Crise sanitaire dans les entreprises culturelles : une perte de 20%, mais très inégalement répartie
Le département des études du ministère de la Culture publie la première étude exhaustive sur l'impact économique de la crise sanitaire sur les 28.000 entreprises culturelles, employant 315.000 salariés et réparties en dix domaines. Si le secteur a été fortement impacté, les conséquences varient très fortement. Le spectacle vivant a affiché une perte d'activité de 68% en 2020, tandis que la baisse n'était par exemple que de 13% pour les métiers d'art.
Deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, le ministère de la Culture publie la première étude d'ensemble sur la "Crise sanitaire dans le secteur culturel - Impact de la pandémie de Covid-19 et des mesures de soutien sur l'activité et la situation financière des entreprises culturelles en 2020". D'autres études sur l'impact de la crise ont déjà été publiées dès 2020, mais celle-ci présente un recul et une exhaustivité sans équivalent. Elle a été menée par deux chargés d'études au Département des études économiques de l'Insee. Ses résultats montrent l'ampleur de l'impact de la crise sanitaire sur les entreprises du secteur culturel, mais elle met aussi en évidence des conséquences très différentes selon le domaine considéré.
Une perte d'activité 2,5 fois supérieure à celle de l'ensemble de l'économie
L'échantillon pris en compte par les chercheurs comporte 27.933 entreprises culturelles, employant 315.000 salariés – soit 80% des effectifs salariés et des chiffres d'affaires déclarés par les entreprises du secteur culturel marchand en 2018 –, réparties entre les dix domaines culturels. Comme l'indique clairement l'intitulé de l'étude, celle-ci ne porte donc pas sur les institutions culturelles relevant de l'Etat ou des collectivités territoriales. Globalement, "en 2020, la pandémie de Covid-19 et les mesures de restrictions sanitaires mises en place pour l'endiguer ont considérablement ralenti l'activité économique et affecté la trésorerie des entreprises. Le secteur culturel, comptant un grand nombre d'établissements accueillant du public, s'est ainsi retrouvé particulièrement affecté par cette nouvelle conjoncture". Les chiffres propres au secteur culturel doivent en effet être replacés dans le contexte de l'année 2020, qui a vu une chute historique de 7,9% du PIB de la France et un recul de la valeur ajoutée des entreprises de 8,1%.
En termes d'activité, les entreprises du secteur culturel ont subi un recul de 20% (par rapport au chiffre d'affaires attendu) sur la période allant de mars à décembre 2020 et de 18% si on prend en compte l'ensemble de l'année 2020 et donc les deux mois "normaux" de janvier et février. Cette baisse d'ensemble de 20% – très supérieure à celle de l'ensemble de l'activité économique –, présente de très fortes différences selon les secteurs culturels. Les plus touchés sont ainsi le spectacle vivant (-68% sur mars-décembre 2020), le cinéma (-45%), le patrimoine (-43%) et les arts visuels (-27%). D'autres secteurs sont proches de la moyenne de 20% ou s'en tirent un peu mieux : les agences de publicité (-22%), le livre et la presse (-18%), l'architecture (-18%), l'audiovisuel-multimédia (-16%) et les métiers d'art (-13%). Enfin – mais ce n'est pas vraiment une surprise – un secteur voit son activité augmenter fortement à l'occasion de la crise sanitaire : les jeux vidéos (+21%).
Des évolutions très différentes au cours de l'année 2020
La forme des courbes retraçant le recul d'activité au cours de l'année 2020 est également très différente selon les secteurs. Pour la publicité, par exemple, elle plonge fortement lors du premier confinement (avec -80% d'activité en avril), se redresse très nettement à l'été, puis replonge avec la même ampleur à l'automne, lors du second confinement. A l'inverse, pour des secteurs comme l'architecture ou l'audiovisuel-multimédia, la tendance reste à peu près plane tout au long de l'année après le choc initial. En revanche, pour le cinéma et le spectacle vivant, l'activité plonge fortement dès le début de la crise sanitaire et ne se redresse pas durant l'année.
Un autre aspect intéressant de l'étude est que les écarts peuvent également être très importants au sein d'un même secteur culturel. En effet, "chaque domaine culturel se caractérise par la présence simultanée d'entreprises très pénalisées, cessant parfois leur activité, et à l'inverse d'entreprises atteignant leur niveau d'activité prévu malgré la crise". Pour le cinéma par exemple, 5% des entreprises ont connu une perte d'activité de plus de 80% sur la période de mars à décembre 2020, alors que 5% ont connu au contraire une hausse de leur activité de l'ordre de 10%. Pour expliquer ce phénomène, l'étude indique seulement qu'"au sein d'un même domaine culturel (10 domaines), les restrictions ont pu varier, conduisant par exemple différents sous-secteurs (40 sous-secteurs au total) d'un même domaine culturel à connaître des chocs médians d'activité très différents". Pour reprendre le cas du cinéma, on peut supposer, par exemple, que l'impact de la crise sanitaire n'a pas forcement été le même sur les exploitants de salles (fermées durant les confinements) et sur les sociétés de production.
"Des chocs importants de trésorerie plus fréquents dans le secteur culturel"
En termes financiers – et sans surprise compte tenu de ce qui précède – l'étude constate l'existence "de chocs importants de trésorerie plus fréquents dans le secteur culturel". Ce dernier est en effet "surreprésenté dans les catégories de chocs négatifs de trésorerie, en particulier parmi les chocs importants, par rapport à l'économie totale, avant comme après prise en compte des mesures de soutien (39% dans le secteur culturel contre 29% dans l'ensemble de l'économie avant soutien et 31% contre 21% après soutien)". L'étude constate au passage que le recours aux mesures de soutien a eu pour effet de rapprocher la distribution des chocs de trésorerie de la situation d'une année sans crise.
Au final, l'étude procède à l'évaluation de la part des entreprises du secteur culturel terminant l'année 2020 avec un besoin opérationnel de financement. Pour assurer une indispensable pondération par les effectifs (1% des entreprises du secteur culturel concentrent près de 50% des effectifs, tandis que les 86% de micro-entreprises n'en regroupent que 18%), le calcul se fait en pourcentage des effectifs. Ainsi, 69,5% des salariés travaillant dans une entreprise du spectacle vivant étaient employés par des entreprises "connaissant un besoin opérationnel de financement strictement positif fin 2020, post-mesures de soutien". Cette proportion est de 64,9% pour le cinéma, 51,4% pour les agences de publicité, 49,9% pour l'audiovisuel-multimédia, 44,6% pour les arts visuels et 41,7% pour le livre et la presse. Elle est en revanche de 30% pour les activités d'architecture, de 22,5% pour le patrimoine et de 2,9% pour les jeux vidéos. Conclusion de l'étude : "Si les mesures de soutien ont permis de réduire sensiblement le besoin de financement externe des entreprises culturelles à l'issue de l'année 2020, ce dernier demeure conséquent pour une bonne partie des entreprises culturelles et semble peser largement plus sur les secteurs dépendant de l'accueil du public et des rencontres physiques".