Crise énergétique : un règlement européen acté et une charte en vue entre gouvernement français et fournisseurs d’électricité
Les Vingt-Sept se sont accordés sur un nouveau règlement prévoyant trois mesures d’urgence pour faire face à la crise énergétique. "Une étape positive", mais seulement une étape, estime le gouvernement français, qui plaide pour que de nouvelles dispositions soient adoptées rapidement afin de faire baisser les prix du gaz et de l’électricité. En France, les fournisseurs d’énergie sont par ailleurs convoqués ce 5 octobre pour signer un "code de conduite" les poussant à offrir à leurs clients des tarifs "raisonnables".
Les vingt-sept ministres de l’énergie de l’UE se sont accordés ce 30 septembre sur un nouveau règlement européen pour apporter des réponses à la crise énergétique. Celui-ci reprend trois des mesures proposées par la Commission européenne (voir notre article du 14 septembre) sur les cinq proposées le 7 septembre (voir notre article) :
- une baisse de la consommation électrique volontaire de 10% et une baisse obligatoire de 5% pendant les heures de pointe ;
- un "mécanisme obligatoire de captation de la rente inframarginale" des producteurs d’électricité "à bas coût" (c'est-à-dire inférieurs aux coûts de production des centrales à gaz). Les producteurs d'énergies non gazières (nucléaires, énergies renouvelables, centrales à lignite et, au cas par cas, celles à charbon) verront ainsi leurs revenus plafonnés à 180 euros du MWh, du 1er décembre au 31 juin. La différence entre le plafond et le prix de gros du marché sera récupéré par les États pour financer des mesures de soutien aux entreprises et aux ménages. Les États membres ont la possibilité d’abaisser le plafond (qui pourra à l’inverse être rehaussé dans le cas des centrales à charbon, en fonction de leur coût de production). La mesure se justifie par les "gains financiers d'une ampleur inattendue au cours des derniers mois" obtenus par ces opérateurs, "sans que leurs coûts d’exploitation n’augmentent", indique le Conseil. Elle ne concerne par les barrages, le biométhane ni les installations de moins de 1 MGW ;
- une contribution temporaire de solidarité sur les profits réalisés en 2022 par les entreprises extractrices et de raffinage de pétrole, gaz et charbon d’au moins 33% sur les bénéfices 2022 supérieurs de 20% à la moyenne de ceux des quatre dernières années (modalités qui diffèrent légèrement de celles annoncées jusqu’ici).
Ces deux dernières mesures pourraient rapporter 140 milliards d'euros, d'après la Commission. Elles permettront de "financer les mesures de protection des consommateurs européens, comme nous le faisons en France, puisque nous avons pris les devants avec l’Arenh et le mécanisme qui nous lie avec les producteurs d’énergie renouvelable, qui nous permettent de financer une grosse partie de notre bouclier énergétique" (voir notre article du 27 septembre), expliquait avant d’entrer en réunion la ministre française Agnès Pannier-Runacher. Au cabinet de cette dernière, on souligne que le mécanisme de captation de la rente européen fera tomber dans le processus des producteurs qui ne sont aujourd’hui pas concernés par le mécanisme français ("une partie de la production nucléaire qui ne dépend pas de l’Arenh, une partie des installations d’énergies renouvelables dont les contrats sont terminés").
Une étape positive, mais une étape seulement
La France se félicite officiellement de cet accord, qualifié d’"étape positive". "Il faut souligner que l’Europe, une fois encore, se montre unie dans ce contexte où, de toute évidence, la Russie cherche à créer des divisions en son sein", souligne le ministère de la Transition écologique. Non sans succès, à en croire l'économiste Philippe Chalmin, spécialiste des matières premières et de l’énergie, qui, interrogé par Franceinfo le 30 septembre, soulignait que "les doutes sur la stratégie adoptée vis-à-vis de la Russie se renforcent un petit peu" et qu’"un certain nombre de pays à l'est de l'Europe commencent à être des maillons faibles, notamment la Bulgarie". "Un message d’urgence, de détermination et de solidarité a été donné", relevait pour sa part Agnès Pannier-Runacher à la sortie du conseil. Pour elle, l’enjeu de ce dernier était toutefois ailleurs, comme elle l’affichait avant d’entrer en réunion : "L’objectif est de faire atterrir un accord qui permettra de faire baisser durablement les prix de l’énergie. Je vais être très claire : il va falloir aller beaucoup plus vite, beaucoup plus loin, et faire d’autres propositions. Je ne laisserai pas les entreprises, les collectivités locales, les industriels s’arrêter en France parce que nous faisons face à des prix de l’électricité et des prix de gaz trop élevés." Et Agnès Pannier-Runacher de préciser qu’elle entendait demander à la Commission européenne de faire de nouvelles propositions qui doivent "viser d’abord à couper la volatilité sur les marchés de l’énergie", ensuite à baisser le prix du gaz et, enfin, celui de l’électricité. Mission réussie ? Aux termes du conseil, la ministre a mis en avant le fait que les Vingt-Sept "ont donné un clair mandat à la Commission pour faire des propositions" en ce sens. Tous les vœux du gouvernement français ne seront sans doute pas exaucés, mais certaines de ses positions avancent.
Tractations tous azimuts
• Les premières, qui visent notamment à ramener le plafond du prix spot de l’électricité à 3.000 euros ou à traiter la question du manque de liquidités pour les achats de gaz, seront discutées lors du Conseil Ecofin de ces 3 et 4 octobre, même si seule l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (Acer) est décisionnaire en la matière. Au ministère, on souligne toutefois que cette dernière "n’est pas insensible aux messages du Conseil et de la Commission" (voir notre article du 12 septembre).
• Les deuxièmes, qui visent à faire baisser le prix du gaz, donnent toujours lieu à d’intenses tractations. À l’initiative de la Belgique, quinze États membres – dont la France – ont adressé le 27 septembre à la Commission une lettre l’invitant à proposer "dès que possible" une solution pour plafonner le prix de toutes les importations de gaz naturel. Si la lettre invite à un plafond s’appliquant à toutes les transactions de ventes en gros, au cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, on rappelle qu’il "peut être institué de manière graduelle, en commençant par le gaz russe". Des propositions qui ne sont toutefois pas du goût de l’Allemagne, fortement dépendante au gaz et qui craint une interruption de ses importations, comme l'a rappelé la ministre de la Transition énergétique. En outre, la France semble rester plutôt hostile à l’idée d’un plafonnement du GNL – "il faut garder en tête que les bateaux vont au plus offrant", pointe le cabinet –, lui préférant la solution d’une plateforme d’achat commune, dont la mise en place n’est pas aisée : "C’est beaucoup plus compliqué que pour les vaccins. Cela nécessite une expertise que n’a pas aujourd’hui la Commission", souligne-t-on. Cela fait néanmoins partie des missions que les Vingt-sept ont de nouveau confié à Bruxelles.
La France entend par ailleurs que les négociations avec les fournisseurs de gaz par gazoduc "partenaires" (Norvège, Algérie) soient accélérées "pour fixer des prix raisonnables qui ne menacent pas l’industrie européenne", alors que la situation est jugée "intenable pour l’industrie" par le cabinet de la ministre. Les Vingt-Sept ont là encore redemandé à la Commission d’étudier cette option. Nos partenaires n’ont aucune raison de le faire, expliquait toutefois en substance Philippe Chalmin sur Franceinfo.
Pour l’heure, le ministère de la Transition écologique indique qu’il existe un "vrai consensus" parmi les ministres européens "sur deux points précis" (seulement) : "Le premier, c’est qu’il faut absolument introduire une panoplie de mesures, et pas un mécanisme précis, parce que si c’était si simple et évident, cela aurait déjà été fait ; le second, c’est qu’en aucun cas les mesures qui seront décidées ne doivent mettre en cause la sécurité d’approvisionnement de l’Union." La voie reste donc plus qu’étroite.
• Les troisièmes, visant à faire baisser le prix de l’électricité, sont tout aussi ardues. Pas techniquement, à en croire Agnès Pannier-Runacher, pour qui "on peut baisser rapidement le prix de l’électricité", et ce, grâce à l’extension du "mécanisme ibérique", nouvelle panacée. Ce dernier, expérimenté "avec succès" par le Portugal et l’Espagne, consiste à plafonner le prix du gaz utilisé pour fabriquer de l’électricité. "Là où le prix est le plus impactant pour l’économie européenne", souligne son cabinet. Une solution "efficace et peu coûteuse", ajoute ce dernier, mais qui ne va pas sans effets de bord. Et notamment une fuite des industriels français vers l’Espagne pour s’approvisionner à moindre coût, conduisant à une surconsommation de gaz outre-Pyrénées pour alimenter la France en électricité. "D’où la nécessité de son extension à l’Union pour éviter les distorsions de concurrence et une surconsommation de gaz", enseigne le ministère. À défaut d’une telle extension globale, est préconisée une extension "par plaques", entre groupes d’États membres bien interconnectés les uns aux autres. "Je sais qu’il y a des réticences", confesse Agnès Pannier-Runacher. "L’un des enjeux consiste à bien répartir les coûts de ce mécanisme. Sinon, les États membres qui ont beaucoup de centrales à gaz paieront pour les voisins", explique le ministère. "La proposition a déjà été mentionnée par la Commission dans son dernier 'non-papier' (position de travail non officielle), par la commissaire Kadri Simson le 29 septembre et a été évoquée par plusieurs États membres lors du conseil de vendredi", relève le cabinet de la ministre, qui se félicite qu’"un mandat très clair ait été donné à la Commission d’instruire cette option. On vient de loin. Il y a 15 jours, seul notre ministère y croyait !".
En France, une charte avec les fournisseurs d’énergie
Le gouvernement continue par ailleurs de chercher des solutions hexagonales. À son entrée au Conseil, Agnès Pannier-Runacher indiquait ainsi qu’elle réunira "mercredi avec Bruno Le Maire l’ensemble des fournisseurs d’énergie pour travailler à des contrats et une charte qui permettent aux collectivités territoriales et aux entreprises de pouvoir avancer dans des conditions de meilleure qualité, plus protectrices". "Je pense qu'aujourd'hui [les fournisseurs d'énergie] ne jouent pas suffisamment le jeu avec leurs clients", déclarait parallèlement sur Europe 1 le ministre de l’Économie. Il entend les contraindre à fournir "à toutes les PME françaises des tarifs d'électricité et d'énergie raisonnables, dans des délais raisonnables, avec des conditions raisonnables".