Covid-19 : vers un assouplissement des exigences pour l’épandage des boues des stations d’épuration
Des difficultés techniques et financières rencontrées par les collectivités, depuis un an en raison de l'épidémie de Covid-19, pour faire face aux exigences d’hygiénisation comme préalable à l’épandage des boues des stations d’épuration ont conduit le ministère de la Transition écologique à proposer une évolution du cadre réglementaire.
Le ministère de la Transition écologique soumet à consultation publique, jusqu’au 13 avril prochain, un projet d’arrêté modifiant les modalités d'épandage des boues de stations d’épuration urbaines pendant la crise sanitaire. "Depuis le début de l’épidémie de covid-19, plusieurs études ont mis en évidence la présence d’ARN viral du SARS-COV 2 dans les eaux usées", souligne le ministère. Cela a conduit l’État à interroger l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur les risques de propagation du virus via l’épandage des boues d’épuration urbaines sur les sols agricoles. Un précédent arrêté en date du 30 avril 2020 était intervenu suite à l’avis de l’Anses du 27 mars 2020 et d’une circulaire ministérielle du 2 avril adressée aux préfets (lire notre article du 7 avril 2020). L’Anses y recommandait de ne pas épandre les boues des stations d'épuration produites pendant l'épidémie de Covid-19 "sans hygiénisation préalable", autrement dit sans traitements inactivant le virus (compostage, séchage thermique ou méthanisation). Pour rappel, leur utilisation dans le domaine agricole est encadrée par un arrêté du 8 janvier 1998, qui fixe précisément les exigences à respecter pour qu’une boue soit ainsi considérée comme "hygiénisée".
Difficultés techniques et financières
Cependant, l’hygiénisation des boues, recommandée par l’Agence et reprise dans l’arrêté du 30 avril 2020 comme préalable à l’épandage, n’est pas une pratique systématique au sein des collectivités. Sa mise en œuvre demande une certaine organisation et induit un coût difficilement supportable s’il n’est pas anticipé. Les agences de l'eau ont d’ailleurs mis en place un dispositif d'aide financière exceptionnel pour accompagner les collectivités dans la gestion de leurs boues (stockage, transport, traitement) pendant cette période épidémique et le plan de relance permet aussi de faciliter l'investissement pour l'hygiénisation des boues en zone rurale.
"Au vu de l’évolution des connaissances sur le virus et des difficultés techniques et financières rencontrées par les collectivités depuis près d’un an pour faire face à ces nouvelles exigences", relève le ministère, différentes propositions d’évolution concernant les modalités d’épandage de boues ont été soumises à l’Anses en octobre dernier. Sur la base des recommandations techniques et scientifiques émises par l’Anses dans deux avis datant du 28 janvier et du 22 février 2021, un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 30 avril 2020 a donc été élaboré. L’Agence souligne à nouveau "le nombre limité d’études et données disponibles" concernant le virus SARS-CoV-2 dans les boues issues des stations d’épuration. Elle indique que, "malgré une potentielle persistance relative (quelques jours) dans les EU [eaux urbaines] comme dans les selles, le virus semble perdre dans les EU une partie de son intégrité et de son caractère infectieux".
Feu vert sous conditions aux boues non hygiénisées
Ainsi, il est proposé de permettre l'épandage de boues non hygiénisées (au sens de l’arrêté du 8 janvier 1998) dès lors qu’elles ont fait l’objet d’un traitement "par chaulage, séchage solaire ou digestion anaérobie" ayant démontré son efficacité vis-à-vis de virus de résistance comparable au SARS-Cov-2 (les bactériophages). Un abattement supérieur ou égal à 4 unités logarithmiques en coliphages somatiques (soit 99,99% d’abattement) est le seuil retenu dans le projet d’arrêté pour valider l’efficacité du traitement/stockage considéré.
Le seuil de 4 log est d’ailleurs un seuil règlementaire (arrêté du 2 août 2010) pour l’abattement en bactériophages ARN F-spécifiques, en entérocoques intestinaux et en spores de bactéries anaérobies sulfito-réductrices avant réutilisation des eaux usées traitées, pour l'arrosage ou l'irrigation, à des fins agronomiques ou agricoles, de cultures, d'espaces verts ou de forêts.
Dans le cas où la concentration initiale en coliphages somatiques dans les boues est inférieur à 104 UFP/g de matière brute, la vérification de l’absence de coliphages somatiques avant épandage (dans les limites de détection de la méthode) servira à valider la possibilité d'épandre la boue traitée/stockée, selon le projet d'arrêté.
Un suivi des conditions d’exploitation est aussi prescrit (suivi du taux d’incorporation en chaux dans les boues, de la siccité des boues et de la durée de stockage avant épandage, suivi de la siccité des boues pour le séchage solaire, suivi du temps de séjour des boues dans le digesteur, de la température pendant la digestion et de la durée de stockage après sortie du digesteur, pour la digestion anaérobie mésophile). Le projet d’arrêté introduit par ailleurs une nouvelle annexe 2 concernant la méthodologie d’échantillonnage et d’analyse pour l’évaluation du taux d’abattement en coliphages somatiques dans les boues.
Traitement par filtres plantés de roseaux
Sont également visées par l'arrêté les boues obtenues après un traitement des eaux usées "par lagunage ou rhizofiltration ou dès lors qu’elles ont fait l’objet d’un traitement par rhizocompostage". Les boues doivent être extraites "après une mise au repos du dispositif de traitement pendant au moins un an, sans que celle-ci n’entraîne de dysfonctionnement du système d’assainissement", précise le texte. "Le temps de stockage étant de l’ordre de l’année voire de plusieurs années, le protocole de suivi n’est pas adapté et il n’est donc pas possible de conclure pour cette filière de traitement/stockage", estime l'Anses. Elle admet cependant que "la probabilité que les virus survivent dans ces conditions est considérée par les experts comme extrêmement faible", et ainsi "ces boues pourraient être épandues sans conditions préalables de suivi des bactériophages". La faiblesse des données ne permet en revanche pas à l’Anses de se prononcer formellement sur les autres types de procédés, en particulier pour les boues obtenues par séchage sur lit suivi d’un stockage de 45 jours.
Options écartées
S’agissant d’utiliser le taux d'incidence hebdomadaire du Covid-19, publié chaque semaine par Santé publique France à l'échelle de chaque département, pour déterminer si l'épandage des boues est possible ou non, l’Anses considère que l’utilisation de cet indicateur "présente trop d’incertitudes". "D’une part, le SARS-Cov-2 peut être détecté très précocement dans les eaux usées générant des boues bien avant les indicateurs épidémiologiques, et d’autre part le taux d’incidence hebdomadaire étant une moyenne, il ne représente que partiellement l’évolution possible rapide de l’épidémie", fait valoir l’Agence. En outre, il existe "une incertitude de nature spatiale, relative aux difficultés dans certaines situations, à établir une correspondance entre l’incidence hebdomadaire d’un département, qui représente une valeur moyenne sur le département, et des contaminations potentiellement différentes entre des stations de traitement des eaux situées en différents lieux dans ce département". Quant aux quantifications du virus dans les boues par la méthode RT-PCR, elles constituent "un bon outil de suivi de la présence du virus dans les EU et les boues mais elles donnent en même temps une surestimation probable de l'importance du matériel infectieux dans ces matrices", conclut-elle.