Dominique Bussereau, cette péréquation entre départements avait été imaginée par l'ADF en partant du postulat d'un possible relèvement du taux des DMTO. Sans cela, les départements risquent d'être peu nombreux à vouloir s'engager, prévoit-il. Jacqueline Gourault a pour sa part souligné devant les élus que "les critères de cette péréquation seront définis par vos soins". En outre, l'engagement est pris d'une "clause de revoyure si la dynamique des DMTO venait à s'inverser".

MNA : un effort, mais...

Concernant les mineurs non accompagnés (MNA), l'ADF reconnaît un "effort" du gouvernement – un effort financier, ainsi que certaines mesures attendues telles que la mise en place d'un fichier interdépartemental. Mais la motion adoptée redit là encore que "les propositions ne sont toujours pas à la hauteur".
 Sébastien Lecornu sait bien que "le flux actuel des MNA modifie la donne" et que se pose "la question du partage des contraintes, entre les politiques décentralisées et le régalien". Mais si le curseur a un peu bougé, on reste pour l'heure assez loin des engagements passés d'Emmanuel Macron et d'Édouard Philippe sur la prise en charge complète par l'État de l'évaluation de la minorité et de la mise à l'abri de ces jeunes étrangers. Et sur la phase suivante, à savoir la prise en charge des mineurs par l'aide sociale à l'enfance (ASE), nombre de départements ont dit combien ils sont démunis pour faire face à l'ampleur du phénomène. Jean-Luc Chenut, le président d'Ille-et-Vilaine, hôte de ce 88e congrès, a donné les chiffres pour son département : "Il y a quatre ans, notre budget pour les MNA, c'était 4 à 5 millions d'euros. Cette année, c'est 20 millions d'euros, dont seulement 1 million pris en charge par l'État."
 Les ministres ont rappelé que désormais, les dépenses liées à l'augmentation du nombre de MNA pris en charge ne seront pas comptabilisées dans les dépenses de fonctionnement encadrées par les pactes financiers État-départements.

Contractualisation : "Ça se renégocie"

Les départements voudraient d'ailleurs que d'autres dépenses engagées "pour le compte de l'État" soient également exclues du décompte, notamment celles liées aux AIS. Pour l'heure, ce n'est pas prévu. Ils attendent aussi que le taux de 1,2% de hausse annuelle des dépenses de fonctionnement soit revu compte tenu d'une inflation qui repart à la hausse.
 Plus globalement, "la question du périmètre de cette contractualisation se pose, car celle-ci génère l'impossibilité de développer des politiques publiques ambitieuses, par exemple pour la création de places en matière de handicap ou d'aide sociale à l'enfance", a ainsi regretté Nathalie Sarrabezolles, présidente du Finistère. Et l'élue d'ajouter : "Cela nous empêche même d'aller chercher des fonds européens ou des crédits de la CNSA", ces recettes n'étant pas déduites du plafond des dépenses.
 "Nous avons toujours dit que sur ces contrats, il faudrait privilégier la souplesse et l'évaluation. Y a-t-il des choses à corriger, à assouplir ? Oui. On regardera, ça se renégocie", a assuré Sébastien Lecornu. La clause de revoyure évoquée avant le remaniement reste donc d'actualité. Et le ministre d'ajouter au passage : "Je souhaite que les départements qui n'ont pas signé rentrent petit à petit dans le dispositif."
 Sébastien Lecornu a en outre fait savoir que la nuit précédente à l'Assemblée nationale, lors de l'examen des crédits de la mission "RCT" du projet de loi de finances, il avait accepté l'adoption d'un amendement en vertu duquel les préfets ne pourront pas accorder de bonification aux seuls départements signataires d'un contrat pour l'attribution de la nouvelle dotation de soutien à l'investissement départemental (DSID) venant remplacer la dotation globale d'équipement (DGE) des départements (lire notre article de ce jour sur cet examen du PLF). Cette bonification était considérée par certains comme une "carotte" représentant "un moyen de chantage" pour contraindre les collectivités à contractualiser.

Loi Notr : régler les "irritants"

Autre terrain sur lequel Sébastien Lecornu promet des assouplissements : la loi Notr. Un sujet important pour les présidents de départements, qui n'ont de cesse de regretter les verrous posés par cette loi en termes de compétences. "Dans le champ de l'insertion, le lien avec les employeurs est évidemment essentiel. Or la loi Notr nous a bridés. Mais j'en fais fi au quotidien. Nous devons absolument récupérer l'économie de proximité", a par exemple témoigné Frédéric Bierry, président du Bas-Rhin. "La loi Notr a aussi laissé des secteurs en carence", complète Dominique Bussereau, insistant sur la nécessité de "correctifs législatifs et réglementaires".
 Le ministre en convient : "La loi a créé des irritants qu'il faut régler", citant le cas de la Normandie où "des politiques départementales ont dû s'arrêter et n'ont toujours pas été reprises par la région". Il compte donc bien "avancer là-dessus". Et a d'ailleurs adressé une circulaire aux préfets les invitant à faire remonter les difficultés constatées sur le terrain. En sachant que l'ADF a elle-même déjà fourni à l'exécutif "des tableaux" listant les "points d'amélioration" attendus.

Réforme fiscale : "Tout est ouvert"

Les élus ont forcément interrogé les ministres sur la future réforme fiscale, réitérant leur opposition totale à tout transfert de la part départementale du foncier bâti, transfert qui leur ferait perdre tout lien fiscal avec les citoyens et toute autonomie fiscale.
 Là-dessus, on saura peu de choses. Rappelant que ce transfert avait été l'une des options posées par le rapport Richard-Bur, Jacqueline Gourault a simplement déclaré : "On en rediscutera, ce n'est pas abouti. Le sujet de l'indépendance financière est vieux comme le monde. On peut imaginer des partages d'impôts nationaux. Tout est ouvert…" À titre personnel, en tant qu'ancienne élue communale, elle considère toutefois qu'"un même impôt partagé entre plusieurs niveaux de collectivités, comme l'est le foncier bâti, n'est pas toujours lisible pour les citoyens". Et tandis que les élus départementaux se prévalaient du soutien du président de l'Association des maires de France qui, intervenant la veille au congrès de l'ADF, assurait qu'il n'était pas demandeur du foncier bâti des départements… la ministre a rappelé que telle n'avait pas toujours été la position de l'AMF.

Métropoles : "On respectera la double volonté locale"

Une deuxième motion de l'ADF, également adoptée vendredi à l'unanimité, était centrée sur l'enjeu des métropoles, pour demander au gouvernement "d’abandonner définitivement les projets de fusion forcée des départements et leurs métropoles respectives comme cela a été évoqué dans les Alpes-Maritimes, la Haute-Garonne, la Gironde, la Loire-Atlantique et le Nord". L'argument est connu : "La capacité des métropoles à entraîner les territoires qui les entourent dans une dynamique positive n’est pas automatique. À l’inverse, le département est le garant des équilibres de redistribution des richesses vers les territoires périphériques et ruraux. Les fusions envisagées risquent d’entraîner un développement territorial à deux vitesses (…), ainsi qu’une distension du lien entre citoyens et acteurs publics locaux par la perte d’identité territoriale."
 "Sur la forme, le fait que les présidents des cinq métropoles soient reçus en secret à l'Élysée, nous l'avons perçu comme du mépris ; sur le fond, pourquoi vous entêtez-vous alors que les cinq présidents de départements concernés sont contre ?", a lancé Philippe Grosvalet, président de la Loire-Atlantique.
 Reconnaissant une "maladresse" sur la forme, Jacqueline Gourault a rappelé la teneur de l'engagement présidentiel il y a un an au congrès des maires : "Là où il y aura volonté locale de fusion, nous l'accompagnerons." Ce qui l'a déjà amenée à faire savoir que rien ne se fera pour Nantes et Lille. Pour les trois autres territoires, "on respectera la double volonté locale". Mais que faire à Toulouse où les élus de la métropole ont adopté jeudi une motion en faveur d'une fusion avec la Haute-Garonne, "peut-on ne pas en tenir compte ?", s'est-elle interrogée.

"Enjamber l'urgence"

Quelques élus, à l'instar de Stéphane Troussel, le président de la Seine-Saint-Denis, ont jugé la motion de l'ADF sur le financement du social beaucoup trop "tiède" par rapport à l'ampleur des enjeux, notamment sur le RSA. Et l'élu de témoigner : "Dans mon département, qui est à la fois l'un des plus créateurs d'emplois et l'un de ceux qui comptent le plus grand nombre d'allocataires, nous multiplions les initiatives en matière d'insertion professionnelle. Mais ce n'est pas assez. J'y consacre 25 millions d'euros, alors que le versement du RSA me coûte 500 millions d'euros. Il faut changer de braquet ! Il faut comprendre que des territoires entiers sont désespérés. Ce que vous avez mis sur la table ne suffira en aucun cas à régler ces questions." Applaudissement nourris dans la salle. "Nous représentons les territoires et les citoyens les plus fragiles. Pouvons-nous espérer un accord raisonnable et responsable ?", a de même demandé François Durovray, son collègue de l'Essonne, qui regrette toujours le "retrait" de l'accord trouvé en juin dernier avec Édouard Philippe.
 Sébastien Lecornu assure connaître les difficultés. "Ce n'est pas en quelques jours que l'on va résoudre ce qui est latent depuis des années. On part de loin. Les propositions contenues dans notre courrier sont simplement là pour enjamber l'urgence." Et Jacqueline Gourault d'ajouter : "Les négociations doivent se poursuivre. C'est bien notre intention."

 

Agence nationale de la cohésion des territoires : l'incompréhension

 Jacqueline Gourault avait, la veille de sa venue à Rennes, participé au Sénat à la discussion en séance de la proposition de loi portant création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) (lire notre article de ce jour). Si elle n'a pas abordé ce sujet devant les élus départementaux, une chose est sûre : ceux-ci manquent d'explications sur ce projet.
 "Suite au vide laissé par la disparition de l'ingénierie de l'État, 70 départements ont mis en place une offre d'ingénierie formalisée", entre autres par un apport en aide technique en faveur des communes, a rappelé Jean-Léonce Dupont, président du Calvados. Celui-ci a également souligné que la loi Notr leur confie cette compétence et a d'ailleurs indiqué qu'un décret d'application de cette même loi, relatif à l'assistance technique fournie par les départements aux communes et intercommunalités, a récemment été soumis au Conseil national d'évaluation des normes et le sera bientôt au Conseil d'État… Alors, "plutôt que de réinventer les choses, pourquoi ne pas plutôt développer pleinement les agences départementales d'ingénierie ?", s'est-il interrogé.
 Son homologue du Finistère, Nathalie Sarrabezolles, dont le département a mis sur pied l'établissement public "Finistère ingénierie assistance", qui "fonctionne très bien, a su s'adapter à la montée en puissance des EPCI, fait appel en tant que besoin à d'autres acteurs du territoire tels que le CAUE ou les services d'eau et d'assainissement"… a même perçu l'annonce de la création de l'ANCT "comme une provocation". "J'espère que cela ne viendra pas perturber notre organisation", soupire-t-elle. L'ANCT ne sera pas là pour "défaire ou concurrencer ce qui existe", avait assuré la semaine dernière Jacqueline Gourault en commission au Sénat. | Le 9 novembre, clôture du 88e congrès ADF avec de gauche à droite, Jean-Luc Chenut, Dominique Bussereau, Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu

 

 

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