Déconfinement : les élus locaux saluent la logique choisie et attendent certaines clarifications
Édouard Philippe et plusieurs ministres ont échangé ce mercredi matin avec les associations d'élus locaux suite au plan de déconfinement présenté la veille à l'Assemblée. Un dialogue jugé constructif. Le choix d'un "cadre national, souple, progressif, adapté aux spécificités des territoires" semble convenir aux élus. Leurs attentes de précisions et leurs propositions ont notamment porté sur la forme du dialogue maire-préfet, la responsabilité des maires, les masques, le retour à l'école, les transports, les "brigades" de traçage des cas-contacts... et les moyens pour soutenir leurs actions.
Au lendemain de sa présentation à l'Assemblée nationale de la stratégie nationale de sortie du confinement (voir notre article), Édouard Philippe a comme prévu échangé ce mercredi 29 avril en visioconférence avec les associations d'élus locaux. Il était entouré des ministres Élisabeth Borne, Christophe Castaner, Bruno Le Maire et Jean-Michel Blanquer. Côté associations d'élus, toutes étaient représentées par leurs présidents – AMF, ADF, Régions de France ainsi que, pour le bloc local, ADCF, France urbaine, Villes de France, APVF, maires ruraux.
Il ne s'agissait pas pour le Premier ministre de livrer d'éléments nouveaux mais plutôt de mettre l'accent sur l'un des grands principes du plan de déconfinement : "L'État fixe le cadre général mais la déclinaison sur le terrain sera à la main des collectivités locales", tel que le résume le président de l'Assemblée des communautés de France, Jean-Luc Rigaut. Avec, en filigrane, un message : "Cela ne fonctionnera que si tout le monde joue le jeu" au niveau local. Le chef du gouvernement aurait à ce titre donné un exemple, celui des tests de dépistage. La doctrine nationale exposée hier à l'Assemblée est de tester les personnes symptomatiques ainsi que les personnes ayant été en contact avec elles. Le nombre de 700.000 tests par semaine a été calibré sur cette base. Or si tel ou tel exécutif local devait par exemple vouloir que toutes les entreprises de son territoire dépistent leurs salariés avant la reprise du travail, la jauge ne tiendrait plus.
Rouge ou vert ?
Édouard Philippe serait aussi revenu sur la dichotomie entre départements "rouges" et "verts" qui sera établie le 7 mai et évoluera ensuite. Il avait listé mardi les critères pour dessiner cette carte de France : nombre de cas, capacités hospitalières en réanimation en cas d'aggravation de la situation sur le territoire, système local de tests et de détection des cas. Mais il apparaît aussi qu'une part de l'évaluation devrait être laissée à l'appréciation des préfets qui jugeront entre autres de la façon dont la population du territoire respecte les règles en vigueur.
Dans les zones rouges, "il y aura la possibilité d'aller fermer si nécessaire des écoles, d'aller fermer si nécessaire un certain nombre de commerces, de lieux extérieurs", a expliqué mercredi sur Franceinfo le ministre de la Santé, Olivier Véran. "Dans les départements rouges, toutes les communes ne sont pas affectées de la même façon", a pour sa part expliqué Édouard Philippe mercredi lors des questions au gouvernement à l'Assemblée, dans la foulée de sa visioconférence avec les élus locaux, en insistant sur "l'esprit du partenariat entre les élus locaux et les acteurs de terrain". "Donc il y aura des départements verts, des départements rouges, mais il y aura partout une discussion intense, précise, confiante, pour prendre les bonnes mesures", a-t-il encore souligné.
"On voit bien quels peuvent être les départements dans le rouge aujourd'hui, que l'ouest et le sud de la France ont été moins touchés. Après, ce sera une forme d'autodiscipline. Si, en effet, dans un département, par exemple à l'occasion de weekends touristiques, l'effort se relâchait et que de nouveaux cas arrivaient, on passerait de l'autre côté de la barrière. Cela me semble être un système assez juste même si (…) ce sera une ligne de démarcation parfois dure à comprendre et à encaisser", a commenté sur Europe 1 Dominique Bussereau, le président de l'Assemblée des départements de France, ce mercredi matin (avant la visioconférence).
Le Premier ministre "a répondu à la plupart" des demandes
Dans l'ensemble, les associations d'élus semblent adhérer à la ligne choisie par le gouvernement. "L'exposé était clair, c'était censé", a jugé Dominique Bussereau. Dès mardi soir, l'Association des maires de France et France urbaine mettaient l'accent dans un communiqué commun sur cette organisation centrée autour des préfets et des maires et sur la place laissée aux "adaptations locales". Elles se disaient également "favorables au caractère nécessairement progressif de la sortie du confinement".
À l'issue de la réunion à distance mercredi, Christophe Bouillon, le président de l'Association des petites villes (APVF), faisait lui aussi part d'une "satisfaction globale" vis-à-vis de ce "cadre national, souple, progressif, adapté aux spécificités des territoires". Quant à Régions de France, l'association considère que le Premier ministre "a répondu à la plupart" de ses demandes. Elle confirme entre autres que les régions sont prêtes à jouer leur rôle "pour accompagner l’approvisionnement en masques du tissu économique et tout particulièrement les TPE", comme l'a souhaité Édouard Philippe, et se félicite "que des règles claires aient été données pour les activités sociales, sportives et culturelles, même si le coût économique sera élevé".
L'échange de mercredi matin s'est déroulé "dans une ambiance positive, constructive" de toutes parts, témoigne auprès de Localtis le directeur de l'ADF, Pierre Monzani, qui y participait aux côtés de son président. L'heure n'est clairement pas aux complaintes ou aux atermoiements.
La conférence des maires, possible lieu de dialogue avec l'État déconcentré
Tout cela n'empêche évidemment pas les questions, attentes de précisions et propositions. Y compris sur le fameux couple maire-préfet qui est mis en avant depuis plusieurs semaines par l'exécutif. Sur le papier, le modèle a tout pour plaire et les élus locaux témoignent souvent du fait que les relations avec les préfets se passent plutôt bien. Christophe Bouillon a toutefois tenu à attirer l’attention du Premier ministre sur "la nécessité que se mette en place dans chaque département un vrai dialogue entre les préfets et les maires, ce dialogue ne devant pas se faire sur le mode 'l’Etat décide, les maires exécutent'".
Interrogé par Localtis, Jean-Luc Rigaut rappelle quant à lui que sur certains territoires, concrètement, un préfet aurait à dialoguer avec "300 ou 400 maires"… D'où sa proposition formulée ce mercredi à l'adresse du gouvernement : à l'échelle des bassins de vie qui est la leur, les intercommunalités pourraient être le bon "outil" de ce dialogue. Notamment dans toutes les intercommunalités disposant d'une conférence des maires, celle-ci serait "un bel endroit" pour réunir les maires et le sous-préfet.
Le besoin de clarification porte aussi sur "la responsabilité des maires en matière sanitaire", a insisté François Baroin, le président de l'AMF. Christophe Bouillon a en outre proposé un "élargissement des pouvoirs de police spéciale des maires (…), notamment pour réguler les flux de population sur certains territoires". "Ces dernières semaines, les tribunaux administratifs ont considérablement réduit la marge de manœuvre des maires qui entendaient réglementer les déplacements", constate-t-il, considérant par conséquent que "la loi doit être adaptée pour conférer aux maires des pouvoirs spéciaux, sous le contrôle du juge, d’encadrement des déplacements aux fins de prévention de la propagation de l’épidémie".
La prise en charge à 50% du coût des masques sera rétroactive
Les attentes de clarification concernent bien sûr également des questions spécifiques, à commencer par celle du retour à l'école (voir aussi notre article éducation de ce jour). L'AMF et France urbaine évoquent ainsi à la fois la nécessaire réaffirmation de l'instruction obligatoire dans le contexte de "volontariat" des familles, la prise en compte des limites liées à la configuration des locaux et à la disponibilité des personnels, "la prise en charge financière par l’État des surcoûts liés au déconfinement et à la fourniture du matériel nécessaire", "la responsabilité pénale des collectivités en tant qu’employeurs et en tant que structures accueillantes"…
Quant aux régions, elles attendent qu'une réunion se tienne rapidement avec Jean-Michel Blanquer sur la question des lycées afin d'"évaluer le sens d’une réouverture aussi proche de la fin de l’année scolaire" (la décision de rouvrir ou pas les lycées début juin doit être prise fin mai).
Le ministre de l'Éducation est par ailleurs revenu sur la question des cantines, précisant par exemple que si le Conseil scientifique avait préconisé que les repas se prennent en salle de classe, chaque élève à sa table, il ne s'agissait que d'une "indication" à adapter là encore localement si les espaces de restauration scolaire le permettent.
Dominique Bussereau a pour sa part interrogé le Premier ministre sur le volume des enveloppes dont disposeront les préfets pour aider les plus petites collectivités à équiper leurs agents de masques, pour en fournir aux personnels et à certains élèves des collèges et pour en distribuer aux publics précaires.
S'agissant des masques, le fait qu'Édouard Philippe ait annoncé mardi que l'État prendrait dès maintenant en charge 50% du coût des masques achetés par les collectivités a été apprécié. "Sauf que nos commandes, les départements les ont passées depuis deux ou trois semaines", a rappelé Dominique Bussereau. "Ne pas prendre en charge ces commandes-là, c'eût été punir les bons élèves", souligne Pierre Monzani. Les petites villes aussi ont-elles aussi relevé qu'un grand nombre de communes ont "effectué des achats de masques ces dernières semaines". Ce point a visiblement été entendu… puisque le Premier ministre a annoncé quelques heures plus tard au Sénat, lors des questions au gouvernement, que la mesure serait rétroactive (avec rétroactivité au 13 avril, jour de l'annonce de la date du 11 mai par Emmanuel Macron).
"Brigades" : les personnels des départements en possible renfort
Les élus ont aussi abordé la question des transports (voir notre article de ce jour). À savoir, pour les régions, les TER, transports scolaires et transports inter-régionaux. Des régions qui attendent notamment des précisions sur "la nature des limitations des flux interrégionaux, voire interdépartementaux". Du côté de l'ADCF, Jean-Luc Rigaut estime que la gestion des transports interurbains devrait peu ou prou pouvoir s'adapter aux nouvelles règles. Pour les "transports de proximité", notamment les bus, les choses seront en revanche "plus difficiles", dit-il, préconisant par exemple la mise à disposition (et l'usage obligatoire) de gel hydroalcoolique lors de la montée des passagers à l'avant du bus.
S'agissant des "brigades" de traçage des cas-contacts dont Édouard Philippe avait présenté mardi les contours, Dominique Bussereau a indiqué que les départements étaient prêts à faire appel à certains de leurs personnels pour venir les étoffer. S'il reviendra à chaque département de déterminer quels personnels pourraient être mobilisés, Pierre Monzani évoque par exemple les professionnels du social effectuant habituellement des visites au domicile des familles ou les agents des routes dont l'activité est moindre actuellement. "Nous avons des hommes et nous avons des véhicules", explique-t-il.
Par ailleurs, l’AMF et France urbaine attendent des précisions "sur le rôle à jouer par les communes dans le plan d’accompagnement des personnes placées à l’isolement" (en hôtel notamment) suite au travail de repérage de ces brigades et au dépistage.
Lancer un "plan d'accompagnement social"
Plus globalement, Christophe Bouillon a mis l'accent sur "l’importance des moyens humains, matériels et financiers que doivent déployer les collectivités locales dans le cadre des mesures de déconfinement" et attend d'être rassuré quant aux "mesures de compensations financières" qui seront prises, lançant l'idée d'une "dotation Covid".
Enfin, des interrogations demeurent concernant les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration, tant du côté des villes que des régions, ces dernières regrettant qu'une réouverture avant le 2 juin n'ait pas été prévue dans les départements "verts".
Car évidemment, au-delà du processus même de déconfinement, les élus ne perdent pas un instant de vue le marasme économique qui gronde dans nombre de secteurs. "État, régions, intercommunalités, tous travaillons bien avec le ministre de l'Économie", témoigne Jean-Luc Rigaut. Qui alerte toutefois sur une chose : au-delà des mesures en faveur des entreprises (fonds de solidarité, etc.) il faut "lancer tout de suite un vaste plan d'accompagnement social" en faveur des publics les plus fragiles avec, notamment, les départements. "Le chômage partiel risque pour certains de devenir un chômage complet", les services sociaux vont être extrêmement sollicités… "Il ne faut pas attendre que les problèmes les plus aigus arrivent, il faut dès à présent mettre en place une vraie action publique globale" à laquelle chaque niveau de collectivités pourra prendre part en fonction de ses compétences, plaide le président de l'ADCF. Et l'ADF parle elle aussi - tout comme Renaud Muselier l'aurait dit durant la réunion - de la nécessité d'un véritable "plan Marshall".