Elus - Cumul des mandats : les propositions de loi s'accumulent...
En plein cœur de l'été, début août, pas moins de quatre propositions de loi ont été déposées sur un même sujet : le cumul des mandats. Ou comment "assouplir" la loi du 14 février 2014 en vertu de laquelle le non-cumul entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale doit s'appliquer dès 2017 - une loi dont tout le monde n'avait jusqu'ici pas forcément mesuré les multiples conséquences institutionnelles, notamment pour les collectivités territoriales elles-mêmes.
Quatre propositions de loi donc, dont deux déposées à l'Assemblée pour l'une, au Sénat pour l'autre, signées par une longue liste de parlementaires de droite. Côté députés, on y trouve par exemple Christian Jacob, Eric Ciotti, Marc-Philippe Daubresse, Marc Le Fur, Hervé Mariton, Alain Marleix, Jacques Pélissard… Côté sénateurs figurent parmi bien d'autres les noms de Caroline Cayeux, Philippe Dallier, Françoise Gatel, Gérard Longuet, Bruno Retailleau, René-Paul Savary, Bruno Sido… De part et d'autre, un même article unique et un exposé des motifs quasi identique. Il s'agit d'"assurer une entrée en vigueur progressive de cette réforme, plus respectueuse des rythmes électoraux locaux, en permettant exceptionnellement au titulaire d'une fonction exécutive locale élu entre 2014 et l'entrée en vigueur de la réforme en 2017, de conserver au moins cette fonction, en parallèle d'un mandat parlementaire, jusqu'au renouvellement général suivant de l'assemblée délibérante de la collectivité". S'agissant, notamment, des députés-maires ou sénateurs-maires, ceux-ci continueraient donc de présider aux destinées de leurs communes jusqu'en 2020.
Les deux autres propositions de loi sont d'origine sénatoriale et ne diffèrent partiellement que par leurs signataires, qui sont cette fois des sénateurs de gauche. L'une ne compte que des signataires du groupe RDSE (radicaux de gauche) emmenés par Jacques Mézard. Sur la seconde, deux autres noms sont venus s'ajouter. Ceux de deux sénateurs du groupe socialiste, Samia Ghalli, élue marseillaise, et Luc Carvounas, sénateur-maire d'Alfortville (Val-de-Marne). Là encore, un article unique. Qui est mot pour mot le même que celui des propositions de loi de droite… mise à part la dernière phrase, qui ne vient apporter qu'une nuance en matière d'indemnités. Les parlementaires de droite proposent en effet de "réduire et plafonner" le bénéfice des indemnités d'élu local en cas de cumul, tandis que ceux de gauche prévoient de les "supprimer".
Ne pas "couper le lien entre le maire et la nation"
Les élus de gauche rappellent l'opposition qui s'était manifestée en 2013 au Sénat lors de l'examen de cette réforme portée par Manuel Valls alors ministre de l'Intérieur. Un rejet qui s'est régulièrement fait entendre depuis au Palais du Luxembourg. Ce fut par exemple le cas il y a quelques mois lors d'un débat sur une proposition de loi visant à "corriger à la marge" les effets de la loi de 2014 en prévoyant des "modalités d'association des parlementaires à la vie politique et institutionnelle locale". Cette proposition avait été jugée clairement insuffisante pour répondre au risque de voir émerger des "parlementaires hors sol" (voir ci-contre notre article du 13 mai).
Les sénateurs de gauche reprennent aujourd'hui ce terme de "parlementaire hors sol" et ce credo… tout en assurant ne pas vouloir revenir "sur le principe même de l'interdiction du cumul d'une fonction exécutive locale avec un mandat de parlementaire". Il s'agit simplement, arguent-ils, de prendre en considération un contexte particulier : celui de la réforme territoriale, avec la loi sur les régions et la loi Notr, toutes deux adoptées après la loi sur le cumul. "La mise en place de ces réformes territoriales modifie considérablement le fonctionnement et l'organisation des institutions locales et la mise en place de ces nouvelles structures nécessite un minimum de stabilité", écrivent les sénateurs. Qui ajoutent : "Les électeurs, lors des scrutins municipaux de mars 2014 ont d'ailleurs fléché pour la première fois leurs conseillers intercommunaux et comprendraient difficilement de tels changements en cours d'application de ces multiples réformes territoriales."
Le 23 août, Luc Carvounas, dont la présence parmi les signataires avait déjà été fort remarquée, étoffait le propos par une tribune publiée dans le Huffington Post. Il s'agit bien, résume-t-il, d'"autoriser les maires élus en 2014 qui seraient aussi parlementaires à pouvoir rester maires bénévolement jusqu'à la fin de leur mandat donc en 2020". En prenant le soin de préciser qu'il ne sera personnellement pas concerné dans la mesure où il ne compte pas se représenter pas aux sénatoriales de 2017. Et en assurant que ce n'est selon lui "en rien un renoncement au non cumul des mandats" : le sénateur-maire considère qu'il faut s'intéresser au cumul au sens large, en incluant "le non cumul dans le temps" (pas plus de deux mandats successifs) et "le non cumul horizontal" (le fait de détenir plusieurs mandats locaux).
"Nous, la gauche (…), avons réussi l'exploit de voter une loi qui bannit le maire de l'Assemblée et du Sénat ! Je pense que nous avons commis là une erreur politique", écrit-il. Un "formidable paradoxe" sachant que la fonction de maire est bien "la fonction élective la plus plébiscitée" par les citoyens, représente "le premier guichet républicain", "permet à un élu de la République d'être un vrai généraliste sur toutes les grandes questions" et apporte donc "une expertise pointue au Parlement au moment de la fabrication de la loi", souligne-t-il aussi.
Le non-cumul tel que conçu par la loi de 2014 conduira finalement à "couper le lien entre le maire et la nation" et à privilégier des parlementaires qui "n'auront aucune expérience de l'administration d'un territoire et, par méconnaissance ou ignorance, fabriqueront des lois mal ficelées", insiste Luc Carvounas. D'aucuns lui objecteront sans doute que la fonction d'adjoint au maire par exemple, non concernée par la loi de 2014, peut sans doute suffire à avoir cette connaissance du terrain. Tout comme le fait d'avoir été maire dans le passé.
Le sénateur prévoit en outre que l'on risque, dès 2017, d'assister "à de drôles de conseils municipaux qui verront élire des maires désignés par leur prédécesseur démissionné du fait de la loi, car parlementaire, mais qui n'auront aucune envie de ne pas terminer le programme municipal pour lequel ils ont été élus"… autrement dit qui continueront à assurer ce rôle sans en avoir le titre.