Logement - Dalo : "L'Etat est toujours hors la loi", constate le comité de suivi
On aurait pu penser que le Dalo, le droit au logement opposable, entré dans la loi en 2007, était désormais aussi entré dans les rouages et les pratiques des acteurs chargés de le faire appliquer… Or le 5e rapport du comité de suivi du Dalo montre qu'on en est encore très loin, puisqu'il affirme d'emblée : "L'Etat est toujours hors la loi". Il l'est même davantage qu'il y a un an. Il est donc le premier fautif. Mais sans doute pas le seul dans la mesure où, "la bonne application du Dalo nécessite une mobilisation de l'ensemble des acteurs", rappelle le rapport, dévoilé ce 30 novembre 2011.
Le rythme des recours déposés au titre de la loi Dalo n'a pas faibli, avec 6.000 recours par mois, dont 62% en Ile-de-France. Certes, "les décisions favorables prises par les commissions de médiation sur les recours logement sont correctement appliquées dans trois départements sur quatre". Mais cela veut aussi dire que dans un département sur quatre, les choses se passent plutôt mal. Tel est surtout le cas, sans grande surprise, en Ile-de-France, où le rythme des relogements, après un léger mieux en 2010, a baissé en 2011 : "la mobilisation du parc social existant a diminué et les propositions du comité pour mobiliser des logements privés sont restées sans réponse", constate le rapporteur, qui ajoute sans détour que "le non-respect de la loi atteint au plus choquant quand des préfets, chargés par la commission de médiation de reloger un ménage menacé d'expulsion, ne le relogent pas et font appliquer le jugement d'expulsion par la police."
Le nombre de décisions de relogement et d'hébergement de ménages prioritaires prononcées par les tribunaux administratifs qui n'étaient pas mises en oeuvre à fin juin 2011 atteint les 27.500 sur toute la France, dont 85% en Ile-de-France. C'est près de 5.000 de plus qu'au 31 décembre 2010. Il s'agit d'une estimation, le comité n'ayant pu obtenir de données complètes pour l'ensemble des départements en raison de la mauvaise utilisation d'un nouveau logiciel dans les préfectures. Mais les données disponibles pour l'Ile-de-France sont, elles, exhaustives. Et montrent, donc, une situation particulièrement "grave". Le comité indique n'avoir "pas obtenu d'explication satisfaisante", mais il avance une piste: une "faible mobilisation" de la part des logements sociaux réservés à l'Etat.
Autre tendance inquiétante : les recours visant à obtenir une simple place en hébergement "se multiplient dans un grand nombre de départements, signes du développement d'une crise humanitaire", alerte le rapport. Ils représentent aujourd'hui 15% du total des recours, contre 7% en 2008. Et là, même des départements qui ne sont pas frappés par la crise du logement sont concernés, comme la Haute-Vienne. "L'obligation légale et humanitaire de l'hébergement n'est pas respectée", dénonce le comité.
Il conclut que les montants des astreintes que l'Etat doit verser lorsqu'il est condamné et ne reloge pas dans les délais prévus par la loi ne sont à l'évidence "pas suffisants pour exercer sur (lui) la pression nécessaire" : celui-ci paie parfois depuis plusieurs années sans reloger.
Payer une astreinte, est-ce déjà appliquer la loi ?
Face à ces constats, le comité de suivi en appelle aux candidats à l'élection présidentielle, et au chef de l'Etat à qui il doit, selon la loi, remettre chaque année son rapport. "Nous ne l'avons rencontré qu'une fois en 2007, et nous n'avons jamais vu le Premier ministre. Les décisions ne sont pas prises", dénonce le rapporteur, Bernard Lacharme, secrétaire national du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées.
Le comité avance quatre grandes exigences pour que la loi Dalo soit "enfin" appliquée : "offrir au moins un hébergement à toute personne en détresse", "mettre en oeuvre un plan d'urgence pour reloger les ménages prioritaires dans les zones tendues", "organiser la gouvernance" de la politique du logement, avec la création d'un syndicat du logement en Ile-de-France (réunissant les représentants des différentes collectivités, ce syndicat "serait doté du pouvoir d'arrêter les objectifs de construction de logements et de les faire appliquer"), et "réorienter" les budgets de l'Etat "vers le logement des personnes de revenu modeste" en conditionnant les aides fiscales à des contreparties sociales.
L'échéance du 1er janvier 2012, lorsque les recours contentieux seront ouverts aux demandeurs de logements sociaux victimes d'un délai d'attente "anormalement long", peut être "l'occasion d'une mobilisation", espère aussi Bernard Lacharme.
Dire que l'Etat est "hors-la-loi" dans l'application Dalo "dépasse la raison", a contre-attaqué mercredi le secrétaire d'Etat au Logement Benoist Apparu, qui intervenait lors d'un colloque parlementaire sur le Dalo. S'il existe effectivement, a-t-il reconnu, "des difficultés", surtout en Ile-de-France, il a souhaité "que l'on prenne tous aussi un tout petit peu de recul" : cette loi a été "votée il y a quatre ans (...) Il nous faudra des années pour rendre effectif ce droit opposable au logement (...) Nous ne réglerons pas cette question-là d'un claquement de doigt comme certains voudraient bien le croire ou le laisser à penser", a-t-il insisté.
Marc-Philippe Daubresse, ancien ministre, ancien président de l'Anah et aujourd'hui secrétaire national adjoint à l'UMP, a lui aussi dit son "désaccord" avec le comité de suivi, parlant même de "démagogie" : "L'Etat n'est pas hors-la-loi, il respecte une loi qui constate que si les personnes ne sont pas relogées, il devra payer une astreinte", et qui "ne peut pas se faire d'un coup de baguette magique".
Ce rapport de 96 pages (en téléchargement ci-contre), qui s'est notamment nourri des travaux de dix groupes thématiques qui se sont réunis à plusieurs reprises, détaille chacune des propositions formulées, comprend de nombreux chiffres et graphiques… et présente aussi ce qui marche, à savoir plusieurs "bonnes pratiques" repérées localement. Une somme utile, donc.