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Edition spéciale - De 2011 à 2012... les collectivités dans l'expectative

Un marathon budgétaire encore plus compliqué que d'habitude, des plans de rigueur, un changement de couleur au Sénat, une refonte de la carte intercommunale, des difficultés d'accès à l'emprunt, une aggravation de la situation des départements... Le contexte institutionnel et financier dans lequel les collectivités ont dû naviguer en cette fin 2011 ne manquait pas de brisants. Retour sur ces derniers mois orageux, avant la reprise de nos éditions quotidiennes début janvier. Un arrêt sur image décliné, au fil des articles de cette "édition spéciale", en quinze grandes thématiques.

Au moment où nous interrompons nos éditions quotidiennes pour une dizaine de jours, le Parlement mettait un point final au marathon budgétaire avec l'adoption définitive ce 21 décembre en fin de journée du projet de loi de finances (PLF) pour 2012 et du quatrième projet de loi de finances rectificatives (PLFR) pour 2011. Un exercice certes traditionnel, mais corsé cette année par un savant chassé-croisé entre ces deux textes. Pendant que l'un était à l'Assemblée, l'autre était au Sénat et vice-versa. Sachant que l'on trouvait des dispositions importantes pour les collectivités dans les deux, il y avait de quoi attraper un fâcheux torticolis. Sur le volet finances locales, on savait notamment que le nouveau fonds de péréquation des recettes communales et intercommunales (FPIC) était à suivre du côté du PLF, lequel contenait aussi une série d'autres mesures faisant entre autres suite à la suppression de la taxe professionnelle, sans oublier la réduction de 200 millions d'euros des concours de l'Etat aux collectivités. Le PLFR recelait lui aussi plusieurs dispositions de "revoyure" de la réforme de la fiscalité locale, notamment sur la cotisation foncière des entreprises (CFE), introduisait par ailleurs une réforme de la redevance d'archéologie préventive ainsi qu'une modification, en invitée surprise, des modalités de la taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE). Des nouveautés dans les champs de l'environnement et du logement étaient elles aussi présentes dans les deux textes : une ouverture pour la Teom incitative dans le PLF, un nouveau financement de la prévention des risques naturels littoraux dans le PLFR ; un resserrement de la niche Scellier dans le PLF, un "éco-PTZ collectif" dans le PLFR… "Avec les différentes mesures que nous avons prises ces dernières semaines, on n'y voit plus très clair, je suis le premier à le dire", devait même reconnaître le député Gilles Carrez, pourtant expert ès subtilités budgétaires. Un "record", relevait également le rapporteur général du budget, les parlementaires ayant examiné depuis fin août pas moins de quatre lois de finances, si l'on inclut le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le précédent collectif budgétaire. Le tout marqué par un contexte bien particulier, celui de la crise des finances publiques et de la traduction législative des deux plans de rigueur annoncés fin août et début novembre. Et puis un exercice supplémentaire, plus inédit encore, s'était invité dans la partie : le fait que chacune des assemblées détricote à peu près systématiquement ce que l'autre venait de voter.

Des Etats généraux de la démocratie territoriale

Cette nouveauté parlementaire - le changement de couleur du Sénat, intervenu trois jours avant la présentation du projet de budget - a évidemment constitué l'un des faits politiques marquants de l'automne au-delà même des volte-face en série sur les lois de finances. De toutes parts, dès le lendemain du scrutin du 25 septembre, ceux qui ont commenté les résultats ont mis en avant la spécificité d'un scrutin dont les électeurs ne sont autres que les élus locaux. Daniel Delaveau par exemple, le président de l'Assemblée des communautés de France, interviewé quelques jours plus tard par Localtis, considérait le changement de majorité sénatoriale comme le signe d'un "mécontentement général quant à la manière dont les élus locaux et les territoires sont traités". Avant même son élection à la présidence du Sénat, Jean-Pierre Bel avait d'ailleurs annoncé que l'une de ses "obligations" serait de "rénover le lien avec les élus locaux", notamment en organisant très rapidement des "Etats généraux" pour mettre en oeuvre un "acte III" de la décentralisation. Et Jean-Pierre Bel de citer comme d'autres, au titre des motifs de mécontentement de ces élus, le désengagement des services publics et de l'Etat, la réforme territoriale, la suppression de la taxe professionnelle et la perte d'autonomie fiscale qu'elle accompagne, une réforme de l'intercommunalité "faite au forceps".
Jean-Pierre Bel fut ensuite l'invité vedette de plusieurs grands rendez-vous d'élus, dont le Congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF) en octobre et celui de l'Association des régions de France (ARF) en novembre. Et reparlait alors de ces Etats généraux qu'il dut ensuite, fin novembre, se résoudre à reporter au printemps prochain, à la demande des groupes UMP et centriste. Finalement, la démarche est bel et bien engagée puisque le président du Sénat annonçait ce 20 décembre le lancement de la première phase, consultative, de ces "Etats généraux de la démocratie territoriale", afin de "recueillir la parole et les propositions des élus sur l'avenir des territoires". Un questionnaire a ainsi été élaboré à l'intention des 550.000 élus par un comité de pilotage présidé par Yves Krattinger et dans lequel sont représentés les différents groupes politiques du Sénat ainsi que les associations d'élus. Ce questionnaire anonyme est dès aujourd'hui accessible sur le site internet du Sénat (compter une trentaine de minutes pour y répondre) et le sera jusqu'au 22 février, date de clôture de la session parlementaire.

Initiatives sénatoriales

Parallèlement, la nouvelle majorité sénatoriale n'a pas manqué de marquer le virage en adoptant une série de propositions de loi à portée très symbolique - d'autant plus symbolique que ces textes devraient rester lettre morte côté Assemblée nationale. Dernière en date : la proposition de loi sur le repos dominical, qui tend à corriger la loi Mallié. Juste avant, il y a eu le fameux texte sur le droit de vote des étrangers aux élections locales. On a aussi vu passer une proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans afin de "protéger l'école maternelle", qui aura finalement été retirée après la discussion générale, le gouvernement ayant brandi l'article 40 de la Constitution (la proposition aurait entraîné une charge financière supplémentaire pour l'Etat - ce qui semble plutôt incertain, sachant que près de 100% des enfants de trois ans sont scolarisés...). Une arme fatale commode en période de cohabitation parlementaire.
Et surtout, à la mi-novembre, le Sénat adoptait la proposition de loi PS, signée Nicole Borvo Cohen-Seat, d'abrogation du conseiller territorial. Une longue nuit de débats rappelant forcément ceux d'il y a un an dans le même hémicycle. Des débats un peu déconnectés, aussi, du reste de l'actualité parlementaire, sachant qu'il s'agissait de supprimer un type de mandat électif qui n'existe pas encore (qui n'existera, le cas échéant, qu'à partir de 2014) et de voter un texte ayant bien peu de chances d'être inscrit à l'ordre du jour des députés. Certains sénateurs de droite, ainsi que le ministre Philippe Richert, n'ont pas manqué de s'interroger sur l'utilité de cette initiative. A gauche au contraire, d'aucuns ont jugé le débat "passionnant". Et ont souligné que ce texte arrivait dans la foulée d'un autre texte d'initiative sénatoriale... la proposition de loi Sueur sur l'intercommunalité.

De Jean-Pierre Sueur à Jacques Pélissard...

Cette proposition de loi Sueur, dont l'unique article initial était centré sur la préservation des mandats des délégués communautaires jusqu'en 2014, est devenue, au fil de la discussion, le réceptacle des mécontentements et des problèmes d'application suscités, sur le terrain, par le volet intercommunal de la loi de réforme des collectivités. En commission, les sénateurs avaient notamment adopté un nouveau processus de préparation et d'adoption des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) afin de "rendre le pouvoir aux élus locaux" et de donner plus de temps à la concertation. En séance, ils ont adopté d'autres amendements répondant aux préoccupations entendues au cours de l'automne avec, notamment, l'introduction d'une dose de souplesse quant au nombre maximum de vice-présidents d'une communauté ou bien encore la préservation des syndicats de communes compétents en matière scolaire, de petite enfance ou d'action sociale. Philippe Richert a fustigé "un démantèlement total de la loi de 2010". Et devait plus tard ajouter : "Nous aurions pu, nous aurions dû nous entendre sur la proposition de loi Sueur, mais elle a été dénaturée."
Sauf que dans le même temps, devant le souci le plus urgent des élus locaux, celui du calendrier pour l'adoption des SDCI, les propos gouvernementaux n'étaient guère éclairants. A plusieurs reprises, il leur a été dit qu'un peu de lest serait lâché pour "donner, partout où c'est nécessaire, davantage de temps à la concertation" (François Fillon, le 7 octobre). "Dans les départements où les blocages seraient insurmontables, on peut aller au-delà du 31 décembre 2011", répétait de même Philippe Richert à la mi-octobre lors de la convention nationale de l'ADCF. Sauf que selon les élus eux-mêmes, cet accord de principe sur la possibilité de dépasser la date butoir prévue par la loi, de même que les autres promesses de souplesse évoquées par le ministre, nécessiteraient une traduction législative. Si celle-ci ne passera pas par la proposition de loi Sueur, elle devrait finalement se concrétiser par la proposition de loi Pélissard…

Intercommunalité : la moitié des schémas adoptés ?

Intervenant fin novembre devant le Congrès des maires, le Premier ministre lui-même devait déclarait qu'il "veillerait" à ce que ce texte de Jacques Pélissard, le président de l'AMF, "visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale", soit "inscrit à l'ordre du jour du Parlement". Mais pour l'heure, on n'en trouve pas trace dans le calendrier de l'Assemblée, qui couvre tout le mois de janvier 2012. La commission des lois a simplement nommé son rapporteur, le député de l'Ain Charles de La Verpillière.
Jean-Pierre Sueur lui-même a d'ailleurs demandé il y a quelques jours "que la loi Pélissard soit inscrite début janvier au calendrier du Parlement". Selon lui, son texte et celui de Jacques Pélissard poursuivent les mêmes objectifs. "Si la PPL Pélissard est votée à l'Assemblée, on pourra la fusionner avec la PPL Sueur au Sénat puisqu'elles sont complémentaires. On pourra ainsi voter une loi très concrète avant le 23 février", fin de la session parlementaire, a expliqué à l'AFP le président de la commission des lois du Sénat, en demandant au Premier ministre de "tenir son engagement pris devant tous les maires". Sinon, prévient-il, "on aura un vide juridique". L'AMF elle-même vient tout juste d'adresser au chef du gouvernement un courrier, daté du 21 décembre, dans lequel elle rappelle "l'urgence" du dossier et redemande l'inscription prioritaire du texte pour une adoption avant la fin de la législature. Du côté des élus donc, tout le monde ou presque semble d'accord.
Selon les dernières données recueillies par l'ADCF, plus de la moitié des SDCI devaient être adoptés d'ici fin décembre. A la date du 15 décembre en effet, les schémas de 28 départements l'avaient été et une bonne vingtaine d'autres avaient de bonnes chances d'aboutir avant Noël lors de réunions conclusives. Mais "dans environ un quart des départements, l’adoption par la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI) du schéma est d'ores et déjà reportée de façon certaine à l'année 2012", constate l'association.

Accès au crédit : une situation préoccupante

Clairement, la refonte de la carte intercommunale a été l'un des grands sujets concrets de l'automne et continuera de l'être en 2012. En suscitant même parfois un "climat anxiogène", non pas parce que les acteurs locaux souhaiteraient forcément s'en tenir au statu quo mais parce que la réforme intervient en même temps que celle de la fiscalité locale qui, suite à la suppression de la taxe professionnelle, a fait basculer les collectivités dans un nouveau système de financement. Or les conséquences de ce chantier fiscal ne sont ni complètement stabilisées ni complètement maîtrisées. Alors, "bouger les périmètres quand les paramètres financiers ne sont pas maîtrisés, c'est forcément difficile", tel que le résume Daniel Delaveau. Le Congrès de l'AMF, par exemple, en a largement témoigné.
Si l'on considère que ce grand rassemblement annuel des maires représente un bon thermomètre des sujets de préoccupation du moment (voir notre dossier consacré à ce congrès), on aura constaté qu'au-delà de l'intercommunalité, de la fiscalité et de la péréquation, un sujet nouveau a pris de l'ampleur en cette fin d'année : les difficultés d'accès à l'emprunt. Ainsi, si l'intervention du Premier ministre devant les élus a largement consisté à demander aux collectivités de se montrer "solidaires" dans la maîtrise des dépenses publiques, elle a aussi abordé cette question de l'accès des collectivités au crédit. François Fillon faisait savoir à cette occasion que l'enveloppe de 3 milliards d'euros de prêts sur fonds d'épargne mise à disposition des collectivités par la Caisse des Dépôts pour cette fin 2011 et jusqu'au 31 mars 2012 (annoncée début octobre) serait portée à 5 milliards d'euros. Il confirmait aussi la mise en place de l'établissement qui sera constitué par la Caisse des Dépôts et la Banque postale "début 2012" et faisait entendre qu'il ne s'opposerait pas au projet de l'Agence de financement des collectivités porté haut et fort par les collectivités et leurs associations.
Ce 22 décembre d'ailleurs, les présidents de l'AMF, de l'Association des maires de grandes villes et de l'Association des communautés urbaines ont conjointement signé une tribune demandant au gouvernement de "prendre l'initiative de proposer un projet de loi permettant la création de l'Agence". "L'urgence financière impose l'examen du texte avant la fin de la présente législature" puisque "une fois celui-ci adopté, il faudra encore plusieurs mois de travail, avec les autorités de régulation notamment, avant d'envisager les premiers prêts", soulignent-ils. Selon Jacques Pélissard, Michel Destot et Gérard Collomb, l'enveloppe de 5 milliards est une réponse "ponctuelle" qui "suffira à passer la fin de l'année et tout juste à financer le début de l'année prochaine".
Sur ce terrain, il y a bien unanimité : la situation est particulièrement "préoccupante". Ces difficultés vont sans doute "amener les collectivités à décaler ou étaler leurs investissements", prévoit par exemple Philippe Laurent, le président de la commission des finances de l'AMF, qui poursuit : "Une forme d'attentisme commence à se faire jour, qui est très dangereuse pour la croissance, à commencer par le secteur du BTP." Les pronostics de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), rendus publics début décembre, ne lui donnent pas tort…

"La fin d'un cycle"

Pour certains, la raréfaction de l'offre de crédit ne constitue qu'une difficulté de plus dans un contexte structurellement défaillant. On pourrait songer là aux quelque 4.000 collectivités concernées par la série noire des emprunts toxiques sur laquelle la commission d'enquête parlementaire vient de rendre ses conclusions.
Mais on songe en fait surtout aux départements, plus que jamais confrontés à l'impossible financement des trois allocations de solidarité (APA, RSA, PCH), dont le coût augmente de près d'un milliard d'euros par an. Le reste-à-charge pour les conseils généraux aurait atteint 6 milliards d'euros en 2011. Et personne n'oublie l'abandon de la réforme de la prise en charge de la dépendance annoncé fin août par François Fillon au détour de la présentation du programme anti-déficit...
Même les élus départementaux de la majorité présidentielle le disent : "Faire toujours plus en ayant toujours moins... On ne peut plus continuer ainsi. A des problèmes nationaux, seules des évolutions nationales peuvent être trouvées", estimait par exemple Buno Sido, président du groupe de la droite, du centre et des indépendants (DCI) de l'Assemblée des départements de France lors du dernier congrès de l'association. "On ne pourra pas se contenter de la solidarité interdépartementale pour régler le problème de la solidarité nationale", lançait de même Philippe Adnot, tandis que son jeune homologue UMP du Maine-et-Loire, Christophe Béchu, évoquait "une situation intenable". Et les présidents de conseils généraux d'évoquer les conséquences de la crise, non seulement sur les finances publiques mais aussi, voire surtout, sur les populations fragiles.
Alors, à tout point de vue, les élus départementaux ont parlé d'un "entre-deux", d'un "moment très particulier", d'un temps d'"attente", de "la fin d'un cycle"... En y incluant, évidemment, la fin d'un cycle électoral, celui des scrutins territoriaux (municipales de 2008, régionales de 2010, cantonales de 2011 et sénatoriales de septembre), et en se tournant vers le cycle à venir, celui des échéances nationales du printemps prochain.
Ces échéances nationales marquent déjà les esprits. Ainsi par exemple, du côté du ministre en charge des collectivités, depuis quelques mois déjà, plus d'annonces, plutôt des pistes de réflexion... pour plus tard, pour la prochaine législature. A ce titre, on peut au moins prévoir une chose : du point de vue des acteurs locaux, l'actualité réglementaire mise à part, le premier semestre 2012 sera à mettre entre parenthèses en matière de nouvelles réformes. Six mois, en somme, pour leur permettre d'assimiler et mettre en oeuvre toutes celles qui se sont récemment imposées... avant que ne se mette en marche, quelle que soit sa couleur, le prochain gouvernement.

 

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