Gouvernement Bayrou : des décrets d'attribution sans grande surprise
C'est fait. Une bonne quinzaine de jours après leur nomination, les membres du gouvernement Bayrou ont leurs décrets d'attribution. Ceux-ci ont été publiés ce 9 janvier au journal officiel. Du moins une partie d'entre eux. Pour l'heure en effet, seuls les ministres de plein exercice et leurs ministres "chargés de" sont concernés. Pas de décret, donc, du moins pas encore, pour les ministres délégués. Globalement, pas de grande surprise dans les attributions et donc dans les périmètres des uns et des autres. Ce que l'on peut retenir des décrets concernant les principaux interlocuteurs du monde local, à commencer par François Rebsamen.
Le grand retour de l'aménagement du territoire ?
François Rebsamen est "le" Monsieur Collectivités du gouvernement Bayrou. Les choses étaient claires au vu de l'intitulé de son portefeuille : ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation. Elles le sont davantage encore à la lecture du décret décrivant ses attributions. Un décret qui englobe les champs confiés aux quatre ministres ou ministres délégués qui l'entourent, à savoir Valérie Létard pour le logement, Philippe Tabarot pour les transports, Françoise Gatel pour la ruralité et Juliette Meadel pour la politique de la ville (ces deux dernières étant ministres déléguées, pas de décret les concernant). L'élu dijonnais est ainsi "responsable du dialogue national avec les collectivités territoriales, des politiques de développement, d'équilibre et d'aménagement de l'ensemble du territoire national, de cohésion économique et sociale des territoires, de promotion de leur attractivité et de leur développement économique, des politiques de la ruralité et de la ville, du logement, du renouvellement urbain, de la construction, de l'urbanisme et de l'aménagement foncier, des mobilités, des transports et de leurs infrastructures et de l'équipement". Un très gros ministère donc. En sachant que le premier volet développé par le décret est bien l'aménagement du territoire. Lorsque Catherine Vautrin avait été nommée ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation dans le gouvernement Barnier, ce volet avait été moins développé et on parlait d'ailleurs alors de "cohésion des territoires". Cette fois, outre tout ce qui relève d'un "aménagement équilibré du territoire national", l'accent est mis sur "l'accès des usagers aux services publics" (avec, notamment, France services), sur le numérique (infrastructures, accès, inclusion), sur les "instruments contractuels"… et sur la "sobriété foncière". Le ZAN, c'est lui. Certes en lien avec sa collègue de la Transition écologique (voir plus bas).
S'agissant des "relations avec les collectivités", c'est bien François Rebasmen qui "a autorité" sur la direction générale des collectivités locales (DGCL). Le fait que cette direction ne dépende plus du ministère de l'Intérieur est certes devenu une constante. Le ministre "anime le dialogue national avec les collectivités", prépare les dispositions finances locales avec bercy (voir plus bas), s'intéresse naturellement aux compétences des collectivités, ainsi qu'à la fonction publique territoriale avec Laurent Marcangeli, le ministre de la Fonction publique (voir plus bas).
Vient le volet "logement, construction, urbanisme et aménagement foncier", dont le descriptif colle en très grande partie au contenu du décret d'attribution de Valérie Létard. Rien que du très classique : construction et rénovation, mobilisation du foncier public, logement social, aides au logement, hébergement, planification urbaine, règles d'urbanisme… S'y ajoute la politique de la ville confiée à Juliette Méadel, dans toutes ses dimensions (pas uniquement rénovation urbaine) et la ruralité avec Françoise Gatel.
Enfin, côté transports, là non plus pas de surprise pour François Rebsamen et Philippe Tabarot : transports ferroviaires et routiers, aviation, réseau routier, intermodalité… ce sont bien tous les transports. Y compris, en lien avec d'autres ministres, les dossiers liés aux ports, au transport maritime, à la réglementation sociale ou à la décarbonation.
Les finances locales à quatre mains
Sur les six ministres qui constituent désormais le pôle de Bercy, trois décrets d'attribution seulement sont parus : celui du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, l'ex-directeur général de la Caisse des Dépôts Eric Lombard, qui succède à Antoine Armand, secondé par Marc Ferracci, ministre chargé de lndustrie et de l'Energie, reconduit dans ses fonctions, et d'Amélie de Montchalin affectée aux Comptes publics, et qui effectue un retour en grâce (après avoir occupé trois ministères lors du premier mandat d'Emmanuel Macron).
La "souveraineté industrielle" fait son retour dans le portefeuille d'Eric Lombard au moment où la "réindustrialisation" bat de l'aile. Par ailleurs, le ministre "élabore et met en œuvre les règles relatives aux finances locales, conjointement avec le ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation". De fait, les finances locales ne figurent pas dans les attributions d'Amélie de Montchalin. Eric Lombard est aussi responsable de la politique de l'énergie et a autorité sur la direction générale de l'énergie et du climat. Une autorité qu'il exerce conjointement avec la ministre de la Transition écologique pour ce qui est des émissions de gaz à effet de serre, de l'adaptation au changement climatique et de la qualité de l'air, et avec le ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation concernant les règlementations techniques des véhicules. Mais beaucoup de ses attributions (industrie, énergie restructurations d'entreprises, renforcement des chaînes de valeurs et d'approvisionnements critiques, communications électroniques, infrastructures numériques, matières premières et mines) seront déléguées à Marc Ferracci, cet intime d'Emmanuel Macron qui rempile mais avec un périmètre plus large incluant l'énergie, comme c'était déjà le cas pour Roland Lescure.
Trois décrets d'attribution restent en attente, ceux des ministres délégués Véronique Louwagie (Commerce, Artisanat, PME et ESS), Clara Chappaz, qui conserve l'Intelligence artificielle et le Numérique et Nathalie Delattre (Tourisme).
Transition écologique : l’énergie en moins, la forêt et la mer en plus
Au terme du décret d'attribution publié ce 9 janvier, le champ d’action d’Agnès Pannier-Runacher, hier ministre "de la Transition écologique, de l’Energie, du Climat et de la Prévention des risques" et désormais ministre "de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche", n’évolue qu’aux marges. Mais il y a ce qu’on voit – qui peut être trompeur – et ce qu’on ne voit pas.
Ainsi, si le climat et la prévention des risques – une première qui n’aura guère duré – disparaissent du fronton du ministère, Agnès Pannier-Runacher reste bien chargée du climat, et singulièrement de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la décarbonation. Elle "continue à être la ministre des COP climatiques", note son cabinet. Et il en va de même de la prévention des risques, qui reste dans son portefeuille.
Pas de changement également côté biodiversité. Si cette dernière fait son apparition dans le libellé du ministère, c’est une responsabilité que la ministre portait déjà précédemment. "C’est un statu quo", souligne son cabinet, en précisant que "l’inscrire dans l’intitulé du ministère vise à montrer que c’est une priorité dans cette année qui s’ouvre", au cours de laquelle se tiendra notamment "la partie 2 de la COP 16 de Cali sur la biodiversité" (la première partie n’ayant guère été concluante).
À l’inverse, Roquelaure perd bien, derechef, l’énergie, qui retourne donc à Bercy comme sous Gabriel Attal. "La production d’énergie seulement", indique le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, en affirmant que "tous les sujets d’efficacité énergétique, et de donc de décarbonation - MaPrimeRenov’, les bonus écologiques…" restent dans le giron du ministère. La frontière est toutefois sinueuse, puisque le décret dispose que le ministre de la Transition écologique "est associé" par le ministre de l’Economie "aux politiques d’efficacité énergétique, notamment de certificats d’économie d’énergie et de marchés carbone". "Ce sont des sujets qui ont des impacts fiscaux qui ne sont pas du tout neutres", justifie le cabinet. Concrètement, si le ministère conserve l’autorité sur la direction générale de l’énergie et du climat, cette autorité s’exercera "conjointement" avec le ministre de l’Aménagement du territoire et le ministre de l’Economie, précise le texte. Logiquement, c’est désormais Marc Ferracci qui animera désormais "l’Alliance du nucléaire".
Autre exception mise en avant par le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, "on reste associé à l’éolien en mer en tant que moyen de production d’énergie, puisque le ministère de la mer est le ministère ensemblier pour la planification de l’espace maritime". Précédemment confiées au ministre du Partenariat avec les territoires et la décentralisation, la mer et la pêche retrouvent en effet le ministère de la Transition écologique, comme sous le gouvernement Attal – mais sans ministre délégué cette fois. C’est Agnès Pannier-Runacher qui sera ainsi à l’œuvre lors des prochaines négociations internationales en matière de pêche, ou qui sera en première ligne lors de la troisième conférence des Nations unies pour l’océan qui sera organisée à Nice en juin prochain (v. notre article du 30 septembre).
Last, but not least, le ministère de la Transition écologique est désormais chargé de la forêt. "On devient le ministère coordonnateur en lieu et place du ministère de l’Agriculture", souligne le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, en relevant que Roquelaure a désormais la charge "des deux principaux puits de carbone : la mer et la forêt". Le décret dispose très précisément que le ministère est chargé, en associant le ministère de l’Agriculture, de "la filière bois et la politique de gestion durable des forêts, en vue, notamment, de contribuer à la lutte contre le changement climatique et à l’adaptation de ses effets, ainsi que [de] la politique en matière d’industrie forestière". À ce titre, il dispose désormais, pour ces attributions, de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises et du secrétariat général du ministère de l’agriculture. Dans le détail, c’est notamment Roquelaure qui est chargé de la politique relative à l’équilibre entre les usages de la biomasse.
Enfin, s’agissant de l’épineux sujet de la sobriété foncière, la situation semble inchangée. Si le décret dispose que le ministère de la Transition écologique "promeut une consommation durable et la sobriété foncière, environnementale et énergétique", c’est bien au ministre de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation qu’échoit la définition "des règles en matière de sobriété foncière, et notamment de la lutte contre l’artificialisation des sols et d’étalement urbain", même si c’est "en lien avec le ministre de la Transition écologique".
Les ministères sociaux de nouveaux regroupés
Le pôle des ministères sociaux que retrouve Catherine Vautrin englobe le même large périmètre qu'elle occupait au sein du gouvernement Attal : ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités… et, désormais aussi, des Familles. Astrid Panosyan-Bouvet reste chargée du Travail et de l’Emploi, Yannick Neuder est chargé de la Santé et de l’Accès aux soins et Charlotte Parmentier-Lecocq de l’Autonomie et du Handicap en tant que ministre déléguée.
Le décret d'attribution est relativement court mais a priori rien ne manque : travail, emploi, insertion professionnelle et économique ("notamment en matière de revenu de solidarité active"), apprentissage, formation professionnelle "des jeunes et des adultes", dialogue social, prestations sociales, prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, assurance vieillesse, santé publique, organisation du système de santé, sécurité sociale, solidarité, cohésion sociale, famille, parentalité et enfance ("notamment", est-il précisé, accueil de la petite enfance et protection de l'enfance), personnes âgées et perte d'autonomie, handicap, innovation sociale... Les décrets d'attribution d'Astrid Panosyan-Bouvet et de Yannick Neuder apportent peu d'informations supplémentaires, hormis quelques précisions côté santé ("promotion de la santé, actions de santé publique, prévention, organisation du système de santé et accès aux soins, santé mentale et lutte contre les conduites addictives, santé environnementale").
Les "Beauvau" vont reprendre
Reconduit dans ses fonctions place Beauvau, Bruno Retailleau ne voit pas de grand changement dans ses attributions. Comme précédemment, l'Outre-mer fait l'objet d'un ministère de plein exercice confié à l'ancien Premier ministre Manuel Valls qui aura fort à faire avec la situation à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, et sur le thème de la "vie chère". On relèvera aussi que la lutte contre les discriminations ne figure plus dans les attributions de Bruno Retailleau. Il se voit désormais secondé par l'ex-ministre de l'Outre-mer François-Noël Buffet. Le maire de Valence Nicolas Daragon ne sera resté que trois mois au service de la "sécurité du quotidien", le temps de relancer le "Beauvau de la sécurité civile" et le "Beauvau des Polices municipales" (voir nos articles du 21 novembre et du 25 novembre). Ces deux concertations "vont être reprises", assure le cabinet du nouveau ministre. L'intitulé de la sécurité du quotidien disparaît, François-Noël Buffet étant simplement "ministre auprès du ministre d'Etat ministre de l'Intérieur". D'ailleurs son décret d'attribution est particulièrement laconique : il est amené à traiter "par délégation du ministre de l'Intérieur, de toutes les affaires que le ministre de l'Intérieur lui confie". Son périmètre devrait cependant rester peu ou prou le même, puisque son cabinet avait récemment fait savoir à AEF info qu'il serait chargé de l’administration territoriale de l’État, de la sécurité civile, de la prévention de la délinquance, de la sécurité locale de la sécurité privée et qu'il s'attellerait à "l’allègement des procédures" et au "traitement automatisé des AFD".
Fonction publique... et "transformation de l'Etat"
L'intitulé du ministère confié à Laurent Marcangeli change peu par rapport à celui de son prédécesseur Guillaume Kasbarian : il est ministre "de l'Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification". Les trois items sont identiques, même s'ils n'apparaissent pas dans le même ordre. Et le contenu du décret d'attribution est lui aussi à peu près identique. La "politique de simplification administrative et de transformation de l'Etat" arrive en tête, qu'il s'agisse de transformation numérique, d'efficacité des services publics, de simplification des démarches ou d'accès aux services publics (en lien avec François Rebsamen). Sur la fonction publique, rien de saillant ou surprenant : "dispositions communes à l'ensemble de la fonction publique et celles spécifiques à la fonction publique de l'Etat", droits et obligations des fonctionnaires, "réforme de la gestion des ressources humaines dans les administrations publiques", rémunérations, égalité des carrières, "mixité sociale" dans la fonction publique…
Education, Culture, Sports : des périmètres quasi constants
En éducation, alors que le décret d'attribution d'octobre 2024 mettait en avant la volonté du gouvernement d'agir "en faveur de l'accès de chacun aux savoirs" et que celui de janvier 2024 mentionnait l'objectif "d'élever le niveau de formation de tous les élèves" et "de permettre l'épanouissement de tous les élèves", le nouveau texte est beaucoup plus concis : la ministre de l'Éducation nationale "prépare et met en œuvre la politique du gouvernement relative à l'enseignement préélémentaire, élémentaire, secondaire et supérieur". Le grand changement est le retour de l'enseignement supérieur et de la recherche dans les attributions d'Élisabeth Borne. La nouvelle ministre agira désormais dans le domaine de la vie étudiante, mais aussi dans le domaine de l'espace, de la recherche, de la technologie et de l'innovation.
Les attributions de Rachida Dati, ministre de la Culture et de la Communication, restent inchangées, notamment en ce qui concerne la volonté d'encourager les initiatives culturelles locales et de développer les liens entre les politiques culturelles de l'État et celles des collectivités territoriales.
Aux Sports, le périmètre d'intervention de Marie Barsacq reste identique à celui de Gil Avérous, son prédécesseur, à savoir les sports mais aussi la jeunesse et la vie associative. On remarque toutefois, comme en octobre 2024 mais contrairement à janvier 2024, l'absence de l'héritage de Paris 2024 dans le décret d'attribution. La nouvelle ministre était pourtant chargée de ce dossier au Cojo, et l'héritage des Jeux commence à soulever des inquiétudes chez les élus locaux. Le Service national universel est lui aussi de nouveau absent des attributions de la ministre. Sa généralisation annoncée il y a un an semble donc être repoussée aux calendes grecques. En revanche, les Jeux d'hiver de 2030, qui auront lieu dans les Alpes françaises, sont mentionnés pour la première fois.