David Lisnard - "L'Etat doit accepter de se réformer pour être plus efficace"
Principales attentes de l'Association des maires de France à l'égard du gouvernement et notamment de Catherine Vautrin, menaces sur les finances des collectivités, situation de l'outre-mer, ZAN… Dans un contexte politique inédit, David Lisnard, président de l'association et maire de Cannes, livre son regard sur quelques-uns des sujets que le 106e Congrès des maires entend mettre en lumière. Avec une constante : que cessent les "injonctions contradictoires" de l'Etat et que soit enfin menée une "véritable décentralisation" fondée sur le principe de "subsidiarité ascendante".
Localtis - Vous décriviez en septembre la "très grande instabilité" politique du moment. Depuis, il y a eu la déclaration de politique générale, la nomination du gouvernement avec un grand ministère lié au partenariat avec les "territoires", la présentation du projet de loi de finances… Comment décririez-vous la situation actuelle à la lumière des premières décisions politiques qui concernent les collectivités ?
David Lisnard - La situation politique demeure très instable. Il n’y a pas de majorité établie à l’Assemblée nationale et le gouvernement est constamment sous la menace d’une motion de censure. Dans ce contexte, il est indispensable de s’appuyer sur les collectivités locales et plus singulièrement sur les communes qui sont un pôle de stabilité et un modèle. Elles font fonctionner les services publics du quotidien, portent des projets concrets, innovants et pragmatiques qui améliorent le cadre de vie des habitants, donnent un sens à l’action publique, et font vivre notre démocratie à l’échelle locale. C’est le sens de notre congrès cette année "Les communes… heureusement !"
La dénomination du ministère de Catherine Vautrin, "partenariat", envoie un signal positif. Malheureusement, la longue vacance du pouvoir a conduit le nouveau gouvernement à soumettre au Parlement un budget rédigé dans la précipitation et s’appuyant largement sur les propositions historiques de Bercy. Rarement, peut être jamais, un budget n’avait été aussi spoliateur et recentralisateur. En ponctionnant plus de 10 milliards d’euros dans nos finances pour subventionner ses propres dépenses, l’Etat vient de réaliser un nouveau holdup, qui hélas ne rétablira pas ses comptes puisqu’il ne se remet pas en cause dans son fonctionnement et qui pénalisera l’investissement, et donc aura un effet récessif.
Vous avez je crois été reçu par Catherine Vautrin en octobre. Une ministre qui, depuis sa nomination, met beaucoup en avant sa volonté de dialogue avec les élus locaux. Quels sont selon vous les dossiers à ouvrir ou rouvrir en priorité dans le cadre d'un dialogue renouvelé ?
C’est vrai que Catherine Vautrin cherche à instaurer un dialogue constant, loyal et respectueux avec les collectivités, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé. Nous verrons dans la durée quelles sont ses marges de manœuvre.
En tant qu’ancienne membre de nos instances à l’AMF, elle connait bien nos positions et propositions pour faciliter l’action locale, moderniser l’action publique autour de la notion fondamentale de subsidiarité ascendante. Je pense aussi à l’amélioration des conditions d’exercice du mandat, sur laquelle plusieurs textes avaient été présentés avant que la dissolution ne survienne. Nous souhaitons que ces travaux soient inscrits à l’ordre du jour pour que la discussion, l’adoption du texte et la publication du décret soient achevées avant 2026.
Sur l’eau et l’assainissement, il faut concrétiser une bonne fois pour toutes l’engagement du Premier ministre, que nous saluons, à ne pas rendre obligatoire le transfert aux intercommunalités en 2026. Le texte qui vient d’être voté au Sénat me semble être un compromis acceptable par tous.
Nous pourrions citer d’autres urgences comme le logement, dont le texte de loi a également été
arrêté par la dissolution. La crise du logement est toujours là et les maires portent des solutions à l’échelle de leurs communes, il faut libérer leur action.
Catherine Vautrin a confié une nouvelle mission à Boris Ravignon, sur des enjeux multiples et très larges. Qu'en attendez-vous ?
Le travail que mène notre collègue Boris Ravignon, depuis plus d’an un maintenant, sur la simplification et la décentralisation pour rendre l’action publique plus efficiente, est une contribution qualitative et à nos yeux indispensable.
Qui mieux qu’un maire, c’est-à-dire un praticien du quotidien, un élu confronté au réel, pour répondre à ces questions ?
Tous les jours, l’Etat transfère sans compensation de nouvelles charges aux collectivités comme la gestion du trait de côte, l’entretien des digues, la sécurité, la petite enfance, etc. Il poursuit aussi ses injonctions contradictoires : il demande aux élus de baisser les dépenses et en même temps d’investir massivement dans la "transition écologique", de ne pas artificialiser les sols, mais de produire plus de logements sociaux, de cofinancer le ferroviaire, etc. Enfin, il s’enferme dans son dogme des grands ensembles, pensant que plus une compétence est centralisée, plus elle est efficace et moins elle est coûteuse. Tout démontre le contraire.
L’AMF fait des propositions concrètes d’économies : suppression de procédures coûteuses et inutiles, réorganisation simplifiée des services déconcentrés de l’Etat autour des préfets, allégement des contraintes administratives et réglementaires qui coûtent aux collectivités en ingénierie interne ou externe.
L’Etat doit accepter de se réformer pour être plus efficace, en se recentrant sur ses missions propres, et en laissant les collectivités faire le reste. Seule la véritable décentralisation pourra durablement assainir les comptes publics et faire retrouver de la performance au service des habitants.
L'AMF a réuni les autres associations d’élus en réaction aux dispositions du projet de loi de finances qui concernent les finances des collectivités. Le gouvernement assure que les modalités de la contribution des collectivités pourront être retravaillées. Portez-vous des propositions là-dessus ?
Depuis le dépôt du projet de loi de finances, les maires et présidents d’intercommunalité nous font part de leurs alertes sur les ponctions supplémentaires, à hauteur d’au moins 10 milliards d’euros, qu’entend réaliser l’État sur nos budgets.
Nous nous opposons à ces prélèvements qui ne sont pas des économies et qui ne feront qu’alimenter un Etat trop dépensier. Ce qu’il faut, c’est revoir le périmètre de l’action publique, identifier et supprimer les doublons et que chaque strate ait des compétences précises avec des moyens suffisants pour les assumer.
Il est donc urgent de réformer l’Etat et de mette fin à l’enchevêtrement des compétences avec les collectivités en privilégiant le principe de subsidiarité ascendante : laisser les collectivités agir au plus près du terrain et redonner du pouvoir d’agir aux élus.
Pour cela il faut supprimer les décrets couteux et inapplicables et donner un pouvoir réglementaire local aux maires, et aussi redonner de l’autonomie financière aux communes avec un impôt principal par strate et le pouvoir de taux qui va avec.
Les vraies et bonnes économies sont celles qui simplifient, débureaucratisent et libèrent l’action, suppriment nombre d’autorisations préalables, schémas directeurs, reportings obligatoires. Car la performance est proportionnelle à la liberté et à la responsabilité.
La situation dans les départements ultramarins est actuellement très difficile. Quelles sont les propositions que porte l’AMF pour essayer d’y répondre ?
Si on retrouve des problématiques similaires sur le plan sanitaire, sécuritaire, de l’accès à l’eau (la Guyane traverse une période de grande sécheresse depuis plusieurs semaines) et de pouvoir d’achat, les causes sont bien différentes et il convient de les distinguer si l’on veut y apporter les bonnes réponses.
L’AMF est très impliquée sur ces enjeux qui seront mis en lumière lors de notre congrès qui commencera par une journée dédiée.
En Nouvelle-Calédonie, treize de nos compatriotes dont deux gendarmes ont perdu la vie dans les émeutes. Aujourd’hui, c’est toute l’économie qui s’est effondrée. Je me tiens informé en continu de la situation sur place. Les maires font remonter leurs besoins auprès de l’AMF et l’association les porte auprès de l’exécutif. L’urgence absolue est de permettre à l’économie de repartir.
Dans les Antilles, nous observons une dégradation de la situation dans son ensemble sur fond d’augmentation intenable du prix des denrées. Pour en comprendre les causes, l’AMF a mené une large étude avec l’ACCD’OM sur le lien entre les prix et l’octroi de mer, qui n’est pas la cause principale de la hausse des coûts. Nous diffuserons nos conclusions le 9 décembre.
A cela s’ajoute un poids grandissant du narcotrafic aux Antilles et en Guyane, et dont l’hexagone n’est pas exempt. Ces "cartels" viennent avec leur lot de violence et font de la pauvreté et de l’instabilité leur terreau. Dans cette optique, lors du congrès des maires, une séquence spéciale sera dédiée au trafic de drogue, réunissant maires, parlementaires, représentants de l’Exécutif et forces de l’ordre.
Par ailleurs, je me suis rendu cette année à la Réunion et à Mayotte, où la situation reste particulièrement préoccupante. L’une des demandes des communes est que l’on prenne en compte les chiffres réels de la population sur place, car derrière se pose la question de l’efficacité des services publics.
L’AMF est en contact permanent avec les collectivités d’outre-mer et nous travaillons avec elles, notamment dans le cadre de la délégation dédiée aux départements d’outre-mer que nous avons créée, pour proposer au gouvernement des solutions à leurs difficultés.
Autre dossier épineux, celui du ZAN. L'AMF semble avoir été entendue par les sénateurs dans leur dernier rapport. Quels assouplissements attendez-vous en premier lieu en termes de mise en œuvre, de calendrier… et de financements ?
Dès l’origine, l’AMF était opposée à ce dispositif qui ne sera pas efficace contre l’artificialisation car pas applicable. Le législateur a créé une usine à gaz centralisée et verticale qui ne satisfait personne. Par ailleurs, aucun modèle de financement n’a été prévu, ce qui a conduit l’AMF à publier en octobre 2023 un ensemble de propositions.
Le dispositif actuel n’est pas applicable. Les délais prévus par la loi ne seront pas tenus et le système lui-même est inopérant localement. L’AMF a mené une vaste enquête sur le sujet, et plus de 5.000 répondants ont fait remonter des difficultés d’application du dispositif. Il nous faut donc en tirer les conséquences et remplacer cette loi.
L’AMF a beaucoup travaillé sur un dispositif alternatif qui permettrait de prendre en compte le besoin de vigilance sur l’artificialisation de nos sols, sans bloquer l’ensemble des projets. Un dispositif sera présenté lors de notre congrès.
En quelques mots, l’objectif est de renverser l’approche, en partant du bloc local vers les blocs régional et national. Cela demandera par exemple de ne plus prendre en compte les grands projets nationaux ou européens dans les enveloppes locales.
Ce que nous souhaitons, c’est une loi de bon sens, applicable, et qui fasse confiance à l’action des élus locaux dont beaucoup n’ont pas attendu ce texte pour lutter contre l’artificialisation des sols.