Déclin de l'élevage : les chambres d'agriculture en appellent à la commande publique
Chargées d'animer des débats dans le cadre du plan de reconquête de l'élevage, les chambres d'agriculture remettent la question de la commande publique et de l'étiquetage des viandes sur la table pour enrayer le déclin des filières.
Un mois après le lancement par le gouvernement d'un "plan de reconquête et de souveraineté de l'élevage" présenté à l'occasion du 32e Sommet de l’Élevage de Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme), les chambres d'agriculture - chargées d'organiser des "débats citoyens dans les territoires" - reviennent à la charge. "Au moment où tous les pays parlent de souveraineté alimentaire, l'interdiction d'un critère dans les appels d'offres publics est incompréhensible", a jugé Sébastien Windsor, le président des Chambres d'agriculture France, jeudi 16 novembre, lors de la présentation d'une étude actualisée sur la situation de l'élevage français. Dans cette étude, déjà publiée dans une première version en septembre (voir notre article), les chambres d'agriculture tirent le signal d'alarme. "Le déclin n'est pas nouveau, mais on constate une accélération ces dernières années" et il "touche la quasi-totalité des filières d'élevage", a déclaré Sébastien Windsor, lui-même éleveur porcin, en Normandie.
L'érosion du cheptel est de 6% pour les bovins en cinq ans, de 21% pour l'élevage porcin en 20 ans et de 50% pour les ovins en quarante ans. Une situation qui s'explique par l'ouverture des marchés mais aussi par un changement d'habitudes. En quarante ans, la consommation de viande a diminué de 15 kg par habitant. Un quart des Français se disent "flexitariens". Mais il y a aussi un report sur la viande de volaille (ou les œufs), qui a notamment l'avantage d'être moins chère. Sa consommation a doublé depuis 1980 passant de 16,7 et 28,3 kg par an et par habitant. Seulement ce marché de report est largement tiré par les importations. 80% de la volaille utilisée dans les sandwichs vendus en boulangerie est importée. Le taux est de 50% pour la restauration rapide et de 60% pour la restauration collective. Et cette concurrence est principalement intracommunautaire : les premiers fournisseurs de volaille sont la Pologne, la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne. "Cette évolution est d’autant plus inquiétante que d’autres pays se trouvent à l’inverse dans des phases de hausse de production, ce qui à terme risque de nous faire perdre des parts de marché à l’international", s'inquiètent les chambres.
"On n'a toujours pas défini ce qu'est un produit local"
Comme le prévoit le plan national, les chambres d'agriculture demandent un marquage systématique de l'origine des produits dans la restauration hors domicile, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. "Si le consommateur ne dispose pas de ces éléments, je ne vois pas comment avancer", s'insurge Sébastien Windsor, citant notamment l'exemple des "kebabs".
Quant à la commande publique, c'est un vieux débat. En 2015 déjà, les trois grandes associations d'élus (AMF, ADF et ARF) avaient exhorté le gouvernement à modifier le code des marchés publics pour favoriser l'approvisionnement local (voir notre article). Depuis rien n'a changé si ce n'est la loi Egalim du 30 octobre 2018 venue imposer un minimum de 50% de produits sous signes de qualité et d’origine dans les marchés publics, dont au moins 20% issus de l’agriculture biologique. Le plan prévoit qu'à compter du 1erjanvier 2024, la restauration collective propose "au moins 60% de produits de viande issus d’élevage durable ou sous signe officiel de qualité et d’origine (100% pour la restauration collective dépendant de l’État) : bio, indication géographique, labels rouges…" Les collectivités sont très demandeuses mais le dispositif n'est pas suffisant jugent les chambres d'agriculture car "on n'a toujours pas défini ce qu'est un produit local". De plus, la hausse des prix a eu un impact sur les approvisionnements, au détriment des produits locaux.
Pour Sébastien Windsor, le maintien de l'élevage est un "enjeu économique majeur" mais aussi un "sujet d'aménagement du territoire" et "environnemental" avec, en filigrane, la déprise de l'herbe, l'appauvrissement des sols et l'importation d'engrais minéraux… Un travail est cependant engagé avec le ministre de l'Agriculture sur les "aménités positives'" de l'élevage. Mais il faut aussi avancer sur "les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs", notamment les astreintes. "Travailler sept jours sur sept n'est plus acceptable aujourd'hui dans notre société, si on veut attirer des jeunes, des personnes non issues du milieu agricole…", souligne-t-il.
Discrédit
La tête de réseau s'inquiète aussi du climat actuel de "discrédit" envers l'élevage : émissions de gaz à effet de serre, pollution des eaux, mauvais traitements... Autant de griefs que les ONG sont promptes à formuler mais qui visent surtout à l'élevage industriel. Le déclin actuel "touche en priorité les petites et moyennes fermes, et nourrit l’intensification accrue de l’élevage", considèrent trois associations (Réseau action climat, Greenpeace France et France nature environnement) dans une lettre ouverte adressée au ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, le 14 novembre, lui demandant de "prendre des mesures pour faire évoluer les régimes alimentaires vers moins mais mieux de viande et les élevages vers un modèle plus durable".
Dans ce contexte, l'avenir s'inscrit en pointillé. "Les projections sur 2031 tablent sur une baisse ininterrompue, on aura du mal à stopper cette décapitalisation", prévient Thierry Pouch, responsable du service des études économiques de Chambres d'agriculture France. Les auteurs de l'étude se sont ainsi livrés à un exercice de prospective. Un scénario dit de "rupture" - qui reposerait sur l'application de la souveraineté alimentaire (stratégie européenne pour la viande, hausse des incitations à s'installer, repositionnement de la France…) - permettrait d'enrayer la spirale. Mais ce n'est pas le chemin pris par l'Union européenne. D'ailleurs, l'association a la malice de ressortir une étude prospective datant de 2004 qui ne voyait que des bienfaits dans l'élargissement de l'UE avec l'ouverture de nouveaux marchés pour les producteurs hexagonaux. Or c'est l'inverse qui s'est produit.
Les nouveaux élargissements prévus et la série d'accords de libre échange en cours de ratification sont un motif supplémentaire d'inquiétude pour les éleveurs français. Alors que les importations de volailles ukrainiennes ont explosé avec la suppression des droits de douane, le ministre Marc Fesneau revient d'une visite à Kiev où il s'est rendu, la semaine dernière, "pour réaffirmer plus que jamais le soutien indéfectible, dans le cadre européen, de la France à l’Ukraine dans le domaine agricole et agroalimentaire". Questionné sur le sujet au Sénat, mercredi, il s'est contenté d'une réponse de Normand. "Dans la perspective de l'ouverture des négociations d'adhésion, nous veillerons bien entendu à la convergence des modèles, et donc des contraintes qui en découleront pour l'agriculture ukrainienne, afin d'éviter les distorsions de concurrence trop fortes", a-t-il assuré. "Mesurez-vous le désarroi des agriculteurs français, pris en étau entre les normes européennes, l'ouverture à la concurrence et l'envolée du coût des intrants et de l'énergie ?", l'a interrogé la sénatrice Kristina Pluchet (Eure, LR). Ce mardi, le Parlement européen doit se prononcer sur l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. Selon le collectif Stop-CETA-Mercosur, il pourrait "conduire à importer sur 20.000 km des dizaines de milliers de tonnes de viande, lait, fromage, beurre, pommes, kiwis pourtant également produits sur le sol européen".